Bien sûr, nous autres modernistes, nous ne partageons pas le même crédo doctrinaire que le PJD (parti justice et développement), sorti vainqueur des urnes aux élections législatives de ce 25 novembre.
Bien sûr, nous n’avons pas le même projet de société que ce parti islamiste – et certainement pas quand nous pensons à son aile dure, le MUR (Mouvement unicité et réforme) qui regroupe les plus fondamentalistes de ses membres. Leur rejet de la modernité, leur projet de retour à une société islamique antédiluvienne magnifiée, leur conception rigoriste –voire sectaire- des relations humaines et des relations interétatiques, nous font pour ainsi dire peur.
Bien sûr, enfin, nous imaginions plutôt, dans le rôle de chef de gouvernement auquel la nouvelle Constitution donne des pouvoirs plus larges que jamais, quelqu’un de plus aguerri dans la gestion des affaires publiques. Ne serait-ce que pour nous rassurer sur la capacité du prochain gouvernement à nous permettre de faire face aux difficultés économiques et financières que traverse le pays et le monde…
Mais le peuple a choisi.
Soyons donc, d’abord, démocrates.
Car, en effet, il n’y a aucun doute sur le choix des électeurs. Le PJD a remporté 107 sièges sur les 395 disputés, arrivant loin devant le parti classé deuxième: l’Istiqlal avec 60 sièges.
Evidemment, certains essaient de finasser, en nous serinant que seuls 11 millions et demi de Marocains se sont inscrits sur les listes électorales alors qu’il y a encore l’équivalent d’un bon tiers de ce chiffre qui a boudé l’opération ; que sur ces 11,5 millions d’électeurs potentiels, seuls 45,40% se sont déplacés aux urnes ; et que sur ces quelque 5 millions de votants, seul 1 million a choisi le PJD… Mais tout cela n’est qu’ergotage de mauvais aloi (et surtout de mauvaise foi). Les règles sont les mêmes pour toutes les élections du monde. Ce sont les suffrages exprimés qui comptent et les postulants auxquels ils permettent de remporter le plus grand nombre de sièges sont légitimement déclarés gagnants. Il faut donc se plier aux lois de la démocratie.
Soyons, ensuite, réalistes.
Si les électeurs ont majoritairement choisi le PJD dont ils savent que c’est un parti conservateur, c’est que la société elle-même est majoritairement conservatrice. S’ils adhèrent si fort au projet de ce parti de lutter contre la mauvaise gouvernance et toutes ses conséquences (dilapidation des deniers publics, inégalités sociales, corruption…), c’est qu’ils dénoncent tout cela eux-mêmes. Et si aucun autre parti n’a pu autant convaincre le peuple de sa volonté de s’attaquer à ces problèmes, c’est qu’aucun autre parti n’a su aussi bien communiquer avec le peuple.
Il ne reste donc plus qu’à se rendre au verdict du peuple. Sauf à proposer, comme dirait le dramaturge allemand, Berthold Bretch, de «dissoudre le peuple»…
Soyons, enfin, responsables.
Pensons, pour une fois, à l’intérêt du pays et non aux ambitions contrariées des uns et des autres. Dans une ambiance régionale et internationale tendue, dans un contexte fortement marqué par le printemps arabe -autrement dit, marqué par des vents forts de contestation populaire qui déciment des régimes et emportent des chefs d’Etat et par d’intransigeantes réactions de répression qui donnent lieu à de quasi-génocides- ce qu’il arrive au Maroc est ce qu’il y a de mieux. Les Marocains –il fallait être sourd pour ne pas les entendre- avaient besoin de changement. Ils l’ont eu par la voie des urnes. Ils voulaient l’alternance et ont estimé que le PJD incarnait le mieux cette alternance. Les élections du 25 novembre (enfin des élections au Maroc louées pour leur honnêteté et leur transparence !) leur ont permis de réaliser leur vœu. Et le pays reçoit pour cela des félicitations mondiales (grandes puissances, Union européenne, ONU…), si rares par les temps qui courent. Du fair play donc pour accueillir le PJD, en attendant de le juger sur ses actes.