Avec le jugement de première instance du Tribunal de l’Union européenne (UE) concernant les accords agricole et de pêche avec le Maroc, les exportateurs marocains retrouvent le sens du combat. La tentation actuelle des exportateurs est clairement de lancer de nouveaux marchés comme celui des USA et du Canada.
«La qualité des produits marocains permet de lancer de nouvelles destinations à nos exportations. On veut remplacer le marché de l’UE. Les 20% du pélagique qu’on vend encore sur cette destination, on va essayer de les vendre aux USA. Et peut être plus. Les perspectives sur ce marché s’annoncent très prometteuses. On travaille d’ailleurs sur ce dossier avec la Fédération nationale des industries de transformation et valorisation de la pêche (FENIP), l’Association Marocaine des Exportateurs (ASMEX) et Maroc Export», nous déclare Kamal Yahyaoui, exportateur de produits de la mer à Dakhla.
Les exportateurs marocains donnent donc la couleur. Ils entendent miser sur d’autres marchés. Car ils n’ont plus confiance dans le marché européen, fustige cet exportateur, membre de l’Association Marocaine des exportateurs des produits de la mer.
Grâce à la dynamique engagée depuis plus de cinq ans, le secteur des exportations devrait pouvoir continuer à lancer de nouveaux marchés. La Fenip, l’Asmex et Maroc export ont entretenu, selon des sources proches du dossier, plusieurs séances de travail et de concertation avec les exportateurs, où la question a été au centre des réflexions.
Pour l’instant, une étude est en cours de réalisation sur le marché des pélagiques et des céphalopodes aux USA, mais les exportateurs ne “s’interdisent rien” pour faire du marché américain une des priorités de l’année 2022. Le Maroc n’a pas pu profiter du grand potentiel du marché américain, puisque la présence des produits halieutiques marocains sur ce marché ne dépasse pas 6% de la valeur des exportations totales des produits de la mer, selon des sources à la Fenip. «Avec la Fenip, l’Asmex et Maroc Export, on a monté un dossier pour promouvoir le produit marocain dans ce marché», précise-t-on.
Difficile de continuer à exporter sur un seul marché
Si, avant 2008, le royaume exportait 80 % de sa production en pélagique vers le marché européen et 20% vers les autres destinations, le produit marocain de qualité a retrouvé des couleurs hors de cette destination et ce, depuis 2017, indique l’exportateur Kamal Yahyaoui. «Aujourd’hui, seul 20 % du pélagique –qui représente le gros calibre des industries- est actuellement exporté à l’UE. Le produit marocain, qui s’est construit une belle réputation pour sa qualité, est commercialisé de plus en plus dans plusieurs pays, y compris l’Amérique latine, l’Afrique du sud et l’Asie, à la faveur de l’engouement des consommateurs pour les produits de mer marocains. Le Maroc ne compte donc pas uniquement sur le marché de l’UE pour l’exportation de ses produits», affirme notre interlocuteur, qui exporte seulement entre 10 et 15% à l’UE.
Avec la crise financière de 2008, difficile de continuer à exporter sur un seul marché. «Au lendemain de cette crise, nous nous sentions tout à fait impuissants face à l’impact de la crise», reconnait cet exportateur. Pour les entreprises marocaines qui commerçaient uniquement avec les pays de l’UE, poursuit-il, les conséquences étaient lourdes. «La pêche des produits comme ceux des pélagiques dépendait à 100% de l’exportation vers l’Union européenne. Les sociétés exportatrices, qui n’étaient pas bien préparées, s’inquiétaient beaucoup pour leur activité chaque fois qu’il y a un problème sur ce marché. Continuer à exporter sur ce marché n’était plus admis. On a donc pris la décision de diversifier nos marchés, en 2015, année où un autre jugement était prononcé par le même Tribunal européen», précise Kamal Yahyaoui.
