Suivez «Le Reporter». La deuxième partie de ce reportage -présenté en triptyque- en dit long sur le caractère sans-gêne et le manque de politesse des voyageurs en train.
06h55. C’est un matin nuageux où il fait un tantinet frisquet. Des zombies, en apparence, attendent «patiemment» l’arrivée de ce qu’ils appellent la navette. Ils sont pressés et n’ont pas le temps de prendre un café chez eux; ils le prennent tout naturellement à la gare. Un café infect qu’ils ingurgitent à contrecœur.
Ces zombies sont étudiants à Rabat, cadres dans des entreprises basées à Casablanca, professeurs de langue étrangère, etc. Leurs points communs: ils habitent tous à Kénitra et leur moyen de transport quotidien est le train.
«Le train devait être là depuis 5 minutes déjà», rouspète Souhail, un cadre financier de 24 ans. Les sourcils froncés et un œil sur sa montre, il semble compter les minutes. Il doit se rendre à Casablanca: il vient de décrocher son premier emploi et il y tient. Il n’a donc pas envie d’arriver en retard. D’autres personnes dans la même situation que lui s’en vont vers un coin, près de l’affiche «Défense de fumer», «ONCF, entreprise sans tabac», pour justement fumer la petite cigarette du matin, tuer le temps et surtout se détendre. Les écrans n’affichent plus le train de 06h50. Il est remplacé alors par un autre qui ne s’arrêtera pas à Casa-Port, au grand dam de Souhail. Les plus chanceux, ce sont ceux dont la destination est Rabat. Quelques minutes plus tard, ils seront partis. Pour ceux qui restent pour ne pas se retrouver à Casa-Voyageurs, il va falloir attendre 30 bonnes minutes pour revoir un TNR (train navette rapide). Un supplice chinois!
Après moi, le déluge!
07h20. Une voix féminine annonce l’entrée en gare du train se rendant à Casa-Port. Le quai est archi bondé, les «navettistes» de deux trains différents se retrouvent à attendre celui qui s’apprête à venir. C’est le soulagement pour ceux qui étaient là en premier. Ils s’estiment prioritaires.
Les portes s’ouvrent et là, c’est la bousculade. Ils jouent des coudes pour monter en premier et faire reculer les autres. Si c’était «le 100 mètres», ils perdraient pour cause de triche, sauf que ce ne sont pas les Jeux Olympiques: c’est la réalité et comme pour la loi de la jungle, c’est le plus fort qui gagne. Pour les indécis, les lents et les courtois, c’est mal parti. Ils se retrouvent à monter en dernier. Ils restent debout, tandis que les autres sont assis confortablement dans des sièges qui ne sont pas les leurs. En effet, comme les places manquaient, les voyageurs ayant des tickets de deuxième classe se sont rabattus sur les wagons de première. Ils se lèveront si le contrôleur passe -pour ne pas payer d’amende-, sinon, ils squatteront sans problème. Alors que ceux qui auront réellement payé un onéreux billet pour un siège violet, ils n’en verront pas la couleur.
Par ailleurs, il n’est pas rare de trouver des bagages installés dans les sièges. «Je n’ai pas où les mettre», «c’est trop lourd », s’excuse-t-on. De même, il n’est pas impossible de trouver des places visiblement inoccupées… Sauf qu’apparemment, elles ne le sont pas. «Si vous demandez si la place est libre, on vous répondra: »Non, il/elle arrive! »», raconte un habitué aux combines douteuses «d’égoïstes pensant avoir »acheté » une place, comme on achèterait une recharge téléphonique fournissant le double de la recharge initiale», ajoute-il. En fin de compte, les personnes censées occuper ces sièges et qui devaient arriver depuis belle lurette n’auront jamais regagné leur présumée place.
Vous avez dit éducation?
Aussi, la notion de galanterie et les règles de bienséance n’existent-elles pas dans le train. Idem dans les autres moyens de transport en commun, mis à part le tramway et encore! Ce ne sont que les usagers d’il y a 3 ans (date de lancement à Rabat) qui savent ce que sont les priorités: personnes âgées, personnes malades, personnes handicapées, femmes enceintes, femmes avec bébé, femmes d’âge mûr, jeunes filles… Et ce, pour avoir vu et revu des cas où certaines personnes, submergées par leur individualisme outrageusement démesuré, ont préféré laisser un handicapé debout plutôt que de se lever pour lui céder leur place.
«Un jour, j’étais assise dans le train. Une femme enceinte est venue et l’homme assis en face de moi m’a demandé de me lever afin de lui céder ma place. Vous imaginez? Il m’a demandé, à moi qui suis une femme, de me lever! Et lui pouvait rester assis, bien sûr», raconte Zineb, une Casablancaise au caractère bien trempé. «Je me suis levée et j’ai dit à la femme: venez vous asseoir, cet homme a gentiment proposé sa place. Il est resté médusé et s’est exécuté». L’expérience de Zineb a fait rire ses voisins qui se sont accordés à dire qu’elle avait bien fait.
