Après un an de brouille, le Maroc et la France ont fait la paix. Principal point de discorde, la question de la coopération judiciaire a été résolue, mais… Secret !
Le fait que le ministre marocain de la Justice, Mustapha Ramid, ait pris l’avion pour Paris afin d’y rencontrer, jeudi 29 février, son homologue française, la garde des sceaux, Christiane Taubira, était déjà un bon signe. Mais les bons signes s’étaient multipliés avant cela, sans donner de résultats. C’est donc en retenant leur souffle que les observateurs suivaient cette rencontre.
Parmi ces observateurs, les Marocains amis de la France et les Français amis du Maroc qui appelaient de tous leurs vœux la réconciliation entre les deux pays ; mais aussi les 60.000 Français du Maroc et les binationaux qui ont vu leurs «affaires» juridiques et judiciaires gelées du fait de la brouille.
Compte tenu de la suspension des accords judiciaires, en effet, aucune affaire ne pouvait être instruite. Les litiges en matière de droit de la famille ou de droit pénal ne pouvaient être traités. Aucun jugement rendu en France ne pouvait être appliqué au Maroc (d’où blocage de pensions alimentaires, d’extraditions…).
La première journée de travail des chefs de départements de la Justice marocain et français n’a pas suffi. Aucune annonce. Le suspense s’est poursuivi.
Puis les travaux se sont poursuivis le lendemain, vendredi. Et c’est samedi 31 janvier, à la mi-journée, que le grand «ouf» de soulagement a été poussé. Un communiqué conjoint, rendu public à Paris, annonçait que le Maroc et la France étaient parvenus à un accord et que le rétablissement de la coopération juridique et judiciaire entre les deux pays serait immédiat.
Ceux qui ont suivi le dossier sont cependant restés sur leur faim. Un grand secret entoure encore les détails de l’accord. Aucune partie ne veut en dire plus que ce que dit le communiqué conjoint.
Or, le communiqué indique seulement que l’accord a porté sur un amendement à la convention d’entraide judiciaire franco-marocaine qui prévalait jusqu’alors.
Un amendement «très important, qui vient couronner des discussions entamées depuis plusieurs mois par les gouvernements des deux pays» et qui a été paraphé le 31 janvier par le ministre marocain de la Justice et des Libertés, Mustapha Ramid et la ministre française de la Justice, Garde des Sceaux, Christiane Taubira.
Personne n’en saura davantage sur cet amendement.
Dans le communiqué, on apprendra que les deux parties «ont examiné en profondeur, les difficultés ayant conduit à la suspension de la coopération judiciaire entre la France et le Maroc» ; que «les discussions se sont déroulées dans un esprit très constructif et un climat de confiance» ; et que ces discussions «ont été guidées par les orientations claires et l’attachement permanent des deux chefs d’Etats, Sa Majesté le Roi Mohammed VI et SE François Hollande, de mettre fin à cette situation et d’agir pour préserver le partenariat d’exception qui caractérise la relation entre les deux pays».
En ce qui concerne la teneur de l’amendement, il sera juste dit que les deux parties «ont trouvé un accord sur un texte amendant la convention d’entraide judiciaire franco-marocaine permettant de favoriser, durablement, une coopération plus efficace entre les autorités judiciaires des deux pays et de renforcer les échanges d’informations, dans le plein respect de leur législation, de leurs institutions judiciaires et de leurs engagements internationaux».
Il sera cependant ajouté, dans ce même communiqué conjoint, que «les deux gouvernements œuvreront pour sa prompte soumission (soumission de l’amendement) aux procédures internes de ratification de chacune des parties». Puis l’information tant attendue par ceux dont les affaires judiciaires sont suspendues: les deux ministres se sont félicités de ce résultat et «ont décidé du rétablissement immédiat de la coopération judiciaire et juridique entre la France et le Maroc, ainsi que du retour des magistrats de liaison».
Le ministre des Affaires étrangères, Salaheddine Mezouar, coupera court à toute velléité d’en savoir plus en déclarant que les précisions au sujet de l’amendement seront données en temps opportun.
La réciproque dans «le plein respect» des législations et des institutions judiciaires, était au centre des exigences marocaines, depuis l’incident qui a déclenché la brouille (convocation à comparaître devant la Justice française du chef du renseignement marocain -alors en déplacement en France- pour plainte portée contre lui dans une affaire déjà jugée au Maroc). «Le système judiciaire français n’a pas à nous juger. Le système judiciaire français a l’obligation de respecter le système judiciaire marocain comme, nous, on respecte le système judiciaire français», lançait à BFM Salaheddine Mezouar.
Cette question semble avoir été résolue de façon satisfaisante pour le Maroc. Sinon, le Roi ne se serait pas rendu en France, le jour-même de l’accord (vendredi 30).
Il s’agit d’une visite privée, certes, mais quelques coups de téléphone l’ont précédée. Selon certaines sources, il en serait sorti que les deux chefs d’Etats se rencontreraient. Cependant, la réconciliation entre le Maroc et la France intéresse tant de monde (pas toujours pour de bonnes raisons…) que le secret continue d’en entourer les principales étapes.
Une chose est sûre, la coopération entre les deux pays, en matière de lutte contre le terrorisme, peut désormais reprendre, comme l’ont souhaité tant de responsables français. Et cela est dans l’intérêt de tous.
Bahia Amrani