Amina, 42 ans, est assistante médicale. Cette veuve, mère d’un enfant qui passe le bac, raconte sa détresse face à un phénomène de plus en plus répandu…
«Tout me semblait beau et magique lorsque, enfin j’épousais celui dont j’étais follement amoureuse. Il n’était pas riche, mais il avait un travail. Il nous a fallu deux années pour pouvoir emménager dans un minuscule studio de location. Nous travaillions tous les deux, lui aide comptable et moi assistante dans un cabinet médical. Nos revenus n’étaient pas énormes, mais nous arrivions à vivre convenablement. Nous essayions même d’établir des plans pour de beaux projets d’avenir. Nous voulions plus tard nous investir dans un commerce et acheter un logement. C’est mon mari qui gérait le bon fonctionnement de notre foyer. Nous avons eu un enfant, devenu orphelin à l’âge de 5 ans. Mon mari a quitté ce monde d’une mort naturelle. Nos deux familles ne pouvaient pas nous prendre en charge, mon fils et moi. Ils avaient beaucoup d’enfants en bas âge et des revenus vraiment très modestes. J’ai dû par conséquent élever mon fils toute seule avec seulement un salaire. Je fais cela depuis 14 ans. Je me suis toujours battue sans perdre courage, ni détermination, pour subvenir aux besoins de mon fils. Mais aujourd’hui, je suis complètement affolée. Je ne sais plus comment faire pour m’en sortir. Je le crie haut et fort: trop, c’est trop! Je suis seule et se dresse devant moi une »montagne » qui me paraît impossible à escalader. Jamais je n’aurais pu penser qu’un jour j’aurais eu à vivre une panique de la sorte, surtout en une période aussi cruciale.
C’est l’avenir de mon enfant qui est en jeu.
Si rien n’a jamais été facile pour moi, mon seul réconfort, c’est cette chance d’avoir eu un enfant docile. Et j’en remercie la Providence, parce que dans mon travail, il arrive souvent que certains patients me fassent des confidences. Ils me parlent de leurs problèmes avec leurs enfants. J’avoue rester consternée par leurs récits. Aujourd’hui, un grand nombre de parents survivent à des cauchemars. Ce qui est dingue et alarmant, c’est que ce sont des gens qui vivent en couple et dont le niveau social est plutôt aisé, mais ils n »’assurent » plus du tout dans l’éducation de leur progéniture. Tandis que moi, je suis seule et mon cauchemar actuel est que je ne puisse plus »assurer » au niveau financier. Parce que mon fils passe le bac cette année et je me rends compte chaque jour de la démesure des dépenses qui m’attendent. Je reconnais que mon fils n’a jamais été un élève brillant et qu’il a eu d’énormes difficultés tout au long de sa scolarité. Il est lent. Et alors? Mais ça, c’est un autre problème que j’ai eu à affronter. J’ai dû plusieurs fois lui changer d’établissement pour éviter le risque qu’il arrête ses études et que je me retrouve avec un monstre. Je vois tous ces jeunes postés dans les coins de rue, de jour comme de nuit ou au bas de leur immeuble. En proie à la drogue, l’alcool et la délinquance totale, c’est dans cette ambiance de compétition de «à qui fera le pire» qu’ils évoluent.
C’est pour cette raison que j’ai toujours soutenu mon fils dans sa scolarité peu brillante. La vie ne nous a-t-elle pas déjà infligé le pire? Mais qui s’en préoccupe? Mon fils et moi avons été les ennemis jurés de certains professeurs qui n’ont vraiment aucune moralité. S’inscrire à leurs cours supplémentaires est une quasi-obligation, sinon, c’est la galère qui attend tout élève dont les parents sont récalcitrants, qu’il soit bon ou mauvais. Nous avons, mon fils et moi, papillonné d’école publique à école privée. Je suis allée de surprises en surprises; je ne sais d’ailleurs pas comment tout cela va se terminer. Aussi bizarre que l’on puisse l’imaginer, que se soit l’école publique ou privée, on retrouve le même scenario. Le pire est que pour certaines matières d’importance capitale, des profs non diplômés misent sur leurs élèves pour étoffer leurs fins de mois. En parler avec la direction ne sert à rien, la connivence est de mise. On noie le poisson en essayant de faire porter le chapeau à l’élève en l’accusant de ne pas avoir de niveau. Tous les parents doivent payer et se taire. Maintenant, mon fils me dit qu’il faut aussi l’inscrire dans une école spécialisée en cours de soutien. Il dit que c’est ce qu’ont fait la majorité de ses camarades de classe. Ils y sont déjà inscrits depuis la rentrée et que c’est la meilleure manière de perfectionner la langue anglaise et de réviser toutes les matières. Depuis, j’en suis à mon énième rencontre avec des enseignants du lycée et des cours. Beaucoup ont ce détestable profil du prof voyou qui cache son jeu en prétendant ne vouloir que l’intérêt de notre enfant. En vérité, il suffit de tenter de négocier les prix pour voir leur vrai visage. Ils sont alors sans moralité, ni éducation, ni générosité, ni amour de leur profession. Que du business! Que faire dans mon cas? Une fois que je paye mon très modique loyer, mes factures d’eau, d’électricité, de téléphone et la mensualité de l’école, il ne me reste vraiment plus rien. Qu’allons-nous manger, mon fils et moi? Et si nous tombions malades? Je m’arrange pour ne rien laisser paraître et lui remonte tout le temps le moral en lui faisant des promesses. Depuis le début de l’année, je ne fais que mentir. Je regrette de lui avoir acheté un ordinateur et un smart phone quand j’ai eu ma dernière prime. Parce qu’il semble très contrarié, il me dit que se sont des antiquités à côté de ce que possèdent ses camarades de classe. En tous cas, cela m’aurait permis de tenir un mois. Le tarif actuel de la rentrée, pour les cours particuliers des matières principales à la maison par groupe de 4 élèves minimum, c’est 500 DH le mois, payables d’avance, soit 4 séances de 2 heures. Dans les écoles de cours de soutien, ils sont plus de 25 élèves par classe et le tarif est variable entre 150 et 250 DH par matière, une séance de 2 heures par semaine payables aussi à l’avance. Il paraît que les choses empirent dès que les examens approchent. On me dit que les prix doublent ou triplent selon la réputation du prof ou de l’établissement des cours. Je sais aussi qu’il y a beaucoup plus cher. Si je n’arrive pas à payer tout cela, est-ce que tous mes efforts jusqu’à maintenant iront à la mer? Dois-je envisager l’échec de mon enfant ou un abandon du lycée en cours d’année? Je lance un SOS de détresse!».
Mariem Bennani