L’avis des femmes sur l’avortement n’a jamais été écouté. Pourtant, il exprime à la fois une profonde détresse et une grande sagesse.
Peut-être que «sagesse» n’est pas le mot approprié. Si la femme en arrive à souhaiter l’avortement, c’est qu’à un moment ou à un autre, avant cette grossesse indésirable, la sagesse a fait défaut. Soit du côté de la femme elle-même, par manque de prévention. Mais que celui qui n’a jamais commis d’erreur lui jette la première pierre… Soit du côté de son agresseur, car si la grossesse n’est pas souhaitée, c’est que l’acte qui l’a précédée ne l’était pas non plus.
Pourtant, oui, le combat des femmes -et des hommes qui partagent ce combat- procède d’une profonde détresse et d’une grande sagesse.
La détresse ? C’est celle des plus de 600 femmes qui recourent quotidiennement, au Maroc, à l’avortement clandestin, selon les chiffres du Dr Chafik Chraïbi, médecin qui a le plus réclamé la révision de la loi interdisant l’avortement.
C’est aussi celle des 78 malchanceuses parmi elles qui en meurent chaque année, selon l’organisation non gouvernementale «Women on waves». Et c’est celle de toutes ces femmes qui ne réussissent pas l’interruption «amateuriste» de leur grossesse et qui sont obligées, soit d’abandonner leur bébé à l’hôpital ou au coin d’une rue, soit de le garder dans des conditions aussi désastreuses pour leur avenir que pour celui de l’enfant.
Cette détresse-là, à elle seule, devrait justifier la légalisation de l’avortement. Car, en effet, qu’est ce qui est préférable: avorter et mettre fin à l’erreur ou à la faute et aux dramatiques conséquences que cette erreur ou cette faute pourraient engendrer, ou persévérer dans l’erreur et aggraver la faute en en traînant le boulet toute sa vie ? Quant à l’enfant, s’il ne naît pas dans les conditions normales et optimales auxquelles a droit tout être humain, pourquoi le laisser venir à une vie qui promet d’être un enfer pour lui ? Pourquoi vouloir, coûte que coûte, le voir vivre, sachant qu’il souffrira, quoiqu’il en soit, de son statut de bâtard ? Sauver une femme de cette détresse, sauver un enfant de cette vie de malheur, la voilà la vraie sagesse ! Et ceux qui se cachent derrière la religion pour empêcher l’interruption volontaire de grossesse n’ont tout simplement pas bien compris cette religion qui punit la faute, certes, mais refuse la détresse humaine. Aucune religion –l’Islam moins que les autres- ne peut encourager une vie de détresse, juste au nom de la vie ! Il suffit de recourir, comme l’a recommandé cette semaine le Roi Mohammed VI, à l’Ijtihad.
En effet, le débat sur l’avortement est entré dans sa dernière ligne droite, dès lors que le Roi s’est saisi du dossier. Le ministre de la Justice, Mustapha Ramid, celui des Affaires islamiques, Ahmed Toufiq et le président du Conseil national des droits de l’Homme (CNDH), Driss El Yazami, ont été reçus en audience par le Souverain, suite à la grande polémique qui a secoué le pays ces derniers jours. Ils ont un mois pour se concerter avec toutes les parties concernées et lui soumettre des propositions d’amendement de la loi. Celle-ci prévoit entre 5 et 20 ans de prison pour les médecins qui pratiquent l’avortement et entre 6 mois et 2 ans de prison pour les femmes qui se font avorter. Le maître-mot est l’Ijtihad.
Bahia Amrani