Les places à quatre (deux sièges en face des autres) servent souvent aux familles qui préfèrent rester groupées. Ceci dit, quand il n’y a pas de famille, il y a des voyageurs venus en solo qui les monopolisent. C’est le cas de cet homme légèrement barbu, étendant ses jambes sur le siège d’en face. Ses jambes avec ses grosses godasses, sales, étaient étendues sur le siège en tissu. Mécontent, il retire ses pieds pour laisser une femme s’installer en face de lui. A présent, l’homme sans-gêne écarte les jambes. La femme devant lui semble gênée. Elle ne dira pourtant rien.
Le Train Grande Ligne, dortoir pour les premiers arrivés
Direction Marrakech. D’interminables heures de trajet, des voyageurs encombrés de divers paquets et valises. La veille des fêtes, les wagons affichent complet. Trouver une place relève du miracle. Ce Train Grande Ligne est un train crasseux, non climatisé, aux fenêtres condamnées et où une étouffante odeur d’urine et de transpiration interpelle avant même de monter à bord. Le luxe!
De wagon en wagon, les surprises s’enchaînent. Un homme dans la cinquantaine et sa fille adolescente essayent de trouver des places libres. En passant par les compartiments, apparaissent des personnes ayant élu domicile dans ces derniers. Elles monopolisent la banquette destinée à plusieurs personnes en la prenant pour un lit. La porte a été fermée, les stores ont été baissés, même les couvertures ont été sorties et la petite table rétractable contient leurs provisions: des yaourts, des bouteilles d’eau et des repas dans des boîtes en plastique… Des hommes, plus courageux que les femmes, ouvrent les portes et leur demandent de se lever, réclamant une place qui leur revient de droit. Ils sont accueillis par des regards noirs et des grognements. C’est un manque de respect que de bousculer les gens pendant leur sommeil!
L’homme et sa fille arrivent enfin à trouver une seule place. C’est ainsi que le père s’installe à côté d’une femme ayant un enfant en bas âge. L’enfant qui n’a pas envie de rester assis se lève pour jouer, mais sa mère ne l’entend pas de cette oreille. Elle l’attrape, le fait assoir et le pince pour qu’il ne bouge plus. L’adolescente demande à la femme si elle veut bien prendre son enfant sur ses genoux, celle-ci répond par la négative. Puis le contrôleur arrive et constate que l’enfant n’a pas de billet. La mère fait mine de ne pas comprendre: «Je pensais que pour les enfants, c’était gratuit!». «C’est moitié prix, mais le billet est nécessaire», répond le contrôleur. Lassé par ses explications boiteuses cent fois répétées, il ne lui fait pas payer son amende et s’en va. Etant donné les circonstances, l’adolescente prend les devants, en profite pour prendre la place de l’enfant et donner une leçon de morale à la femme.
Week-end footballistique!
Ils étaient là, en ce début de soirée, valsant, la tête se balançant d’avant en arrière, l’œil vif pour éviter les nombreux coups de pied de voyageurs mécontents, n’ayant pas vraiment la tête à jouer. Eux, ce sont les pigeons de la gare de Rabat-Ville, cherchant éperdument des miettes de pain à picorer. Ils rythment malgré eux cette ambiance électrisante qui dure depuis bientôt une heure. Les trains ne sont pas venus à temps, retardés pour des raisons inconnues. Pour l’instant, aucun train n’a encore pointé le bout de son nez. Et avec cette fin de semaine où tout le monde aimerait rentrer au plus vite chez lui, les choses peuvent se gâter, très vite…
Les voyageurs n’avaient pas prévu que les supporters des clubs de foot seraient de la partie. «Qu’ils gagnent ou qu’ils perdent, c’est toujours une catastrophe», déplore un officier de la sécurité. Deux trains arrivent, l’un après l’autre. Il n’y a pas moyen de monter pour les voyageurs, les supporters, si nombreux, sont sur les marches et empêchent les gens d’embarquer. Les plus téméraires ont vite été congédiés par ce mur humain compact. Les supporters, dont de nombreux hooligans, sautent partout, hurlant les hymnes de leurs clubs respectifs. Dans leur transe cadencée par les tambours, ils arrachent les ampoules, cassent tout ce qui est susceptible d’être endommagé et le balancent sur les gens sur le quai. Une offensive de projectiles est lancée. Les pigeons se sont envolés. Personne ne peut intervenir, même pas la sécurité. Les voyageurs ont néanmoins essayé, tant bien que mal, de se protéger le visage et la tête en se recroquevillant sur eux-mêmes, derrière les bancs.
Passé l’orage des hooligans, les trains reprennent leur train-train. Secoués par ce qui vient de se produire, les voyageurs discutent inlassablement des retards, ainsi que de cet événement, tout le long du trajet les menant à leur destination. «Ils n’ont toujours pas réglé le problème des retards, du manque de communication, alors qu’ils veulent installer le TGV! A qui profitera ce TGV? A ces apaches qui cassent tout qu’on vient de voir?», se demande un homme, troublé par la scène qu’il vient de vivre.
Une fois arrivés, les voyageurs n’ont pas le temps de reprendre leurs esprits qu’ils sont assaillis d’inconnus, criant des noms de quartiers à tout va. Ce sont les chauffeurs de petits taxis. Les rôles sont inversés, ce sont eux, qui décident de la destination. Les clients obtempèrent…
A suivre : Et pisser dans la rue…
Reportage réalisé par YS