Sécurité Les amalgames de Benkirane

Cette fin janvier, pour son oral mensuel devant la Chambre des Représentants, le chef du gouvernement, Abdelilah Benkirane, a choisi deux thèmes: la sécurité et le monde rural.

Nous nous intéresserons au thème du monde rural une autre fois. Arrêtons-nous seulement sur celui de la sécurité et du traitement aberrant qu’en a fait le chef du gouvernement.

Ce que l’on peut dire, d’emblée, c’est qu’il semble de plus en plus que pour Abdelilah Benkirane, ces rendez-vous oraux devant le Parlement (la Constitution de juillet 2011 en prévoit deux par mois, l’un devant la Chambre des Conseillers, l’autre devant celle des Représentants) sont davantage une occasion de croiser le fer avec ses adversaires politiques et de défendre le référentiel de son parti, qu’une occasion de rendre compte à l’opinion publique de la politique générale du gouvernement qu’il dirige, comme le prévoit la Constitution, dans son titre VI, article 100 alinéa 2, où l’on peut lire: «Les réponses aux questions de politique générale sont données par le Chef du Gouvernement. Une séance par mois est réservée à ces questions et les réponses y afférentes sont présentées devant la Chambre concernée dans les trente jours suivant la date de leur transmission au Chef du Gouvernement».

Ce que l’opinion publique attend de Abdelilah Benkirane, durant ces séances, ce sont des indications précises sur la politique que mène son gouvernement dans les secteurs sur lesquels porte le débat (ici, par exemple: la sécurité). L’opinion publique veut savoir où en est le secteur débattu ? Quelle est son évolution ? Quelle attention lui porte le gouvernement ? Quelles sont les difficultés qu’il présente ? Quelles sont les décisions prises, ou en cours, pour faire face à ces difficultés ? Quelles sont les perspectives ?

Les réponses n’ont pas à être brouillonnes, ni approximatives, puisqu’il a 30 jours pour en préparer le contenu, pour recueillir toutes les données et statistiques nécessaires auprès des départements concernés et, surtout, pour donner de la crédibilité à sa vision des choses.

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Dans ce débat de lundi 28 janvier portant sur la sécurité, Abdelilah Benkirane n’a répondu à presque rien de tout cela. Il a donné quelques chiffres, certes, mais il s’est vite laissé piéger par les questions provocatrices de l’opposition et s’est retrouvé à parler de religion, de démocratie au Japon et de… Printemps arabe !

En effet, en livrant quelques statistiques (selon lesquelles les services de sécurité auraient traité 560.000 affaires en 2012 -dont un peu plus de la moitié concerne l’intégrité physique des personnes et leurs biens- et en auraient élucidé 480.000, soit 86 %), le chef du gouvernement a jugé bon de les accompagner de commentaires se voulant rassurants, mais dont certains ont fait faire des bonds au plafond à ceux qui l’écoutaient.

Pour lui, la situation en matière de sécurité au Maroc est stable et sous contrôle et ce, malgré le climat d’insécurité qui prédomine au niveau régional. Il en veut pour preuve qu’aucun pays n’a mis en garde ses ressortissants contre l’insécurité au Maroc. Cette stabilité, il l’explique par la nature du régime politique choisi par les Marocains depuis des siècles ; l’effort des forces de sécurité ; l’engagement de tous –gouvernement et société civile- dans la lutte contre le chômage et l’analphabétisme et le combat pour les libertés et principes démocratiques ; mais aussi par les bienfaits de l’Islam sur la société marocaine, les préceptes de la religion obligeant à une conduite exemplaire.

Irrité par cette intrusion de la religion dans l’argumentaire du chef du gouvernement, un député de l’opposition lui a rétorqué qu’au Japon, les préceptes de l’Islam n’ont pas cours, mais que le taux d’insécurité est des plus faibles. Et A. Benkirane de se lancer dans une diatribe contre son ennemi juré, le PAM (parti authenticité et modernité), expliquant qu’au Japon, il n’y avait pas de parti qui, à peine créé, remportait les élections au moyen de pressions et de chantage, avant de revenir à la défense de la religion, donnant une autre tournure au débat.

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Les citoyens marocains qui avaient décidé de suivre cet oral (la séance est retransmise en direct par la télévision) pour s’informer tout simplement sur la sécurité dans leur vie quotidienne -eux qui ne comptent plus les agressions des voleurs de téléphones portables, des arracheurs de sacs à main et autres cambrioleurs de voitures- se sont retrouvés perdus au milieu d’amalgames et propos complètement hors sujet… Car, que viennent faire la sécurité régionale, la stabilité du pays et les mises en garde des pays tiers, dans un débat qui aurait dû juste concerner la délinquance interne ? Que Benkirane tienne ce langage à Davos, comme il l’a fait, cela se comprend. La stabilité du pays est un argument important aux yeux des investisseurs. Mais chez nous, au parlement, ce dont il doit parler, c’est de la sécurité basique face à la délinquance. Parler de la stabilité du pays, c’est donner dans l’amalgame. Que viennent faire également les débats sur l’Islam ? L’Islam, cela n’a échappé à personne, est la religion du pays et c’est encore donner dans l’amalgame que de lui chercher un lien avec la criminalité. Que de citoyens, faisant leur prière et passant pour de bons musulmans, se sont révélés de rares escrocs !

En fin de compte, ce qu’il est à craindre, si l’on n’y prend garde, c’est que toute la politique du pays aille dans ce sens: beaucoup de slogans, beaucoup de «show» et de combats de coqs… Et l’essentiel qui passe à la trappe !

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