Le Festival Gnaoua et Musiques du Monde a fêté cette année son 18ème anniversaire. L’événement, déjà grand depuis bien des éditions, a atteint la majorité. Il est ainsi plus mûr et a donc une histoire. Belle histoire tracée sur les murs des ruelles sinueuses de la cité des vents… Des vents qui, bien que très forts, n’ont pas pu effacer cette légende qui a aujourd’hui 18 ans et dont voici l’histoire telle que vécue cette année, du 14 au 17 mai…
Oui, le Festival a aujourd’hui «une histoire», clame haut et fort sa fondatrice et directrice, Neila Tazi… «Une histoire qu’il est fier de porter et de raconter… De dévoiler à tous ces amoureux de la musique pure qui viennent chaque année, en grand nombre, à Essaouira pour se ressourcer».
Un voyage de purification qui soulage, qui défoule et qui recharge d’énergie. Le périple vaut vraiment le détour… Cette année encore, fidèle à sa ligne de conduite et ses ambitions premières, le 18ème Festival Gnaoua et Musiques du Monde d’Essaouira n’a pas dérogé à la règle en termes de qualité, d’authenticité et de partage, les concerts de la deuxième soirée ayant immergé vendredi soir (15 mai) les festivaliers dans une ambiance enflammée.
Le temps des grands rendez-vous
En effet, les inconditionnels de ce rendez-vous musical international ont été gratifiés de pas moins de seize concerts donnés par les incontournables maâlems gnaoua qui ont partagé la scène avec des artistes de renoms venus de la Guadeloupe, du Mali, du Sénégal, du Nigeria et du Danemark. Telle la chorégraphie des Gnaoua scandée par le rythme du guembri, cette 18ème édition a été un tourbillon de musiques, de couleurs et d’émotions, marquée par plusieurs temps forts.
Premier d’entre eux, le concert inaugural emblématique du Festival Gnaoua: une fusion réunissant le grand maâlem Hamid El Kasri, devenu une véritable star au Maroc et Humayun Khan, musicien d’Afghanistan déjà venu en 2012 et dont le cœur était resté depuis à Essaouira, comme beaucoup de musiciens invités au cours des 18 années précédentes. Autre fusion emblématique du rapprochement des cultures, celle du groupe danois Mikkel Nordso Band et du grand maâlem Mustapha Baqbou, maître incontesté de la «tagnaouite» de Marrakech et habitué aux fusions magistrales. Les musiques issues de l’esclavage ont construit un pont par-dessus l’Atlantique lors de la fusion entre le maâlem Omar Hayat et le jazzman antillais Sonny Troupé. Tandis que le même jour sur la scène de la plage, le maâlem Aziz Baqbou dialoguait avec Jauk (surnommé le «gnaoui blanc», musicien marocain novateur dans les années 70 et au palmarès impressionnant).
Des rencontres inédites…
Mais les deux rencontres musicales, qui auront sans doute le plus marqué cette 18ème édition, sont celle entre le maâlem Mohamed Kouyou et Tony Allen, génie de la batterie et co-inventeur du style Afrobeat avec Fela Kuti (dont Tony Allen était le directeur musical) et le concert de clôture entre l’immense maâlem Mamoud Guinéa et le batteur Karim Ziad qui a véritablement inventé un style «Ziad» permettant de jongler avec aisance entre jazz et rythmes traditionnels du Maghreb. Ils étaient accompagnés du pianiste Omri Mor, du percussionniste Jauk Armal et de deux grands musiciens d’Essaouira, Saïd Abdallaoui au violon et son frère Hassan Abdallaoui à l’accordéon. Une des révélations de ce concert a été Houssam, le fils de l’inclassable Mahmoud Guinéa. Et quand le père tend le guembri à son fils, chacun comprend alors que la transmission est désormais assurée.
