Un nouveau drame s’est produit, cette semaine au Maroc, commençant par l’immolation par le feu de plusieurs diplômés chômeurs à Rabat, le jour-même où le chef du gouvernement présentait son programme au parlement (19 janvier) et finissant par la mort de l’un d’entre eux, ce mardi 24 janvier, à l’hôpital Ibn Rochd de Casablanca où il avait été hospitalisé. Abdelouahab Zaidoun est en effet décédé suite à son auto-immolation. Il faisait partie du groupe de diplômés chômeurs qui observaient depuis plusieurs jours un sit in sur la terrasse d’une villa annexe du ministère de l’éducation nationale à Rabat. Ces jeunes diplômés protestaient pour n’avoir pas été embauchés dans la fonction publique, comme le gouvernement Abbas El Fassi le leur avait promis et s’y était même engagé dans un accord signé en juillet 2011. Certains de leurs camarades l’avaient été, eux non. Pour les amener à interrompre leur sit in, les autorités les avaient encerclés, les empêchant d’accéder à la nourriture que leurs amis leur apportaient. Voulant à tout prix récupérer les sandwichs, quelques-uns parmi eux s’étaient aspergés d’essence et menaçaient, si les forces auxiliaires ne les laissaient pas faire, d’allumer leur briquet. Ce qu’ils ont fait dès que la bastonnade des agents a commencé (images passées en boucle sur des chaines de télévision internationales pendant deux jours).
Ce drame braque les projecteurs, pour la énième fois, sur le problème des diplômés chômeurs.
Une question doit être posée une bonne fois pour toutes, de façon claire et sans équivoque: l’Etat est-il tenu d’employer les jeunes diplômés ?
Question simple. Pourtant, la réponse est loin d’être évidente.
En effet, au Maroc, les études sont gratuites (dans le secteur public, bien sûr). Elles le sont depuis la première année de scolarisation jusqu’à la fin de l’enseignement universitaire. Cela coûte très cher à l’Etat: 30% de son budget de fonctionnement.
Après cela, en principe, le jeune diplômé est censé pouvoir voler de ses propres ailes et trouver un emploi auquel l’aura préparé sa formation, soit dans le secteur public, soit dans le secteur privé. Ou encore, tenter l’entreprenariat pour créer lui-même son emploi, s’il a un projet suffisamment convainquant pour être co-financé par les banques et l’Etat.
Encore une fois, cela paraît simple. Mais en réalité, la voie du jeune diplômé est parsemée d’embûches. Il n’y a pas toujours d’adéquation entre la formation du jeune diplômé et la demande du marché. C’est ainsi par exemple qu’on voit former des centaines d’ingénieurs, chimistes ou biologistes qui ne trouvent aucune offre d’emploi. Les possibilités de création d’emploi de l’Etat sont limitées et ne peuvent en aucun cas suffire à absorber tous les demandeurs d’emploi qui arrivent sur le marché du travail, chaque année. De son côté, le secteur privé est très exigeant sur les compétences, l’expérience… que n’ont pas toujours les universitaires frais émoulus. Quant à l’auto-emploi, nul n’ignore quelles difficultés rencontrent les jeunes diplômés qui s’engagent sur cette voie. En un mot, c’est la croix et la bannière !
Quelle est la responsabilité de l’Etat, alors ?
Il lui faut, bien sûr, s’attaquer au problème en amont, afin qu’il soit tenu compte de l’adéquation entre la formation et la demande du marché. Mais pas seulement. Tous les gouvernements sont désormais jugés sur leur capacité à combattre le chômage, celui des jeunes ou autre. Ceux qui gèrent les affaires publiques sont tenus d’assurer aux citoyens de leur pays une vie digne. L’accès à l’emploi en fait partie. Tout comme l’accès aux soins, l’accès au logement…
Cela ne veut pas dire que l’Etat doit assurer tout cela gratuitement. Cela signifie tout simplement que les gouvernements doivent veiller à la bonne gouvernance, à la justice sociale et à l’égalité des chances, sur la base de règles claires, applicables à tous, qui ne seraient surtout pas brouillées par de fausses promesses, ni enfreintes par de flagrants passe-droits.
Si les jeunes diplômés chômeurs du Maroc ont créé ce qui n’existe nulle part dans le monde: une association des diplômés chômeurs, active depuis une vingtaine d’année, avec des sections dans toutes les villes du pays et dont les membres se font régulièrement bastonner à chacune de leur manifestation, c’est parce qu’ils y ont été poussés par les mensonges et les injustices des gouvernements successifs.