La guerre de sécession n’a pas vraiment cessé, ça c’est sûr !
Cette formule humoristique retournée reflète une réalité dramatique.
Malgré l’abolition de l’esclavage, puis de la ségrégation, malgré l’élection à la Maison Blanche d’un président noir, le racisme reste un marqueur déterminant des fractures américaines. Une violence de blancs n’ayant jamais accepté les évolutions et qui militent dans des organisations marginales, mais dangereuses.
Aux Etats-Unis, les enquêteurs cherchent à en savoir plus sur les motivations racistes et opinions qui ont amené Dylann Roof à ouvrir le feu dans une église de Charleston, en Caroline du Sud. Leurs investigations les ont menés vers un site internet qui pourrait être celui du jeune homme. Intitulé «lastrhodesian.com», ce site n’est plus accessible. On y trouvait un long texte ouvertement raciste et indiquant la volonté de son auteur de commettre un crime. Sur ce site, Dylann Roof apparaît armé, brandissant le drapeau des confédérés.
«Il est temps de retirer le drapeau qui flotte sur les terres du Capitole». Nikki Haley, gouverneure de Caroline du Sud, ovationnée, parle du drapeau confédéré, considéré par certains comme le symbole des esclavagistes.
Et le président Obama a alimenté la polémique en déclarant, lundi 22 juin, que les Etats-Unis étaient loin d’être guéris du racisme, 150 ans après la guerre de sécession. «La discrimination n’existe plus, mais le problème du racisme n’est pas réglé», selon Barack Obama qui a ajouté à la polémique en prononçant le mot «nègre» dans un entretien. Le terme «nigger» en anglais a une longue histoire aux Etats-Unis et les hommes politiques s’interdisent habituellement de l’utiliser. Il est souvent remplacé par l’expression «N-Word».
En l’employant, le président américain a sciemment voulu nourrir un débat, a déclaré le porte-parole de la Maison Blanche, Josh Earnest. Le terme a été censuré par la plupart des médias. Une censure qui paradoxalement fait écho aux propos de Barack Obama: «Ce n’est pas parce qu’on est poli et qu’on ne dit pas «nègre» en public qu’on efface le racisme».
Certains prétendants à la Maison Blanche, comme Ted Cruz ou Marco Rubio, ont refusé de prendre position dans le débat qui agite le pays depuis la tuerie. Selon les observateurs, il s’agit de ménager leur base électorale. D’après un sondage effectué en novembre dernier en Caroline du Sud, près des trois-quarts des habitants blancs souhaitent que le drapeau continue à flotter devant le Parlement. Aussitôt déployé au cœur des débats, il n’a d’ailleurs pas tardé à connaître un regain d’intérêt suspect sur les plates-formes des grands distributeurs online qui ont vu leur commande dudit étendard exploser. Depuis, Amazon, Ebay et Walmart (parmi d’autres) en ont suspendu la vente, tandis que Google a décidé de ne plus afficher de publicité pour le drapeau dans ses recherches.
La tuerie de Charleston, qui a suscité une vive émotion dans tout le pays, vient rappeler que le mouvement suprémaciste blanc, dont le célèbre Ku Klux Klan, existe toujours aux États-Unis. Son credo? La supériorité raciale de la «race blanche» et une profonde méfiance envers l’Etat perçu comme un obstacle à l’exercice de la liberté individuelle.
Selon Stéphane François, chercheur au CNRS spécialiste des États-Unis, interviewé par France Info: «Il y a deux tendances radicales d’extrême droite aux États-Unis. La première, c’est la tendance néo-nazie qui comprend les skinheads. La seconde, c’est celle des suprémacistes blancs. C’est une tendance de confession protestante, un racisme avec un fond chrétien. En tout, on compte environ 100.000 personnes aux États-Unis qui adhèrent à une de ces deux tendances. C’est une minorité très agissante».
La présence de ces mouvances n’est pas négligeable dans le pays. Selon les chiffres du «Southern Poverty Law center», cités par le Huffington Post, les États-Unis comptent 930 groupuscules suprémacistes qui affichent des points de vue ouvertement racistes. Or, ils étaient autour de 600 dans les années 2000. L’existence de ces groupes est rendue possible par le 1er amendement qui accorde la liberté d’expression totale aux Américains et empêche donc de sanctionner des propos racistes, comme cela est le cas en France.
Dans un article du «New York Times» publié trois jours avant la tuerie de Charleston, deux chercheurs, Charles Kurzman et David Schanzer, avancent que depuis le 11 septembre 2001, les extrémistes de droite ont perpétré 337 attaques qui ont fait en tout 254 morts. Ce qui est un chiffre effarant, alors qu’on ne parle presque jamais de cette violence.
Les Etats-Unis ont-ils réellement surmonté les plaies ouvertes de la guerre de sécession, l’abolition de l’esclavage et la fin de la ségrégation raciale? On a salué prématurément Obama, président noir, comme le premier président post raciste.
L’Amérique post raciste? Apparemment il n’en est rien.
Patrice Zehr