Migrants : Le dilemme des Européens

Petite migrante terrorisee

La photo d’un enfant syrien mort noyé sur une plage turque accentue la mauvaise conscience des Européens vis-à-vis du drame des immigrés. Mais il y a «deux Europe»…

L’exploitation médiatique de la photo du petit Aylan Kurdi, rejeté par la mer, le plus souvent sincère mais pas sans arrière-pensées politiques, ne suffira certes pas à régler les problèmes de fond.
Il y a deux Europe en fait face au drame des migrants. Celle de Merkel et de l’Allemagne qui se veut généreuse, ouverte et pense avoir les moyens d’assumer ses valeurs. Et celle d’Orban et de la Hongrie qui voit les migrations comme une invasion menaçante sur le plan ethnique et religieux.

Si tous les gouvernements de l’Ouest voudraient bien avoir une image de générosité et d’accueil, ils se méfient du choc en retour populiste dans leurs opinions publiques. Quant aux Européens de l’Est, ils ont une vision souvent plus nationaliste qu’européenne du problème.
La presse en général salue l’attitude responsable et exemplaire de la chancelière allemande face à la crise des réfugiés, dans une Europe encline aux réactions populistes et au repli. «Un cri fait vaciller les équilibres de l’Europe, écrit le Corriere della Sera. ‘‘Germany, Germany!’’. C’est un hurlement, plus qu’un slogan, qu’entonnent à pleins poumons les migrants bloqués en Hongrie, alors qu’ils tentent de rejoindre le sol allemand».
S’ils ont choisi l’Allemagne pour destination, ce n’est pas uniquement pour sa taille et sa prospérité, explique le quotidien de Milan, «mais surtout parce qu’elle incarne, avec ses limites, un modèle de gouvernance, d’intégration, de responsabilité, de société organisée». Et la nouveauté, «c’est que Berlin accepte finalement cette réalité et que, ce faisant, il élève le niveau auquel toute l’UE doit se mesurer».
Les gouvernements sont souvent en décalage avec les opinions publiques. Le cas de la France est révélateur.
L’opinion publique reste majoritairement (à 56%) opposée à l’accueil de migrants et de réfugiés sur le territoire français, avec un clivage marqué entre la gauche et la droite, selon un sondage Elabe pour BFM TV. Les sympathisants Europe Écologie-Les Verts sont les plus favorables à cette idée (73%), suivis des électeurs socialistes (68%) et du Front de gauche (56%). L’opposition la plus marquée se trouve chez les électeurs Front national (91%), suivis des sympathisants UMP/Les Républicains (67%). Les sondés proches de l’UDI sont majoritairement favorables à l’accueil de migrants (à 66%), tout comme ceux du MoDem (à 67%).
A l’Est, l’opposition est beaucoup plus forte.
Entre peur de l’inconnu et du terrorisme, xénophobie et autodéfense de l’ex-pauvre, les causes des réticences des pays de l’Est à l’égard de l’accueil des réfugiés sont multiples. Plusieurs responsables occidentaux, dont la chancelière Angela Merkel et le chef de la diplomatie française Laurent Fabius, ont récemment critiqué les pays de l’Est pour leur peu d’empressement à participer à l’accueil de migrants.
L’émotion cependant gagne du terrain en Europe, notamment avec le petit mort de la plage turque.
Peter Bouckaert, le directeur des situations d’urgences de l’ONG Human Rights Watch, a été l’un des premiers à diffuser cette image sur Twitter, rapporte le quotidien belge Le Soir. «S’arrêter un moment et s’imaginer qu’il s’agit de votre enfant, noyé alors qu’il fuyait la Syrie pour trouver la sécurité en Europe», a-t-il écrit. «L’approche inquiétante des pays européens face à l’afflux de migrants est source de tristesse et la crise devrait être abordée sous l’angle des droits de l’homme», a commenté dans la soirée le Conseil turc de sécurité nationale dans un communiqué.
«La photo qui donne une claque à l’Europe», «Notre honte à tous», «L’humanité naufragée», pouvait-on lire sur les réseaux sociaux, mercredi soir (2 septembre). Cette photo, c’est celle d’un enfant, vêtu d’un tee-shirt rouge, d’un short bleu et de petites chaussures, gisant le visage tourné contre le sable de Bodrum, l’une des plages les plus fréquentées de Turquie. Selon les médias turcs, Aylan Kurdi, âgé d’à peine trois ans, était originaire de la ville syrienne de Kobane, à la frontière turque, en proie il y a quelques mois à de violents combats entre les djihadistes de l’Etat islamique et les Kurdes.
Cela impose une nécessité d’agir au-delà de l’émotion et de la facile exploitation d’un drame inacceptable.
C’est l’inertie qui laisse le champ libre aux passeurs et est à l’origine de la multiplication des drames dans des camions ou des embarcations de la mort pour les candidats à l’immigration. C’est aussi l’absence de réponse adaptée qui déclenche des flambées de violence xénophobe dans des pays européens
Il faut donc agir, mais «comment» est un autre problème.

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Patrice Zehr

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