Mes rêves de «Bonne» sur internet

Soumia, 26 ans, célibataire, est de celles qu’on nomme «Bonnes» ou, en termes plus classiques, femmes de ménage. Elle l’a toujours été. Présente aujourd’hui sur les réseaux sociaux, elle a des rêves qu’elle nous confie.

«Vivre dans plusieurs familles en tant que domestique, je dirais, pour faire de l’humour, que c’est un destin  »hors du commun ». Surtout aujourd’hui. Les soi-disant maîtresses de maison dans les grandes villes sont tellement différentes de celles d’autrefois. Avant, elles avaient plus de compassion et de générosité. Et je parle de mon expérience personnelle. Celles de maintenant sont prétentieuses, radines. J’affirme aussi que beaucoup d’entre elles sont grossières et rustres. Très souvent, je suis victime d’agressivité verbale et d’arrogance. Avant, j’essayais de multiplier les efforts pour satisfaire mais, maintenant, je sais que ça ne sert à rien. Je préfère décrocher, jeter mon tablier sans préavis après la paye de ma semaine.

C’est vrai que ce n’est pas très honnête, mais qui ne le ferait pas, lorsque vous vous pliez en quatre afin de décharger des inconnus de leurs tracas domestiques, que vous vous occupez également de leur progéniture et qu’il suffit que vous vous permettiez de montrer un signe de fatigue de temps en temps pour que déjà vous les surpreniez à médire à votre sujet? Certaines ont carrément osé la menace de ne pas me payer une journée de mauvais travail. Ça vous écorche le cœur à vif. Je ne suis pas un robot, tout de même! J’ai été témoin à plusieurs reprises de discussions de femmes qui s’enorgueillissaient et se vantaient devant d’autres en parlant de nos défauts à nous  »les bonnes ». Cela avait suscité en moi un sentiment de révolte que j’ai toujours intériorisé bien évidement. Ces femmes peuvent-elles imaginer que, nous aussi, nous pourrions en raconter des choses pas jolies-jolies à leur sujet, sur leur vie intime? Je le jure, très souvent ces mijaurées, ce sont des incapables qui ne peuvent se passer de nos services. Plus jeunes ou plus vieilles que nous, avec des positions sociales et des boulots très enviables, nous leurs sommes aussi indispensables que l’air qu’elles respirent. Au lieu de nous mépriser, elles feraient mieux de nous dédommager largement, nous remercier et nous témoigner plus d’égard et de respect.
Il faut reconnaître tout de même que je n’ai pas connu que des  »mauvaises », moi  »la bonne ». Mais il suffit d’en avoir connu une pour vous mettre en rogne contre toutes les autres.
J’ai commencé à travailler en tant que  »petite bonne », à l’âge de 10 ans, dans une famille plutôt aisée et dans laquelle je me suis beaucoup plu, puisse Dieu bénir ces gens-là! Comme dit le dicton,  »pour mendier, il vaut mieux aller du côté des grandes maisons » et ce n’est pas faux: chez eux, on ne m’a pas mal traitée et j’ai toujours mangé à ma faim. Jamais on ne m’a réclamée sans me dire  »Dieu te bénisse ma fille, peux-tu me faire ceci ou cela? ». En plus, je n’avais pas de gros travaux à exécuter. Je devais seulement m’occuper et surveiller le seul bébé de la maison. Avec ma tante, également femme de ménage, nous étions les deux seules à vivre sur les lieux et nous avions une chambre et même notre douche. J’y ai vécu jusqu’à ce que le petit grandisse, marche et puisse aller à l’école. Il était le fils d’une des filles des maîtres. J’étais très bien traitée, régulièrement suivie par un médecin. On m’a vaccinée, habillée et chouchoutée. Je portais le petit, jouais avec lui et quand il dormait l’après-midi, on me donnait parfois des légumes à éplucher ou à faire la lessive des serviettes de table ou le parterre à la javel dans la pièce où jouait le bébé. J’ai appris tout ce qu’il fallait sur l’hygiène et la rigueur était de mise à ce niveau-là. Ma tante s’occupait de tout le reste. A 15 ans, j’ai été placée dans la maison d’un médecin. Mon oncle était son chauffeur. La femme ne travaillait pas. Elle m’a appris beaucoup de choses. Je m’y plaisais parce que les enfants étaient très bien éduqués, attachants. Grâce à eux, j’ai appris à lire et à écrire. Au bout de 6 ans, ma mère m’a retirée de chez eux, parce qu’ils ne voulaient pas augmenter mon salaire qui était de 600 DH par mois. Ils avaient tenté de me récupérer, mais c’était trop tard. Ce qu’ils proposaient d’ailleurs était mesquin. J’ai alors valsé de maison en maison dans les principales grandes villes du Royaume pour le meilleur et pour le pire. Si mes parents recevaient entre 200 et 300 dirhams par semaine, moi, ma santé se dégradait de mois en mois. J’exécutais toutes les tâches qu’on me donnait sans broncher, parce que je pensais à mes pauvres parents sans ressources. J’espérais qu’un de mes frères ou une de mes sœurs prenne la relève et que je puisse enfin épouser ce cousin dont j’étais secrètement amoureuse et enfin me la couler douce. Je passais mes nuits à planifier une nouvelle vie où j’allais me reposer. Mais j’ai été abusée, menée en bateau. Je regrette d’avoir perdu tant d’argent en recharge téléphonique pour lui parler et en déplacement dans le bled pour le voir. Il aurait mieux valu miser sur l’achat d’un bracelet en or. Un investissement garanti qui brillerait à mon poignet maintenant. A cause de cet enfoiré, je suis perçue comme étant trop vieille pour espérer me marier au bled. Je continue de travailler. Au moins, je sais ma famille à l’abri du besoin. Si seulement on me témoignait plus d’affection et de reconnaissance, je me résignerais à ne plus changer d’employeurs. Parfois, je rêve qu’un beau prince charmant sorti de la loterie d’internet me fera oublier cette vie passée au service des autres. Parce que, moi aussi maintenant, j’ai un smartphone. Celui qui me l’a vendu m’a aidée à créer un profil «Facebook», «Tango» et je discute même sur  »watsapp »… Je rêve d’un conte de fée où je serais celle qu’un prince choisirait pour ses qualités humaines… Une Bonne aussi, ça a des rêves!».

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Mariem Bennani

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