Bon. D’accord. L’idée du Pass vaccinal part d’une bonne intention. En finir avec cette maudite pandémie. Accélérer le pas vers l’immunité collective, quitte à forcer un peu la main aux vaccino-sceptiques, pour un retour -enfin !- à la vie normale et pour un définitif sauvetage des secteurs économique agonisants, dont dépendent des centaines de milliers d’emplois… Si ce n’est des millions.
Tout cela est facile à comprendre et la majorité des citoyens le comprennent.
Par contre, ce qui n’est absolument pas compris, c’est cette incapacité totale de nos responsables à intégrer dans leur démarche ce qui s’appelle… «Un délai d’application» ! Ce n’est pas la 1ère fois que le problème se pose.
Dans quelle langue faut-il donc leur expliquer qu’une décision est toujours accompagnée d’un «délai d’application» ?!
A défaut de concertation préalable, il faut au moins un «délai d’application» !!
Il faut accorder à ceux à qui s’applique la décision, le temps de s’y adapter, de s’y préparer, de prendre leurs dispositions.
Le dicton marocain le dit: «il n’y a que la mort qui s’abat sur sa cible d’un seul coup».
Chaque fois que les autorités prennent et appliquent des décisions de façon abrupte, même quand ces décisions sont prises dans l’intérêt du citoyen, elles ont un double effet négatif.
D’abord, elles ont un effet contraire à celui attendu. Les autorités qui pensaient agir pour protéger le citoyen se retrouvent contestées, chahutées, voire désobéies.
Ensuite, elles, qui partaient de l’intention de résoudre tels ou tels problèmes, en créent de nouveaux, parfois même en aggravant la situation initiale.
Tout le monde a en mémoire cette décision d’interdire la circulation inter-villes qui devait être appliquée dans les 24h, alors que les citoyens venaient de partir en week end. Résultat: la bousculade sur les routes –chacun cherchant à regagner son domicile avant la brutale entrée en vigueur de l’interdiction- a provoqué de graves accidents, avec des morts, des blessés et des bouchons de plusieurs dizaines de kilomètres qui ont déclenché une colère générale.
Même colère lorsque les frontières avaient été fermées sans laisser aux voyageurs marocains le temps de rentrer chez eux, ce qui les avait obligés à un exil forcé de plusieurs mois, sans ressources en pays étranger.
Idem, lorsque les restaurants et cafés ont eu la surprise d’apprendre qu’ils devaient «fermer boutique», alors qu’ils venaient de s’approvisionner pour plusieurs semaines ; ou lorsqu’ils se voyaient autorisés, la veille d’un événement religieux (fête, Ramadan) à servir leur clientèle, alors qu’ils attendaient la décision au moins quelques jours avant, pour pouvoir se fournir en ce qu’il faut pour relancer leur commerce.
Aujourd’hui… Rebelote avec ce pass vaccinal, rendu obligatoire pour avoir accès aux administrations, lieux de travail, transports publics… La décision a été prise. Elle a été rendue publique le 18 octobre (2021), pour une entrée en vigueur le 21 octobre (2021).
Ceux qui, pour une raison ou une autre, n’avaient pas encore le précieux sésame, ne pouvaient plus rien entreprendre… Même pas retourner sur leur lieu de travail, si leur employeur appliquait scrupuleusement la mesure du pass vaccinal obligatoire !
D’où la colère du simple citoyen qui ne peut pas se faire vacciner pour raisons médicales (allergies, incompatibilité, ou autre) et qui n’a plus accès à son poste ; celle du restaurateur qui ne sait ni qui doit vérifier la validité du pass de ses clients, ni comment procéder pour se conformer ASAP à la décision ; celle des écoles et lycées qui ne savent pas quoi faire, tant avec les enfants qu’avec leurs parents ; ou encore celle de visiteurs du Maroc qui ont dû se presser de rendre leur voiture de location et d’effectuer les démarches nécessaires à leur retour précipité dans leur pays.
Sans oublier la colère de ceux qui ont leur pass vaccinal, mais qui refusent que n’importe quel employé, chargé dans un café ou un restaurant, d’en vérifier la validité, puisse avoir accès à leurs données personnelles.
La Commission Nationale de contrôle de la protection des Données à caractère Personnel (CNDP) dit suivre l’affaire, mais en attendant, la confusion s’ajoute à la confusion. Car, devant les problèmes soulevés, les uns appliquent la décision, les autres pas.
Certes, les autorités ont leurs arguments. Ceux qui ont parlé en leur nom les ont avancés plus d’une fois. Pour eux, la colère ne s’explique pas. Il y a plusieurs mois que la vaccination est proposée, gratuitement, à tous les citoyens. Cela fait quelques temps que la rumeur d’un éventuel pass obligatoire court. Il n’y a pas de raison que ceux qui hésitent à se faire vacciner prennent le pays et tout le reste de la population en otage. La décision est conforme à la loi, puisque prise dans le cadre de l’état d’urgence qui autorise le gouvernement à décider par tous les moyens (arrêtés, circulaires, communiqués, etc) de tout ce qui peut contribuer à la lutte contre la pandémie.
Mais, pour comprendre cette colère, il suffit de laisser son pass vaccinal à la maison et d’essayer de faire ce qu’essaie de faire le citoyen qui en est dépourvu.
Si les autorités avaient accordé ne serait-ce que 15 jours aux citoyens qui ne sont pas en règle avec la vaccination, pour régulariser leur situation, il n’y aurait pas eu toute cette hystérie autour de leur décision, laquelle aurait été acceptée bien plus facilement.
Et, surtout, que l’on rajoute pas de l’huile sur le feu avec du cynisme, en applaudissant le fait que le pass obligatoire a poussé des centaines de récalcitrants à se ruer vers les vaccinodromes. Ils s’y seraient dirigés aussi dans le cadre du délai d’application, s’il avait été prévu. Et sans cette bousculade entre non-vaccinés qui a peut-être augmenté le risque de contamination aux portes des vaccinodromes.
Que les responsables se dépêchent plutôt de remédier à la situation actuelle, en actionnant deux leviers: celui de la communication et celui de la souplesse.
Et, si la colère des citoyens a été comprise, que plus jamais une décision ne «tombe» sans son délai d’application !
Bahia Amrani