La condamnation de l’ancien Président Nicolas Sarkozy pour pacte de corruption a relancé un débat qui empoisonne la démocratie française. Certes, il y a appel et rien n’est joué, mais ce jugement sévère en première instance a été un choc. Ce qui est mis en cause c’est l’impartialité de la justice.
L’ancien président dénonce l’attitude et l’acharnement de certains juges et pas la justice en tant qu’institution. Mais la confiance est encore un peu plus ébranlée. C’est dangereux pour un pays dont l’un des fondements de la démocratie est la séparation des pouvoirs, l’indépendance de la justice et son impartialité. Un autre fondement est atteint par le doute, c’est le principe de la laïcité. Comme il faut être Anglo- Saxon pour comprendre le Criquet il faut être français pour compte la laïcité. C’est pourquoi cette spécificité issue d’une histoire particulière est le constituant majeur des valeurs républicaines. Mais cette valeur absolue dont on parle tous les jours que l’on défend par des lois nouvelles est devenue de plus en plus relative. La preuve en est apportée par un sondage édifiant portant sur les lycéens.
Dans un sondage commandé par la Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme (Licra), dont la revue consacre un numéro spécial à la laïcité, l’institut Ifop s’est penché pour la première fois sur la façon dont les lycéens perçoivent l’un des fondements de la République française, inscrit dans la Constitution.
Un point fort concerne -on pense à Charlie Hebdo- le droit au blasphème. Apparemment les jeunes ne sont plus «Charlie». La question du «droit au blasphème » clive une opinion lycéenne qui se dit désormais majoritairement opposée au «droit de critiquer une croyance, un symbole ou un dogme religieux». 52 % des élèves du secondaire n’y sont pas favorables… Mais la population lycéenne elle-même est divisée: si les jeunes musulmans s’opposent à 78 % au droit d’outrager une religion, de même que 65 % des personnes perçues comme «non blanches» et 60 % des jeunes vivant dans des zones d’éducation prioritaire, ce n’est le cas que de 45 % des catholiques et de 47 % des élèves se définissant «sans religion». François Kraus, auteur de l’enquête analyse «C’est la victoire d’une vision anglo-saxonne ou même islamiste des choses. La religion n’est plus perçue comme un corpus de valeurs auxquelles on croit, mais comme consubstantielle de l’identité. Et la moquerie de l’identité étant perçue par certains comme intolérable, les réactions violentes ne sont plus incompréhensibles.». Ainsi 10 % des lycéens n’expriment pas de condamnation ou sont indifférents aujourd’hui à l’égard des auteurs des attentats de 2015… Contre 4 % des jeunes de 15 à 17 ans auxquels la même question avait été posée en 2016. Dans l’ensemble, les lycéens ont une conception «minimaliste» de la laïcité, qu’ils voient comme un outil destiné à «mettre toutes les religions sur un pied d’égalité» (29 %) ou à «assurer la liberté de conscience». Seuls 11 % d’entre eux considèrent qu’elle consiste à «faire reculer l’influence des religions dans la société», contre 26 % de leurs aînés. Partant, les lois visant à encadrer l’application de la laïcité en France sont perçues par plus d’un lycéen sur trois (37 %) comme discriminatoires à l’égard des musulmans (opinion partagée par 81 % des élèves musulmans, et par 55 % de ceux vivant en zone d’éducation prioritaire). «Actuellement, les musulmans représentent 14 % de la population lycéenne ; et ce noyau est très hostile au dispositif actuel de laïcité. Mais au-delà, il y a toute une jeunesse qui partage ces revendications.
Il y a une fracture générationnelle évidente. Le coup est rude pour les partisans d’une laïcité «de combat»: leur idéal n’est plus porté par les jeunes générations. Plus d’un lycéen sur deux (52 %) se dit ainsi favorable au port de signes religieux ostensibles dans les lycées publics, soit deux fois plus que dans l’ensemble de la population (25 %). 49 % ne voient pas d’inconvénient à ce que les agents publics affichent leurs convictions religieuses. Et 38 % sont favorables à ce qu’une loi autorise les élèves à porter un «burkini» (une proportion qui atteint 63 % chez les seuls élèves scolarisés en REP, et 76 % chez les lycéens se déclarant musulmans).
Anne Muxel et Olivier Galland dans leur enquête «La Tentation radicale », citée par Le Point analysent: «Même si on n’est pas musulman, on est solidaire des causes et du droit des jeunes à afficher leurs traits culturels et identitaires. (…) Compte tenu du poids croissant des musulmans en France, et de la réticence de cette jeunesse à l’égard des dispositifs législatifs actuels, on ne peut que se poser la question de la pérennité de la loi de 2004» sur l’interdiction à l’école des signes religieux ostentatoires, «qui pourrait n’avoir plus, demain, d’assise politique suffisante pour se maintenir en l’état», souligne le chercheur. À moins d’un changement d’approche radical ?
Patrice Zehr