L’Iran se trouve engagé sur trois fronts en même temps. Celui de la reprise des négociations nucléaires, malgré une course à l’enrichissement de ses centrales. L’aggravation des tensions avec Israël, notamment en mer rouge. La signature d’un accord de principe avec la Chine, sur 25 ans.
La République islamique a opté pour une posture plus agressive sur plusieurs fronts –que ce soit dans sa rhétorique ou dans ses opérations– dans un contexte de hausse des tensions avec la nouvelle administration américaine et avec les adversaires de l’Iran dans la région.
La décision de Téhéran d’enrichir l’uranium à hauteur de 60% a jeté un froid international. En se rapprochant des 90% nécessaires à une utilisation militaire, la République islamique «met la pression sur tout le monde», résume un diplomate européen. Après un bon départ, «c’est vrai que cela complique les choses», dit-il avant une nouvelle réunion des États parties à l’accord nucléaire refusé par Trump (Allemagne, France, Royaume-Uni, Chine, Russie et Iran). Le franchissement imminent de ce seuil inédit de 60% se veut une «réponse» au «terrorisme nucléaire» d’Israël, après l’explosion survenue dans l’usine d’enrichissement de Natanz, argue Téhéran, qui accuse ouvertement Israël d’avoir saboté cette usine. Berlin, Paris et Londres ont mis en garde contre toute escalade, «par quelque pays que ce soit», tout en déclarant que l’annonce par l’Iran du lancement d’un enrichissement à 60% est un «développement grave (…) contraire à l’esprit constructif» des discussions. Benjamin Netanyahu a affirmé qu’Israël s’opposerait à tout accord qui permettrait à l’Iran de développer des armes nucléaires. «Un accord avec l’Iran qui ouvrirait la voie aux armes nucléaires (…) ne serait d’aucune façon contraignant pour nous», a dit le premier ministre israélien.
La guerre à laquelle se livrent Israël et l’Iran sur les mers depuis 2019 a connu de nouvelles escalades. Les autorités de Téhéran ont confirmé que l’un de leurs navires militaires, le Saviz, stationné depuis des années en mer Rouge, au large du Yémen, avait été endommagé dans une explosion la veille, sans désigner de responsable. Les sites d’information proches des gardiens de la révolution, l’armée idéologique de la République islamique, n’ont, eux, pas hésité à pointer du doigt Israël, leur ennemi de toujours et rival dans la région. Selon l’agence de presse Tasnim, proche des gardiens, le Saviz aurait été endommagé par une mine attachée à sa coque. L’Iran n’a de cesse de répéter que le bateau intervient dans la lutte contre la piraterie en mer Rouge et dans le détroit de Bab el-Mandeb, un passage crucial du transport maritime international. Sa présence dans la zone est dénoncée par l’Arabie saoudite, engagée dans une guerre contre la rébellion houthiste au Yémen. Selon les alliés occidentaux de Riyad et des experts des Nations unies, Téhéran fournirait des armes et un soutien aux houthistes. Or, dans un rapport publié en octobre 2020, l’Institut naval américain décrit le Saviz comme un navire militaire secret exploité par les gardiens de la révolution. La frappe qui aurait eu lieu, elle, contre un vaisseau appartenant à un Israélien, qui aurait essuyé des tirs de missiles dans le Golfe d’Oman – ne serait pas venue de nulle part. Ainsi, selon le Wall Street Journal, cette dernière frappe pourrait bien entrer dans le cadre d’une réponse iranienne plus affirmée face à des attaques israéliennes.
Selon le reportage, Israël a pris pour cible au moins douze navires en direction de la Syrie, la plus grande partie d’entre eux transportant du pétrole iranien en violation des sanctions internationales, mais aussi des mines et d’autres armements. Certaines de ces frappes israéliennes présumées, qui auraient eu lieu dans la mer Rouge et ailleurs, auraient visé des livraisons d’armes liées à l’Iran, a poursuivi le journal. Les attaques n’ont pas coulé les pétroliers mais ont obligé au moins deux vaisseaux à retourner au port, au sein de la République islamique. Israël a cherché à mettre un terme à ce commerce de pétrole parce que le pays a la certitude que les profits aident à financer les extrémistes de la région, a poursuivi le Wall Street Journal.
Le 27 mars 2021, le ministre des Affaires étrangères de l’Iran s’est rendu à Pékin pour y signer un pacte de coopération stratégique avec la Chine sur vingt-cinq ans. Les Chinois réaliseront en Iran des investissements d’un montant équivalent à 400 milliards de dollars, dans les domaines des infrastructures routières, de l’énergie, des télécommunications et de la cybersécurité. En échange, les Iraniens offriront à la Chine un accès prioritaire à leurs ressources gazières et pétrolières et ce, à des prix 12 % inférieurs à ceux du marché. La Chine a toujours cherché à sécuriser ses approvisionnements énergétiques, indispensables pour faire fonctionner «l’atelier du monde». Un volet de coopération dans le renseignement militaire est joint à ce pacte.
Du nucléaire au pacte chinois, en passant par la guerre navale secrète, la diplomatie Biden n’en a pas fini avec l’épine iranienne.
Patrice Zehr