La mer rouge est une mer d’une grande importance stratégique et commerciale qui permet aux navigateurs en provenance de la mer Méditerranée et à destination de l’océan Indien, ou vice-versa, de ne pas être contraints de faire le tour de l’Afrique. Son contrôle militaire concerne l’Egypte, l’Arabie saoudite, l’Erythrée comme l’Ethiopie, le Yémen et Djibouti.
Les américains sont très présents aux cotés des français à Djibouti. Et voici maintenant que les russes reviennent par le Soudan. Moscou a repris pied en Afrique pour la première fois depuis la fin de l’URSS, avec un accord pour une petite base navale au Soudan. La flotte russe pourra patrouiller plus aisément dans le détroit clé d’Aden». Le Soudan est un point clé vers le détroit de Bab-el-Mandeb, la mer Rouge et le canal de Suez. Une voie cruciale de circulation des ressources énergétiques mondiales. «Oui, c’est un lieu stratégique», a déclaré le sénateur Alexeï Pouchkov, cité par le quotidien Moskovski Komsomolets. Vladimir Poutine a validé le 16 novembre la proposition du gouvernement russe de signer un accord avec le Soudan sur l’installation d’un «point d’appui matériel et logistique» de la flotte militaire russe à Port-Soudan.
«C’est une occasion d’élargissement pour notre flotte. Le temps est venu de restaurer notre présence militaire sur les mers», a déclaré l’amiral en retraite Vladimir Komoedov, cité par le quotidien Izvestia. La Russie, s’est-il félicité, va bénéficier d’une nouvelle base pour sa flotte à l’étranger «dans un contexte de domination des États-Unis et de l’OTAN en Atlantique, dans les océans Indien et Pacifique, dans les airs, sur l’eau et sous l’eau».
La base navale facilitera les patrouilles russes dans des couloirs maritimes essentiels en termes de commerce et sécurité, la Mer Rouge et le Golfe d’Aden, avec une activité résiduelle de pirates, par où transitent près de soixante cargos par jour entre l’Europe et l’Asie. Un transit qui compte les deux tiers des exportations japonaises par voie de mer et 4 millions de barils par jour de pétrole. Le détroit de Bab el Mandeb, au débouché du Golfe d’Aden, et le canal de Suez, au nord de la mer rouge, sont classés par les spécialistes parmi les «sept clés» du commerce maritime mondial, avec le canal de Panama et les détroits de Malacca en Extrême-Orient , d’Ormuz, de Gibraltar et du Bosphore.
Les navires russes seront aussi à quelques jours de navigation du Golfe persique, par où passe un sixième du pétrole mondial, soit environ 13 millions de barils par jour, et de l’Océan indien. Dans cette partie du monde, les Etats-Unis, la France et la Chine disposent de bases à Djibouti et la Turquie en Somalie.
Très enclavée, puisque ne possédant que quatre grands ports libres de glaces en hiver, Mourmansk, Saint Petersbourg, Novorossisk et Vladivostok, Moscou ne disposait que d’une seule base navale à l’étranger à Tartous en Syrie, en sus de Sébastopol, en Crimée annexée .
L’objectif est donc clair
L’intérêt russe pour la mer Rouge n’est pas nouveau. Pendant la guerre froide, Moscou et Washington, ainsi que Londres et Paris, se disputaient l’hégémonie au Proche-Orient. Dans cette compétition, l’Union soviétique cherchait à s’assurer une présence militaire permanente dans la péninsule Arabique et la Corne de l’Afrique, pour pouvoir approvisionner ses opérations navales dans la région. Mais pour cela, elle devait s’implanter dans une région où elle n’avait jamais eu de réelle influence ni d’alliés traditionnels. De plus, cet objectif stratégique allait à l’encontre de l’un des principaux avantages de l’URSS, à savoir l’absence d’un passé colonial au Proche-Orient. En raison de ces contraintes, Moscou ne pouvait s’implanter dans la région que lorsqu’un pays ami était ouvert à une alliance, comme l’Éthiopie et le Yémen du Sud.
Après le succès de l’intervention russe dans la guerre civile syrienne, les relations entre la Russie et les pays de la mer Rouge se sont développées, avec des perspectives prometteuses pour Moscou d’obtenir des autorisations d’installer des bases dans la région. En particulier, Djibouti, le Soudan, l’Erythrée, le Yémen et le Somaliland- une République somalienne dissidente non reconnue par la communauté internationale- semblent être les plus susceptibles d’accueillir une présence militaire russe près de la mer Rouge.
Cet accord soudanais illustre le regain d’ambition géopolitique du Kremlin, après les années de vaches maigres consécutives à la chute des prix des hydrocarbures. Un regain marqué surtout en direction d’un continent, l’Afrique, richement doté en ressources minières et en passe d’héberger la moitié de l’humanité à la fin du siècle sur la base des projections démographiques actuelles. La Russie a multiplié ces dernières années les investissements en Guinée, au Nigeria et en Afrique du sud, notamment. Et prépare des projets au Mozambique, en Angola , etc. Moscou a hébergé le mois dernier son premier sommet consacré à l’Afrique, où s’étaient rendus nombre de chefs d’Etat ou de gouvernement du continent.
Patrice Zehr