Il n’y a pas que l’Arabie Saoudite ou Israël qui s’interrogent sur les orientations de la nouvelle diplomatie américaine. C’est capital aussi pour l’Iran. Le pays espère que les USA réintègrent l’accord nucléaire quitté par Trump.
Pour réintégrer l’accord nucléaire, Téhéran met un préalable: l’allégement sinon l’annulation des restrictions économiques qui saignent le pays à blanc. Le régime islamique utilise cependant une forte pression qui pourrait être contre productive. Téhéran met le président Biden sous tension en multipliant les entorses à l’accord nucléaire de 2015, pour renforcer sa position dans des négociations sur un retour à cet arrangement. L’Iran veut limiter l’accès des inspecteurs internationaux et renforce son enrichissement d’uranium qui permet de fabriquer la bombe nucléaire.
Téhéran a menacé de s’affranchir de nouveaux engagements pris en vertu de l’accord de 2015, sauf si les Etats-Unis lèvent leurs sanctions unilatérales imposées depuis 2018 et qui étranglent l’économie iranienne. La France, l’Allemagne, le Royaume-Uni et les Etats-Unis, ont appelé Téhéran à évaluer «les conséquences d’une mesure aussi grave, en particulier dans ce moment d’opportunité pour un retour à la diplomatie». Antony Blinken «a rappelé que, comme l’avait déclaré le président Biden, si l’Iran revenait au strict respect de ses engagements (…), les Etats-Unis feraient de même et qu’ils étaient prêts à entamer des discussions avec l’Iran afin d’y parvenir», précise leur communiqué.
Biden semble tenté par la conciliation, mais la perspective des élections en Juin en Iran complique les choses. L’enjeu nucléaire et la situation économique crispe l’affrontement entre conservateurs et modérés. Rohani, le président actuel, fragilisé, joue son avenir et les sondages prévoient une poussée des conservateurs. Washington aurait donc intérêt à donner des gages au camp de l’ouverture et du dialogue. Les Etats-Unis ont procédé à trois gestes à l’égard de l’Iran, sur fond d’intensification de discussions pour une relance de l’accord nucléaire conclu avec Téhéran et à l’approche d’une intention iranienne de s’affranchir de nouveaux engagements.
Après une réunion virtuelle des chefs des diplomaties française, britannique, allemande et américaine, Washington a annoncé accepter une invitation de l’Union européenne à des pourparlers en présence de Téhéran pour relancer les efforts visant à restaurer cet accord. «Les Etats-Unis acceptent une invitation du haut représentant de l’Union européenne à une réunion du P5 + 1 (un groupe rassemblant Etats-Unis, Allemagne, Chine, France, Royaume-Uni et Russie) et de l’Iran pour évoquer la meilleure façon d’avancer concernant le programme nucléaire de l’Iran», a annoncé le porte-parole du département d’Etat, Ned Price.
L’administration de Joe Biden a annulé dans la foulée une proclamation unilatérale effectuée en septembre par le gouvernement de Donald Trump sur un retour de sanctions internationales contre l’Iran. Dans une lettre au Conseil de sécurité de l’ONU, obtenue par l’AFP, l’ambassadeur américain par intérim aux Nations unies, Richard Mills, indique que les sanctions internationales «levées par la résolution 2231» de l’ONU en 2015 et confirmant l’accord nucléaire conclu la même année avec Téhéran «restent levées».
Pour les dirigeants iraniens, il n’est pas facile de fixer une ligne par rapport à l’opinion publique. Dilemme à quatre mois d’une présidentielle cruciale. Toute concession à l’administration Biden pourrait se payer cher dans les urnes. Faire le premier pas, pour l’administration Rohani et pour le camp des modérés, équivaudrait en quelque sorte à un suicide politique. Il faut également prendre en compte le contexte préélectoral en Iran, où tout signe de faiblesse aura des conséquences sur le scrutin présidentiel à venir, notamment pour le camp modéré aujourd’hui aux commandes. Retrouver des possibilités d’exportation pétrolière est vital, car l’économie du pays est «au bout du bout de la résistance patriotique», estime un entrepreneur à Téhéran. La devise a été dévaluée quatre fois l’an dernier, l’inflation a dépassé officiellement 46 % en rythme annuel en janvier dernier, «mais atteint sans doute 60 % en réalité, la majorité des 82 millions d’Iraniens vit sous le seuil de pauvreté et le chômage des jeunes n’est même plus comptabilisé», ajoute-t-il. La situation économique et sociale du pays s’avère «très fragile» et constitue une «incitation puissante à signer un accord avec l’administration Biden du moment qu’il soit à peu près décent», reconnaît un autre connaisseur des milieux d’affaires iraniens.
En effet, l’Iran subit «un triple choc», estime Sanam Vakil, spécialiste de l’Iran au think tank Chatham House. Aux sanctions réimposées en 2018 par Donald Trump quand il a déchiré l’accord international JCPoA, se sont ajoutés les effets désastreux de Covid et des restrictions imposées par les autorités, ainsi que la chute des cours de l’or noir provoquée par la récession mondiale à la suite de la pandémie. Les exportations de pétrole de l’Iran, source jadis de la quasi-totalité de ses recettes en devises ou ressources budgétaires, ne représenteraient plus que 700.000 à 1 million de barils par jour (Mbj), suivant les sources, contre 4,2 Mbj en 2017.
Patrice Zehr