Les musiciens de jazz et musiques du monde invités ont su aussi apporter leurs touches à cet arc-en-ciel musical qui caractérise l’ensemble de cette programmation sans frontières. Pas besoin de visas pour les ambassadeurs, piliers de la musique malienne, venus en délégation (et en costume-cravate) sous la houlette d’un Salif Keita paradant et dansant de manière effrénée, du jazzman malien Cheick Tidiane Seck et d’Amadou Baga Yoko du duo «Amadou Et Mariam». Le jazzman et saxophoniste américain Kenny Garrett a enflammé la place Moulay Hassan, tandis que la veille, Hindi Zara emportait le public dans son univers musical et poétique où la langue berbère était transcendée par une énergie à la Patti Smith ou à la Pj Harvey. Mention spéciale à son invité et complice Mehdi Nassouli, venu au deuxième titre du concert pour apporter une touche «gnaouie» lors d’une création spéciale, véritable ode à la «tagnaouite» et à Essaouira! Enfin, les festivaliers se souviendront longtemps du concert de Aziz Sahmaoui et de ses formidables musiciens, en communion parfaite avec le public.
…et des Maâlems dans l’âme
A peine commençait-il à accorder son guembri et que ses notes résonnaient sur la place Moulay Hassan que chacun ressentait tout le bonheur de retrouver l’ambiance magique d’Essaouira et de son festival aux mille goûts et mille et un styles, ce mille et unième marqué par la douceur et la force de Abdelkebir Merchane… Ça vibre avec une énergie qu’inspire à Omar Hayat le style Hendrix, encore plus vivant à Essaouira… Puis on part en transe, épaté par la maîtrise de Hassan Boussou qui sait si bien moduler des ambiances qui subliment la musique tout en respectant la tradition et la présence charismatique et toute la puissance du maâlem Mamoud Guinéa.
Les grands noms de la «tagnaouite» ont également retrouvé leur public comme chaque année dans les concerts intimistes, les lilas (veillées) de Dar Souiri et de la Zaouia, des concerts qui renforcent la part d’authenticité et de délicatesse acoustique dans ce déluge de musiques qui nourrissent l’âme.
Cette année, la part belle était donnée à la nouvelle génération de musiciens. Tout d’abord sur les scènes où les spectateurs ont pu découvrir des groupes très prometteurs. Notamment Tadingua, groupe formé de jeunes musiciens d’Essaouira qui se produisait pour la première fois sur une scène de cette ampleur et Timbuktu, formation née de la rencontre de jeunes musiciens marocains et sénégalais installés au Maroc qui prouvent par leur musique les liens innombrables qui unissent le Maghreb à l’Afrique noire. Et toute cette nouvelle génération trouve son leader en Mehdi Nassouli, maâlem 3.0, dont le talent et la notoriété ne cessent de grandir.
En marge des spectacles, le Festival Gnaoua et Musiques du Monde d’Essaouira et l’association Yerma Gnaoua ont initié «OMA», un dispositif novateur d’accompagnement de la nouvelle scène, en partenariat avec la fondation Hiba, le Boultek et l’Uzine. Le projet «OMA» propose aux jeunes musiciens d’Essaouira une palette d’ateliers de pratiques instrumentales, de coaching scénique, de formation à la communication de terrain et sur les réseaux sociaux, de mise en place d’un processus de professionnalisation à dimension nationale… répartis en diverses phases de sélection sur plusieurs mois. Ce dispositif, à long terme, devrait permettre l’éclosion et l’accompagnement d’une nouvelle scène locale.
Ainsi, au-delà de sa mission d’unir, au-delà de la fusion qui marque cet événement par un brassage de musiques millénaires et ancestrales qui se retrouvent en parfaite harmonie sur les scènes d’Essaouira, le Festival s’est investi d’une autre noble mission qu’est celle de perpétuer cet art et de l’ancrer dans le vécu quotidien de ceux qui l’aiment et qui en sont imprégnés… Plus la peine aujourd’hui d’être originaire du Mali ou de Guinée, d’être naufragé du grand désert marocain qui s’étendait jusqu’au fleuve du Niger et au-delà de la ville de Haratan, pour prétendre à «tagnaouite». Le festival a réussi à en faire une ligne de conduite et un mode de vie qu’on peut suivre et adopter ne serait-ce que le temps d’un festival et ça, c’est déjà une réussite en soi… Fin de l’histoire.
DNES à Essaouira, Hamid Dades