Des événements très importants viennent de se produire. Ils modifient considérablement les données internationales. Bien sûr, on ne sait pas vraiment comment les choses vont évoluer, mais les changements sont majeurs et incontestables.
On notera cependant que le monde arabe, lui, semble figé et avoir du mal à prendre la mesure de ce qui se passe ailleurs et même au sein du monde musulman.
Le cas grec illustre la montée en puissance, par rapports aux Etats-nations fondés sur la volonté populaire et les urnes, d’un fédéralisme financier européen, autoritaire et dominé par l’orthodoxie économique à l’Allemande. La France aura joué un rôle modérateur et aura peut-être évité l’éclatement ou simplement retardé la crise majeure d’une union européenne dont l’évolution peut inquiéter.
Au pays qui a inventé la démocratie, un régime de référence que l’Union veut imposer partout avec ses normes libérales, on a voté par référendum pour rien. Le peuple a parlé et a dit non… Son propre gouvernement se voit cependant, pour le moment, obligé d’imposer ce que ceux qui l’ont élu ont refusé. C’est tout de même, quels que soient les torts des Grecs et leurs responsabilités accablantes dans leur situation, une étrange conception de la démocratie. Il y a eu en Europe un putsch institutionnel donnant le pouvoir aux financiers, au mépris des politiques. Un protectorat nouveau mais limitant la souveraineté dans une approche quasi coloniale.
Cela va renforcer les partisans d’une gouvernance économique européenne supra nationale, mais aussi ceux qui ne veulent pas d’une Europe technocratique méprisant la souveraineté nationale et populaire.
Si l’on peut parler donc d’un renforcement du mondialisme en Europe, on voit d’un autre côté se former une «communauté internationale» rivale de celle alliée ou soumise aux USA.
Un an après l’annulation du sommet des huit pays les plus puissants de la planète sur les bords de la mer Noire, à Sotchi, en mars 2014, prélude à l’exclusion de la Russie de la cour des grands en réaction aux événements en Ukraine, le président russe a réuni autour de lui quinze chefs d’Etat et de gouvernement à l’occasion d’un double sommet qui s’est achevé le vendredi 10 juillet. Organisée à Oufa, dans la République russe du Bachkortostan, à 1.200 kilomètres de Moscou, la réunion des Brics, le groupe des pays émergents (Brésil, Russie, Inde, Chine, et Afrique du Sud), combinée à celle de l’Organisation de coopération de Shanghaï (OCS, six pays dont la Chine et la Russie) ont permis à Vladimir Poutine de sortir de son isolement et de discourir sur les affaires du monde. Le menu des discussions est avant tout économique à Oufa. Avec pour principal résultat: le lancement de la nouvelle banque des Brics qui, dotée d’un capital initial de 50 milliards de dollars (45 milliards d’euros), installée à Shanghaï et présidée par un vétéran du secteur banquier indien, doit financer des projets d’infrastructures. Et créer un fonds de réserve de change commune de 100 milliards de dollars (90 milliards d’euros). De quoi ouvrir de nouvelles perspectives entre Pékin et Moscou qui, depuis le début de la crise ukrainienne, ont multiplié les accords commerciaux, mais traversent des troubles: récession en Russie, krach boursier en Chine.
«Entre nos deux pays, le potentiel est énorme. Les projets concrets d’investissements sont nombreux. La nouvelle banque de développement aidera à les financer», a expliqué à «La Croix» Georgy Petrov, vice-président de la Chambre de commerce et d’industrie russe.
Mais, pour Vladimir Poutine, le rendez-vous d’Oufa est avant tout politique. Le sommet des Brics est présenté par les agences du Kremlin comme «une excellente occasion d’afficher sa souplesse et son aptitude à braver les sanctions occidentales».
Dans Rossiïskaïa Gazeta, journal des autorités, l’analyste Fiodor Loukianov va plus loin. Il affirme que le «rapprochement des Brics va transformer l’ordre mondial et remettre en cause la domination de l’Occident». Tout cela, alors que l’accord sur le nucléaire iranien réintroduit le pays dans un rôle mondial à part entière. Cela inquiète à la fois l’islam sunnite et Israël.
Israël ne croit pas en la sincérité iranienne et les pays sunnites voient l’Iran s’impliquer aux côtés des alliés dans la lutte contre Daech pour accroître son rôle en Irak et en Syrie, sans parler du Yémen. Le train du rapprochement entre Washington et Téhéran semble bel et bien en marche. Et il pourrait corriger une bien curieuse anomalie. Bien qu’il ne fasse pas partie de la coalition internationale contre l’organisation Etat islamique (EI), l’Iran demeure sur le terrain le premier pays étranger combattant les djihadistes en Irak. Si Washington et Paris, qui bombardent l’EI depuis les airs, démentent toute «collaboration» avec les Iraniens, la plupart des observateurs soulignent qu’une guerre contre les soldats du «califat» sera vaine sans l’aide effective de Téhéran. Le président iranien le sait pertinemment et s’est fendu d’un tweet révélateur: «Maintenant que cette crise, qui n’était pas nécessaire, est résolue, de nouveaux horizons émergent pour se concentrer sur les défis communs», autrement dit la lutte contre l’organisation Etat islamique.
La donne change, le monde arabe doit très vite en tenir compte avec réalisme et vision d’avenir.
Patrice Zehr