Sous marin nucléaire | Les dents de la mer

L’affaire de la vente de sous marins nucléaires à l’Australie parait aux antipodes géographiques des préoccupations qui caractérisent la ligne éditoriale de ce journal. Il n’en est rien. Cela  prouve nettement que le centre géoponique du monde s’est déplacé vers la Chine et le Pacifique.

S’il y a une prochaine guerre mondiale, c’est de là qu’elle surgira. Cela pose la question de l’importance capitale dans les arsenaux militaires des sous marins nucléaires. Ces bâtiments porteurs d’ogives sont totalement indépendants énergétiquement et peuvent donc être n’importe où. Un pays attaqué et même envahi et battu peut répliquer de sous la mer par un feu nucléaire contre son ennemi. C’est sans doute actuellement, et avant l’espace, la frontière ultime de la dissuasion. Depuis 1945, les équilibres géostratégiques entre puissances de rang ou à vocation mondiale sont structurés par la dissuasion nucléaire. Elle a gelé depuis 75 ans tout affrontement militaire direct entre elles, au risque d’une destruction complète de l’humanité. Un phénomène géohistorique inédit par rapport au premier XXe siècle qui connut deux guerres mondiales dévastatrices. Depuis la fin de la «Guerre froide», le duopôle États-Unis/URSS a fait place à une architecture mondiale de plus en plus polycentrique dans un monde plus instable et conflictuel.

La crise diplomatique qui a éclaté à la mi-septembre entre la France et l’alliance AUKUS (réunissant l’Australie, le Royaume-Uni et les États-Unis) l’a bien démontré: les sous-marins sont loin d’être des instruments de figuration en matière géostratégique. Pour faire contrepoids à la menace chinoise dans la région indo-pacifique, l’Australie a préféré se tourner vers des sous-marins américains à propulsion nucléaire -plus furtifs et pouvant rester immergés plus longtemps—, tirant dans le même temps un trait sur les douze submersibles à propulsion conventionnelle promis depuis 2016 par la France et Naval Group, pour 8 milliards d’euros. Ce qui surprend c’est que l’Australie est un pays en pointe contre l’énergie nucléaire. Mais il y a un avantage évident. L’avantage des sous-marins nucléaires est qu’ils n’ont pas besoin de remonter à la surface et peuvent rester immergés, donc furtifs, plus longtemps.

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Dans son dernier Atlas économique de la mer, l’hebdomadaire le marin a dressé la carte des flottes de combats dans le monde. Seules six nations possèdent aujourd’hui des sous-marins lanceurs d’engins nucléaires dits «SNLE»: la France (4), le Royaume-Uni (4), la Chine (4), l’Inde (1) mais surtout la Russie (13) et les États-Unis (14).

Ces engins de très grande taille sont les plus puissants: ce sont les seuls à brandir la menace d’une frappe nucléaire. Ils sont surtout prévus en cas de riposte, notamment en raison de la difficulté de les localiser. Ce sont les sous-marins qui plongent le plus profond (le chiffre est gardé top-secret) et ils font preuve d’une très grande discrétion sur un plan acoustique. Ce sont tous des sous-marins à propulsion nucléaire.

Le nucléaire demeurant la pierre angulaire des rapports de force mondiaux, il convient de s’intéresser comme géographes aux forces nucléaires stratégiques sous-marines. Car comme le souligna dès 1976 Yves Lacoste, «la géographie, ça sert d‘abord à faire la guerre»… Ou la paix d’ailleurs, même armée. Et il n’y a rien de plus géographique que la mise en œuvre et le déploiement des SNLE, le Sous-marin Lanceur d’Engins (balistique), ou pour le sigle anglo-saxon le SSBN (Sub Surface Nuclear Balistic). Et il n’y a pas meilleures praticiennes d’une géographie océanique que les sous-marinades.

Il y a plusieurs raisons à cela. À l’échelle mondiale, les SNLE sont au cœur de l’arsenal nucléaire stratégique des États-Unis, de la France, du Royaume-Uni et de la Chine ; ils vont l’être à moyen terme pour l’Inde. À l’échelle continentale, le déploiement des patrouilles dans les espaces maritimes du globe doit arbitrer entre de multiples facteurs géographiques, géopolitiques et géostratégiques et le maintien de la crédibilité de leur seule et unique mission –la mise en œuvre de la dissuasion nucléaire– qui les contraint de rester indétectables. Enfin, aux échelles régionale et locale, ces puissants systèmes d’armes ont besoin pour leur mise en œuvre et leur projection maritime de ports d’attache et de bases navales efficientes qui construisent des territoires spécifiques. Par leur rôle névralgique, ceux-ci figurent d’ailleurs parmi les lieux les mieux protégés au monde. Pendant longtemps dominée par l’affrontement entre États-Unis et URSS, la géographie de la dissuasion est aujourd’hui plus multipolaire tandis qu’émerge un nouvel acteur face aux États-Unis, la Chine. À un relatif désarmement mondial pourrait succéder une nouvelle course à l’armement. L’onde de choc de l’Aukus déclenchée par Joe Biden dans le Pacifique, promettant des sous-marins nucléaires à l’Australie, se fait sentir jusque sur les rives de la péninsule coréenne, à 8000 km de Sydney. Le transfert de technologie consenti par le président américain, dans le cadre du pacte trilatéral annoncé le 15 septembre avec Canberra et Londres, relance, par ricochet, les appétits anciens de Séoul de se doter de submersibles à propulsion nucléaire, en pleine rivalité militaire avec le leader suprême Kim Jong-un, et escalade des tensions sino-américaines. «Les Américains ont ouvert la boîte de pandore!», juge un ancien militaire basé à Séoul, prédisant une course aux submersibles en Asie du Nord-est.

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Patrice Zehr

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