Yassine Fennane est réalisateur marocain. En 2002, il écrit et réalise son tout premier court-métrage «Petite Blessure». Il a notamment co-réalisé «Sa’a Fil Jahim » (Une heure en enfer) diffusé sur la chaîne Al Aoula pendant quatre saisons. Il est également le réalisateur des séries «Okba Lik» et «Bnat Lalla Mennana» diffusées sur 2M. Son film «Bollywood Dream» (Karyan Bollywood) a été sélectionné dans la catégorie «coup de cœur» du Festival de Marrakech 2014 et présenté en avant-première.
Entretien
Le public marocain vous connaît, surtout pour vos productions ramadanesques «Bnat Lalla Mennana» et «Okba Lik». Vous êtes quelqu’un qui ne se montre pas. Pourquoi?
Ça ne m’intéresse pas forcément de me mettre en avant parce que je suis réalisateur. Ce sont mes produits ou mes films qui doivent parler pour moi. S’il faut m’exprimer sur ma façon de travailler, ce que j’aimerais faire, etc, pas de soucis… Mais tout ce qui est «people», ce n’est pas mon truc. Je préfère laisser ça aux acteurs (rires).
Donc, vous vous mettez volontairement à l’écart de la sphère people ?
On n’intéresse pas forcément beaucoup de monde, nous les réalisateurs. On intéresse les cinéphiles et un public qui s’intéresse au cinéma. Et je n’ai pas envie d’exposer ma vie privée, je préfère faire des interviews qui parlent de mon travail ou bien ne pas apparaître.
On pourrait vous voir un jour en tant qu’acteur?
Non, jamais! Ça ne m’intéresse pas du tout. Je pense que je n’ai aucun talent de comédien (rires).
Votre année 2014 en bref?
Une année très difficile, tant au niveau personnel qu’à celui professionnel. C’est une année à oublier. Mais j’ai fait mon premier film «Bollywood Dream» (Karyan Bollywood) et je suis content d’avoir été présent au Festival de Marrakech. C’est l’une des rares choses positives pendant cette année. Je suis vraiment content de présenter mon film en avant-première à ce Festival, même s’il est en «coup de cœur». Il y a une vraie visibilité et beaucoup d’autres choses intéressantes. C’est une aubaine, quoi qu’on dise.
Vous qui êtes au cœur du cinéma marocain, quel regard portez-vous sur ce cinéma?
C’est une question à double tranchant. Il est certain qu’il y a beaucoup de films qui sont tournés. L’ancien directeur du CCM (Centre Cinématographique Marocain) a fait du bon boulot, il faut le dire. Noureddine Sail a fait énormément de bien au cinéma marocain, parce qu’il a permis de passer d’un film par an à 20 films par an, ce qui est énorme. Mais il n’y a pas de salles de cinéma au Maroc. Donc, à quoi ça sert de faire des films qu’on ne voit pas, parce qu’il n’y a pas où les projeter? C’est un dilemme qu’il faut régler au plus vite.
Si l’on vous dit que les spectateurs marocains pensent que les productions marocaines ne rivalisent pas assez avec les productions étrangères, que répondriez-vous à cela?
Le changement ne peut pas se passer du jour au lendemain… On ne peut pas être aussi exigeant. Il y a déjà un pas de géant qui a été fait. Il faut commencer par produire énormément de choses et ce n’est qu’après qu’on pourra passer à la qualité. Pour l’instant, c’est bien d’être dans la quantité, mais c’est vrai qu’on devrait s’améliorer, qualitativement. Il ne faut pas oublier que le cinéma marocain est un cinéma jeune, il faut de l’espoir.
Et comment améliorer la qualité du cinéma marocain?
Par la formation! Par le sérieux au niveau des commissions, au niveau de l’industrie du cinéma en général. Il faudrait professionnaliser tous les secteurs, tant au niveau technique qu’en ce qui concerne les acteurs, les scénaristes… C’est tout le secteur qui doit s’améliorer et c’est normal.
Et au niveau de la télé?
