Avoirs à l’étranger : L’Office des changes optimiste

office des changes

Plus de 6 milliards de dirhams (600 millions d’euros) ont été déclarés à ce jour au titre de l’amnistie financière; un montant qui dépasse les espérances de l’Office des changes.

A quelques jours de la fin de l’opération d’amnistie financière, les déclarations se multiplient. En effet, les biens et actifs détenus illégalement à l’étranger par les Marocains et déclarés dans le cadre de l’opération d’amnistie financière ont dépassé le cap des 6 milliards de dirhams (MMDH). C’est ce qu’a annoncé au parlement le ministre de l’Économie et des Finances, Mohamed Boussaïd.
Il faut dire que l’Office des changes, qui supervise l’opération, tablait sur 5 milliards. Le dispositif est en place depuis le 1er janvier, mais les personnes concernées ont tardé à se présenter auprès des banques pour en profiter. Deux milliards ont ainsi été déclarés rien qu’en octobre, soit autant que sur la période de janvier à septembre.

Le gouvernement table sur 10 MMDH

«J’ai parlé avec le ministre de l’Economie et des Finances qui m’a assuré que le total des actifs déclarés au titre des avoirs détenus à l’étranger par des ressortissants marocains atteint actuellement les 6 milliards de dirhams. Mais il a ajouté que les dernières prévisions laissent croire que nous allons atteindre les 10 MMDH à la fin de l’année», a affirmé le chef de gouvernement, Abdelilah Benkirane. Ces nouveaux chiffres cadrent avec les déclarations des responsables marocains qui s’attendaient à un afflux au cours de ce mois de décembre. Ce ne sont donc plus les 5 MMDH annoncés par le gouvernement, ni les 6 MMDH atteints actuellement, mais bien 10 MMDH qui seront franchis à la fin de l’année en cours, selon les dernières prévisions du ministère de l’Economie et des Finances. C’est le double de l’objectif de 5 MMDH tracé initialement par le gouvernement dans le cadre de la loi de Finances 2014. L’une des raisons de ce rush tardif est probablement le scepticisme de nombreuses personnes concernées quant à l’anonymat que l’institution avait assuré leur garantir (lors de la déclaration, la banque transmet un numéro, mais aucun nom à l’institution).

A titre de rappel, les Marocains ont jusqu’au 31 décembre pour réaliser leur déclaration. Le dispositif leur permet de régulariser leur situation sans sanctions (fiscales et de l’Office des changes), en contrepartie d’une contribution libératoire, un pourcentage prélevé sur le montant des biens (entre 2 % et 10% de leur valeur). A compter du premier janvier 2015, les banques européennes et marocaines commenceront leur échanges d’informations et les fautifs seront durement sanctionnés. Les fraudeurs vont encourir des sanctions au niveau des changes comme du fisc. Du côté des changes, les textes prévoient une sanction minimum de cinq fois le montant du corps du délit, ainsi qu’une peine d’un à cinq mois de prison. Quant aux sanctions fiscales pour défaut de déclaration, elles s’élèvent à la somme due majorée de 15%.

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Deux nouvelles mesures pour faciliter l’opération

Les contribuables auront jusqu’au 31 janvier 2015 pour rapatrier leurs avoirs liquides. L’Office des changes a introduit un assouplissement au dispositif de la contribution libératoire. Les contribuables, qui auront effectué leur déclaration avant le 31 décembre 2014, ont jusqu’au 31 janvier 2015 pour procéder au rapatriement des avoirs liquides détenus à l’étranger. Cette nouvelle facilité s’explique par la lenteur des procédures pour transférer les fonds déposés dans les banques à l’étranger.
La seconde mesure de facilitation introduite par l’Office des changes, dans le cadre de l’amnistie sur les actifs à l’étranger, s’applique aux anciens Marocains résidents à l’étranger (MRE) rentrés définitivement au pays. Les anciens MRE, qui ont constitué des actifs à l’étranger, doivent prouver que les fonds ont été intégralement gagnés à l’étranger. Si, une fois rentrés au pays, ils ont continué à alimenter leurs avoirs via des transferts à partir du Maroc, ils ont la possibilité de faire un mix entre la contribution libératoire pour la partie marocaine de leurs biens et l’exonération pour le reste censé avoir été constitué à l’étranger. Mais il faudra apporter des preuves convaincantes sur la provenance des fonds et la date de leur constitution.
A priori, l’objectif de 10 MMDH serait atteint si les différents guichets installés dans les banques arrivent à traiter tous les dossiers présentés dans le cadre de cette opération.