Aucune inquiétude chez les professionnels
Le jugement de première instance du Tribunal de l’Union européenne (UE) concernant les accords agricole et de pêche avec le Maroc ne semble vraiment pas constituer une mauvaise nouvelle pour les exportateurs marocains. «Cette décision n’aura aucune répercussion immédiate sur les exportations marocaines. Ce jugement n’est pas définitif et ne va rien changer sur le terrain», affirme Fouad Benallali, président de la Chambre de pêches maritimes de l’Atlantique Centre-Agadir, précisant que les produits des provinces du sud continuent à être exportés, que ce soit ceux de l’agriculture ou de la pêche. Le président de la Chambre a, à cette occasion, indiqué que les investissements accomplis par le Maroc dans les zones du sud sont énormes et constituent un saut qualitatif.
A la Confédération nationale de la pêche côtière (CNPC), on se dit aussi rassuré. «Nous ne sommes pas inquiets et nous tenons à apporter tout notre soutien au gouvernement marocain», souligne Larbi Mhidi, président de la CNPC.
La Maroc ne restera pas les bras croisés si le même jugement est prononcé par le tribunal européen, dit-il. Mais «Le gros perdant –si arrêt des deux accords il y a- c’est surtout l’UE», estime ce professionnel de la pêche, également 1er vice-président de la Chambre de pêches maritimes de l’Atlantique Nord-Casablanca.
«Ce genre de manœuvre –qui n’est autre qu’une manœuvre politique orchestrée par les adversaires de l’intégrité territoriale de notre pays- n’en finit plus. Et ce que l’on constate, c’est que chaque fois que l’accord de pêche approche de sa fin, ce genre de manœuvres refont surface pour tenter d’affaiblir la position du Maroc lors des prochaines négociations», fustige le président de la CNPC, lequel estime que ledit accord bénéficierait plus aux pêcheurs européens.
Plusieurs voix professionnelles soutiennent à ce sujet que la situation serait très critique en ce qui concerne les réserves halieutiques. «Nos stocks ne permettent plus un nouvel accord avec l’Union européenne», estiment ces mêmes voix, qui accusent les pêcheurs européens de «pêcher dans les eaux marocaines sans respecter les termes de l’accord Maroc-UE».
A l’Association Marocaine des Producteurs Exportateurs de fruits et légumes (APEFEL), aucune inquiétude chez ses membres, non plus. «Cette animosité ne date pas d’hier. Cela fait plusieurs années que les adversaires de l’intégrité territoriale de notre pays font tout pour nuire à nos exportations», martèle un membre de cette association, qui pointe aussi un lobby européen. Ceci dit, «On n’est pas inquiet. On sait que l’Etat marocain est en passe d’accomplir sa part de travail pour préparer la riposte. En attendant le verdict en appel, nos membres dans les provinces du sud continuent d’écouler leurs marchandises», tient à préciser notre source.
Bien que la décision de la Cour européenne ne touche pas directement les professionnels marocains de la pêche et de l’agriculture, le sujet suscite des interrogations. «On ne comprend pas ce jugement de première instance du Tribunal de l’UE concernant le recours en annulation des décisions du Conseil européen au sujet des accords agricole et de pêche avec le Maroc. Cette décision n’a aucun sens et il y a une grande confusion autour de ce jugement», s’interroge l’exportateur des produits de la mer Kamal Yahyaoui, qui, à cette occasion, rappelle que le taux de participation des populations des provinces du sud est le plus élevé lors des élections du 8 septembre 2021.
Notre interlocuteur ne mâche pas ses mots. «Certes, il y aura un pourvoi en appel devant la Cour de justice de l’UE contre ce jugement. Mais on n’a plus confiance dans ce marché européen. Car c’est un marché qui n’est plus « stable » et qui dépend des crises financières et de décisions politiques. Heureusement pour nous, depuis plus de cinq ans, on a pris la décision de diversifier nos marchés notamment pour le pélagique», explique cet exportateur.
Naîma Cherii