A la télé, c’est très dur, surtout par rapport au temps qu’on nous donne. Par exemple, pour les séries du Ramadan, on nous donne 3 mois pour faire un projet de qualité, ce qui est suicidaire. C’est énorme comme charge de travail. Je deviens fou pendant mes 3 mois de tournage. On se lève à 6 heures pour finir à 20h et à la fin, on explose! Ce n’est pas évident de faire un travail de qualité en si peu de temps. En général, quand on fait un travail de qualité, c’est un miracle, parce qu’un vrai projet, ça doit être réfléchi sur des années, pas sur deux mois.
Restons avec la télévision. On constate une hégémonie de séries étrangères (turques, égyptiennes, mexicaines…) à la télévision marocaine. Pourrait-on rivaliser avec eux?
Oui, bien sûr. Pour la télé, la question est budgétaire. Les télévisions ne peuvent pas se permettre de donner de l’argent pour plein de projets, alors que les séries turques et mexicaines coûtent moins à l’achat. Le seul problème, c’est la qualité. Il y a peu de qualité à la télé. C’est pour cela qu’il faut choisir les meilleurs projets. Il y a eu l’instauration du cahier des charges, mais apparemment, ce n’est pas suffisant. Ça n’a pas encore porté réellement ses fruits au niveau de la qualité et il n’y a toujours pas l’impartialité qu’il devrait y avoir.
De nombreuses mesures, des commissions et des règles à respecter dans ce cahier des charges n’entravent-elles pas vos choix artistiques?
A la télévision, c’est un peu compliqué, parce qu’on entre dans les foyers. En France aussi, il n’y a pas une si grande liberté d’expression au niveau des séries télévisées. Il n’y en a qu’aux Etats-Unis et encore! Ce sont les chaînes indépendantes comme HBO qui arrivent à avoir une grande liberté de manœuvre au niveau artistique, politique et intellectuel. Au Maroc, c’est comme une chaîne généraliste de l’Etat en France. Il y a certaines lignes rouges à ne pas dépasser.
Et que pensez-vous des séries turques qui rencontrent un succès fulgurant?
Les séries turques sont nulles. C’est consommé, mais c’est de la soupe. Ce n’est pas «Walking Dead», ce n’est pas «Les Sopranos». Aujourd’hui, ce qui est génial avec la télévision américaine, c’est qu’elle est meilleure que le cinéma américain. Comme quoi la télévision peut être qualitativement meilleure et plus forte!
Avez-vous des projets en tête pour 2015?
Je prépare un petit film. Je vais essayer de tourner une sorte de fiction mélangée à du documentaire. Ce sera sur le rap, parce que je suis passionné du rap depuis mon enfance. Le film aura une tendance sociale.
Avec qui comptez-vous travailler pour ce prochain film, des rappeurs connus?
En majorité, avec des non-professionnels, parce que je suis fasciné par le réalisme de manière générale. Donc, j’aime bien confondre réalité, documentaire et fiction. C’est pour cela que j’essaie d’aller vers des personnes qui sentent le réel, qui sentent le vécu.
Donc, vous fonctionnez au feeling…
Dans mes films -pas à la télé-, je parle de choses personnelles. J’expose ma vision sur des sujets qui me touchent personnellement et que j’aimerais partager avec les gens. Même à la télé quelques fois, dans «Une heure en enfer» (Sa’a fil jahim). C’est une série qui me tient à cœur, parce qu’elle est aussi personnelle. Donc voilà, ma démarche est tout le temps dans le «comment toucher le maximum de gens en parlant de soi-même?». C’est compliqué, mais j’essaie de bosser de cette façon.
Vous avez travaillé avec énormément d’acteurs et de comédiens célèbres dans vos séries. Pour vos projets, avec qui voudriez-vous travailler?
Robert de Niro! (rires). C’est vrai que j’ai travaillé avec beaucoup de comédiens connus dans mes séries. Donc, j’ai fait un tour complet. Mais il y a des acteurs avec qui j’aime travailler souvent.
Propos recueillis par Yasmine Saih