Anas Hassy

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Interview

Hicham El Moussaoui, économiste, maître de conférences à l’université Sultan Moulay Slimane

Hicham moussaoui

«Cette amnistie ne résout pas tout»

Que pensez-vous, globalement, de l’amnistie de change au Maroc?

Globalement, il s’agit d’une loi mal conçue et incohérente, répressive, et manquant de légitimité. Mal conçue, car certaines dispositions sont incohérentes, notamment la date ultime du 31 décembre. Ainsi, deux contribuables, le premier ayant acheté un bien le 30 décembre 2013 sera amnistié et celui qui l’a acquis le 1er décembre 2014 sera hors-la-loi et donc pénalisé. Les biens immeubles seront taxés sur la valeur d’origine, alors que les actifs financiers et valeurs mobilières le seront sur la valeur actuelle, d’où une discrimination de traitement. Cette amnistie de change pêche par l’amalgame qu’elle fait entre les fraudeurs et les MRE ayant la double nationalité qui possèdent des biens immobiliers, des comptes bancaires ou des actifs financiers aussi bien au Maroc que dans leur pays d’accueil. Dans ce dernier cas, les avoirs détenus à l’étranger ne rentrent pas vraiment dans la détention illégale puisque c’est le fruit de leur labeur afin de préparer leur retraite ou se prémunir contre les mauvais jours. En conséquence, cette partie des Marocains du monde est mise dans le même panier que les autres fraudeurs.

Ces derniers jours, les banques enregistrent un important rush de clients qui souhaitent bénéficier de l’amnistie. Est-ce que les 10 milliards de dirhams seront franchis à la fin de l’année en cours (selon les dernières prévisions du ministère de l’Economie et des Finances)?

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Effectivement, le rythme des déclarations s’est accéléré et il faut dire au passage que les banques marocaines ont joué le jeu en mettant en œuvre la logistique pour faciliter la tâche aux contribuables. Le chiffre de 10 MMDH reste donc réalisable si les guichets uniques installés dans les différentes banques arrivent à traiter tous les dossiers présentés. Rappelons ici que s’il y a des dossiers faciles à traiter en quelques jours, d’autres sont plus compliqués et exigent entre 2 et 3 semaines. Tout dépendra de la capacité des banques à traiter les dossiers présentés. Cela dit, même avec 10 MMDH rapatriés, le chiffre restera modeste par rapport aux 33 MMDH détournés chaque année. Dans tous les cas, il serait illusoire de croire que ce genre d’amnistie suffira pour résoudre la problématique de financement de l’économie marocaine qui est asphyxiée financièrement.

Des ajustements sont-ils nécessaires au niveau du Code général des impôts en matière d’avoirs à l’étranger?

Clairement, il y en a besoin si l’on veut élargir l’assiette d’impôt et éviter que certains blanchissent leur argent ou leurs biens mal acquis à l’étranger en profitant du taux libératoire que leur offre l’amnistie. L’expérience des trois amnisties déjà décrétées prouve qu’une fois l’orage passé, les fraudeurs recommencent tant que le terreau demeure favorable à une telle fraude. Cette amnistie s’attaque au stock des fonds détournés. Elle ne résout en aucun cas le problème des flux qui continueront et reconstitueront certainement le stock initial.
Si les avoirs à l’étranger détenus par les Marocains ne sont pas déclarés ou détournés, c’est qu’il y a des raisons. A part le vice de certains contribuables, la plupart se plaignent de la pression fiscale (22,4%), de la complexité des procédures de déclaration et de paiement, du traitement par l’administration fiscale et surtout de l’usage qui est fait des impôts récoltés. Dès lors, une amnistie fiscale sans réformes de fonds ne serait finalement qu’une opération pour renflouer momentanément les caisses de l’Etat.
Pour prévenir le risque de saper la confiance des contribuables et des investisseurs, il est besoin d’adapter la fiscalité et de la moduler en fonction des spécificités des contribuables et de ne pas mettre tout le monde dans le même panier. Il est étonnant qu’en dépit des services rendus par les MRE, notamment leur contribution au financement de l’économie marocaine (10% du PIB), ils doivent subir une pression fiscale supplémentaire. D’où la nécessité d’une loi fiscale spécifique sur les avoirs étrangers tenant compte des particularités de nos ressortissants et de leur contribution à l’économie nationale.

Interview réalisée par Anas Hassy

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