20 millions de Français se retrouvent sous un régime de couvre- feu. Un confinement de nuit qui commence très tôt, à 21 heures et qui relance les formulaires de dérogations que l’on croyait appartenir à un sombre passé épidémique.
62% des Français concernés par le couvre-feu, instauré de 21 heures à 6 heures dans toute l’Ile-de-France et dans huit métropoles, y sont favorables, selon un sondage. Outre la région Île-de-France et ses 1 268 communes (12,2 millions d’habitants), dont Paris, voici la liste des huit métropoles qui seront concernées: Aix-Marseille-Provence (92 communes, 1,9 million d’habitants), Grand Lyon (59 communes, 1,4 million d’habitants), Métropole européenne de Lille (95 communes, 1,2 million d’habitants), Toulouse Métropole (37 communes, 770 000 habitants), Métropole Rouen Normandie (71 communes, 500 000 habitants), Montpellier Méditerranée Métropole (31 communes, 470 000 habitants), Grenoble-Alpes Métropole (49 communes, 450 000 habitants), Saint-Etienne Métropole (53 communes, 410 000 habitants).
La quasi-totalité des personnes concernées (90%) assure par ailleurs qu’ils le respecteront. Globalement, 43% des Français considèrent même que le gouvernement ne prend pas assez de précautions dans la lutte contre le coronavirus. 61% affirment ainsi ne pas faire confiance à l’exécutif dans la gestion de cette épidémie.
C’est un sondage étonnant: les français approuvent les restrictions de liberté et même en veulent plus, mais font de moins en moins confiance au gouvernement qui les édicte. On note également une radicalisation de ceux qui refusent les mesures les jugeant inutiles ou liberticides.
Le gouvernement a été très divisé sur le couvre-feu, les alarmistes l’ont emporté. La crainte d’actions judicaires en cas de dérapage d’une épidémie mal gérée y est pour beaucoup. D’ailleurs ça a commencé. Le gouvernement d’Edouard Philippe a-t-il failli dans sa gestion de la crise sanitaire au point de voir sa responsabilité pénale engagée ? C’est la question à laquelle tente de répondre la commission d’instruction de la Cour de justice de la République (CJR) depuis l’ouverture, le 7 juillet, d’une information judiciaire pour abstention de combattre un sinistre. C’est dans le cadre de cette enquête que l’actuel ministre de la santé, Olivier Véran, mais aussi l’ancien premier ministre Edouard Philippe et les ex-membres du gouvernement Agnès Buzyn et Sibeth Ndiaye ont vu leurs domiciles et bureaux perquisitionnés, jeudi matin 15 octobre. Dans le même temps, d’autres perquisitions, conduites par les gendarmes de l’Office central de lutte contre les atteintes à l’environnement et à la santé publique et les policiers de l’Office central de lutte contre la corruption et les infractions financières et fiscales, étaient menées chez le directeur général de la santé, Jérôme Salomon, et la directrice générale de Santé publique France, Geneviève Chêne. Parmi les plaignants figurent notamment des médecins libéraux qui déplorent le retard avec lequel ils ont pu disposer de masques FFP2, alors qu’ils étaient en première ligne dans la lutte contre le virus. Le syndicat CGT pénitentiaire et le syndicat policier Vigi, qui dénoncent les risques auxquels ont été confrontées les professions qu’ils représentent, ont aussi vu leurs plaintes recevables.
De quoi pousser à en faire beaucoup et peut être trop.
Mais il y a un autre problème, c’est le mot couvre- feu lui-même. En France, cela ramène à l’occupation allemande ou aux pires épisodes de la guerre d’Algérie. Le couvre feu est une mesure sécuritaire extrême dirigé contre des populations hostiles. Dans certains pays, ça passe sans problème, mais en France pas facilement. On a même envisagé d’employer, pour ne pas remuer les brulures de l’histoire, le terme de confinement nocturne. Devant le ridicule de l’expression, on a renoncé. Le débat sur une prétendue dictature sanitaire monte en force. Les Français veulent vivre, aller au restaurant, au cinéma et au théâtre, le couvre feu à 21 heures c’est la mort de la vie festive. Certes ce sont les rassemblements privés, les fêtes incontrôlées qui sont visées, mais tout le monde paye pour l’attitude irresponsable de certains. La ministre de la Culture, Roselyne Bachelot, a plaidé , dans un entretien au Parisien, pour un assouplissement du couvre-feu au-delà de 21 heures en faveur des cinémas et salles de spectacles, le billet servant alors de justificatif aux spectateurs. «Je suis en contact direct avec les différents acteurs de la culture, du théâtre, du cinéma et de la musique. Il y a un appel très fort venant de leur part pour un assouplissement», déclare la ministre, qui se présente comme «la médiatrice entre le monde de la culture et le gouvernement». Les salles de cinéma et de spectacle voudraient ainsi «considérer que 21 heures, ce n’est pas l’heure à laquelle on doit être chez soi mais, pour ceux qui ont un ticket pour une pièce ou un film, l’heure du départ de la salle», explique-t-elle.
«Cela me paraît plaidable», selon Roselyne Bachelot. «Les gens mettent 30 minutes ou même une heure pour rentrer, le temps qu’il faut, c’est leur billet qui servirait de justificatif», suggère la ministre, assurant que le gouvernement va «examiner cette demande, sous réserve bien sûr de l’évolution de la situation sanitaire».
Jusqu’à quand ces mesures seront-elles acceptées sous la peur de la maladie. Dans certains pays, il y a des révoltes et des manifestations souvent manipulées politiquement. En France ça tient, mais ça commence à craquer. Le pouvoir approuvé dans son action, mais désavoué en tant que tel est dans un paradoxe intenable.
Patrice Zehr