Fairuz, 48 ans, gérante de société, est divorcée et mère de deux enfants. Cette femme avoue son addiction à l’alcool. Voici son histoire, rare ici…
«Mon histoire avec l’alcool a débuté il y a 20 ans. Je n’étais pas du tout accro, j’en buvais pour faire plaisir à mon mari. Il adorait faire la fête. Il n’était alors pas pensable que je ne puisse pas prendre, moi aussi, un petit verre et griller quelques cigarettes avec lui. C’était quasi-obligatoire tant à la maison qu’avec les amis ou en soirée. Lorsque nous avons eu nos enfants, il n’en était plus question pour moi. J’avais tout arrêté, parce que je ne le supportais pas. Au fur et à mesure que mes enfants grandissaient, les choses entre mon mari et moi devenaient de plus en plus compliquées. Pour lui, il était hors de question que nous cessions la vie mondaine et les sorties sous prétexte que nous avions des enfants. Ce que, moi, je ne pouvais me permettre: j’avais un enfant asthmatique.
Je craignais qu’il ne lui arrive malheur durant notre absence et puis, mes enfants m’importaient plus que tout. Mon mari se mit à sortir de plus en plus souvent seul. Il voyageait de plus en plus fréquemment seul. Il était évident que nous n’avions plus les mêmes priorités, ni intérêts. Notre relation de couple s’était étiolée au point que je découvrais aussi que mon mari avait une maîtresse. J’étais jeune, tellement têtue, d’ailleurs sans réfléchir aux conséquences, je demandai le divorce. Il me l’accorda rapidement, sans problèmes. Ma première surprise a été de me rendre compte qu’on ne comptait pas du tout pour lui. Il n’avait pas attendu trop longtemps pour se remarier de nouveau. Les premières années, seule, sans travail, avec d’énormes responsabilités qu’imposaient un foyer et des bambins, j’ai connu des difficultés insurmontables. Sans parler des médisances dont j’ai été victime. Je n’oublierai jamais tous les moments humiliants, très douloureux auxquels j’ai survécu. J’attendais comme une quémandeuse que mon mari me verse la minable pension qu’il me devait. En plus, elle était tellement insuffisante pour deux enfants, dont un malade nécessitant des soins coûteux. Aussi tremblais-je qu’on ne vienne nous mettre à la porte de notre appartement de location. Mon cher ex-mari, pour m’arracher le cœur, se mit à ne plus demander à voir ses enfants. Je sentais mes enfants injustement maltraités, sans défense. Je n’arrivais pas à concevoir l’idée qu’un père puisse se tenir loin de ses enfants longtemps, de les ignorer et de ne pas s’inquiéter de leur sort. Heureusement que j’avais un métier et un petit héritage, sinon je ne sais pas ce qu’il serait advenu de nous. J’eus beaucoup de chance du côté du travail, parce qu’une belle opportunité s’est offerte à moi. Notre vie a été sauvée in extremis.
Pourtant, je me sentais comme un volcan de feu dont le noyau se consumait dans mon âme et, bizarrement, seul l’alcool m’apaisait, parce qu’il engourdissait le cerveau. Je noyais mon amertume, ma tristesse et ma rage de ne pas pouvoir me venger de ce qu’il m’arrivait dans l’alcool, chaque soir, lorsque mes enfants dormaient. Ils étaient petits et ne s’apercevaient de rien. Le plus important pour moi était de tenir, d’être forte, de ne pas sombrer et d’être un faux-semblant de maman heureuse. L’alcool m’a aidée à tenir, il a été ma seule dérive, mais aussi mon seul appui, mon seul remède durant toutes ces années. Je n’avais que ça pour faire passer sans broncher les échos de la vie de château que menait mon mari avec sa nouvelle femme et ses nouveaux enfants. Monsieur s’était acheté une villa, mais aussi une résidence secondaire dans le nord, un appartement dans le sud. Il avait plusieurs voitures de luxe. Ses enfants fréquentaient les meilleurs établissements scolaires, alors que pour mes enfants, il m’a fallu lui intenter procès sur procès et attendre longtemps pour qu’enfin je puisse lui soutirer ce qui devait couler de source. N’est-ce pas curieux? Tout cela a été très difficile pour moi à encaisser. Les années ont passé, les nombreux obstacles, je les ai sautés, mes enfants ont grandi et poursuivent leur cursus scolaire, je suis fière d’eux. Par contre, cela ne s’est pas fait avec un claquement de doigts. Je suis devenue dépendante de l’alcool, je n’arrive plus à m’en passer. Je suis tout à fait consciente que mon addiction m’est néfaste et qu’elle pourra porter préjudice à ma santé. Mes enfants le savent depuis très longtemps et évitent de me faire la morale à ce sujet. Parce que je peux devenir agressive s’ils insistent trop. Je souffre de leur infliger cette tare. Parce que, parfois, j’abuse de l’alcool et mon état devient critique. J’en ai tellement honte. Actuellement, j’ai la hantise que mon état se dégrade au point que je ne puisse plus m’en passer la journée. Ce serait très grave et nuisible à mon travail. Comment font toutes les femmes qui ont été abandonnées par leur mari, avec des enfants et qui ont du mal à s’en sortir? Comment surmontent-elles leur désespoir quand elles touchent le fond? Y en a-t-il qui sont tentées par l’alcool ou la drogue? Je me le demande. Peut-être que si je n’avais pas bu avec mon mari, du temps où nous étions jeunes, je n’aurais pas ce problème aujourd’hui? Eh oui, mon mari, je le retrouve à l’origine de tous mes problèmes et, pour oublier ça, je me tourne encore vers l’alcool… Parce que je ne peux plus faire autrement. Je suis devenue alcoolique… Et je n’ai ni les moyens, ni le soutien qu’il faut pour me soigner».
Mariem Bennani