Quelles conclusions tirer de ces élections du 8 septembre 2021 ? Mais d’abord, quelles surprises ?
Car, en effet, la 1ère surprise de ce triple scrutin (élections communales, régionales et législatives organisées, pour la 1ère fois le même jour, au Maroc) a été le niveau du taux de participation.
Nous étions tous sceptiques à ce sujet et nous avions tous pronostiqué, avec plus ou moins de certitude, un taux de participation aussi faible qu’à son habitude. Voire plus… (Y compris dans cette même tribune, la semaine dernière, nous le reconnaissons).
L’explication en est simple. Nous partions tous des avis, opinions et commentaires que nous collections et/ou constations autour de nous. C’est-à-dire, dans les grands centres urbains. Et notamment à Casablanca qui a effectivement enregistré le plus faible taux de participation.
Mais –belle leçon d’humilité- le Maroc n’est pas limité aux grands centres urbains. Les petites villes et le vaste monde rural, où les taux de participation ont été très importants, de même que les 3 régions du Sahara, où ces taux ont explosé, ont démenti tous les pronostics pessimistes.
Le taux de participation final pour ces élections du 8 septembre 2021 a été de 50,35%. Un taux supérieur à celui de 2011 (45,40 %), année pourtant du «Printemps arabe» qui avait politisé toute la population ! C’est dire…
La 2ème surprise –et elle est de taille- a consisté dans l’incroyable score du parti qui dirigeait la Majorité gouvernementale depuis 10 ans: le PJD (parti Justice et Développement, islamiste). Au scrutin de ce 8 septembre 2021, le PJD n’a décroché que 13 sièges au Parlement, contre les 125 qu’il avait jusque-là ! 13 sièges seulement ! Loin derrière toutes les formations de la Majorité et de l’opposition actuelles. Déroute, Bérézina, débâcle… Il n’est pas de qualificatif assez fort pour rendre compte de cette dégringolade.
Certes, nombreux sont ceux qui s’attendaient à un échec du PJD aux élections de 2021. Ce parti islamiste était arrivé au pouvoir à la faveur du «Printemps arabe», en 2011. Il y est resté 10 ans, remportant les élections de 2016 après celles de 2011 et se voyant ainsi investi de deux mandats de 5 ans chacun.
Mais alors qu’à son rejet -depuis le début- par les modernistes, se sont ajoutées –au fil des années- ses divisions, les frasques de certains de ses membres et la déception de ceux qui avaient massivement voté pour lui ; et qu’il n’y avait plus grand monde pour souhaiter le voir remporter un 3ème mandat de 5 ans ; personne cependant n’avait imaginé que sa chute serait aussi sévère !
Ceux qui s’attendaient à son échec pensaient le voir relégué à la 2ème place, au pire à la 3ème ou 4ème, avec quelques sièges perdus… Mais jamais au grand jamais à l’humiliante 8ème place (quasiment la dernière), suivi de 4 petits partis seulement qui n’ont eu –respectivement- que 5, 3, 1 et 1 sièges.
Cet effondrement est tel que le parti ne peut l’imputer ni à des irrégularités, ni aux dispositions de la loi électorale, ni à une quelconque interférence… Même le quotient électoral, désormais calculé sur la base des inscrits et non des votants, ne peut être incriminé. Bien au contraire, sans cette nouvelle règle à laquelle s’était violemment opposé le PJD, ce parti aurait obtenu moins de 13 sièges ; et le RNI, aujourd’hui grand vainqueur avec ses 102 sièges, en aurait obtenu davantage.
Perdre 112 sièges en dégringolant de 125 à 13 sièges ne peut avoir qu’une explication simple, prosaïque: le parti a perdu ses électeurs. Certains observateurs se sont même demandé s’il avait réellement une base, tant il est difficile de concevoir qu’elle se soit évaporée aussi brutalement.
Les mauvais jours commencent pour le PJD. Les critiques pleuvent sur le chef du Gouvernement sortant, Saad Eddine El Othmani. Et Abdelilah Benkirane, qui a une revanche à prendre sur son frère ennemi, se positionne déjà pour reprendre la tête du parti (sans élégance, du reste: dès les résultats communiqués, il a posté une lettre sur la toile, enjoignant El Othmani de démissionner, alors qu’il était clair que ce dernier allait le faire de toutes les façons).
Quelle que soit la nouvelle direction, le parti -qui se retrouvera bien évidemment dans l’opposition- aura clairement des difficultés à remonter la pente. Il a incarné l’ère post-«Printemps arabe», une ère dont la parenthèse se ferme aujourd’hui.
Quant au RNI qui dirigera la Majorité, conformément à l’article 47 de la Constitution (Art 47: «Le Roi nomme le Chef du Gouvernement au sein du parti politique arrivé en tête des élections des membres de la Chambre des Représentants, et au vu de leurs résultats»), sa victoire est totale. Il est classé 1er aux Législatives, comme aux Communales. C’est une lourde responsabilité.
Elle sera, certes, partagée avec les autres membres de la Majorité, sachant que le RNI n’a que 102 sièges, alors qu’il en faut au minimum 198 (la Chambre des Représentants comptant 395 membres) et plus de 200 pour une Majorité confortable. Nul ne sait encore quels partis constitueront cette Majorité. Il appartiendra au RNI, dès que le Roi aura nommé le nouveau chef de Gouvernement au sein de ce parti (son Président Aziz Akhannouch semble tout désigné), d’engager les consultations avec les autres formations. Il y en a deux qui, avec le RNI, ont dominé ces élections: le PAM (87 sièges) et le parti de l’Istiqlal (81 sièges). C’était presque partout le trio gagnant. Mais il y a aussi l’USFP (34 sièges), le Mouvement Populaire (28), le PPS (22) et l’UC (18), généralement tous prêts à rejoindre la Majorité. Tout dépendra du choix qui sera fait entre une Majorité ramassée et une Majorité plus ou moins large.
Une chose est sûre, dans le contexte actuel, les défis du RNI sont immenses. Mais le parti, contrairement aux critiques, s’est investi depuis longtemps dans cette bataille électorale. Il a déployé une stratégie imparable, sillonnant le pays, se rendant sur le terrain, ciblant à la fois les citoyens, les notables. Parallèlement, ses ministres (Aziz Akhannouch lui-même/ministre de l’Agriculture, Mohamed Benchaaboun/ministre des Finances, Moulay Hafid Alami/ministre du commerce et de l’Industrie…) étaient parmi les membres du Gouvernement les plus actifs, notamment durant ces deux années de crise sanitaire. Les compétences qu’il peut mettre en avant, comme Amina Benkhadra (DG de l’ONHYM), comptent aussi parmi ses avantages.
Le parti a une feuille de route claire, avec la vision royale déclinée en grands chantiers et –ce qui est très important- un projet de société porté par le Souverain que le RNI et ceux qui l’ont élu partagent entièrement.
Son grand défi consistera à veiller à ne pas décevoir.
Bahia Amrani