Farida, 26 ans, vendeuse en boulangerie, est mère célibataire avec un enfant. Cette jeune femme ne veut pas priver son enfant naturel du nom de son père. Sa meilleure amie le lui interdit. Voici son récit.
«Ne pas tenter le tout pour le tout et faire le nécessaire avant qu’il ne soit trop tard, pour que l’homme avec qui j’ai eu une relation sache que j’ai eu un enfant de lui, m’accable.
Je crève d’envie de balancer par-dessus mon épaule ce qui bloque cette démarche. J’ai besoin urgemment d’un feu vert ou carrément d’un sursaut de révolte pour m’encourager à me lancer dans cette voie qui m’est interdite.
Le rempart n’est personne d’autre que Nadia mon amie, ma voisine et ma complice. Inséparables, nous n’avions jamais eu de problèmes pour faire nos petits plans secrets pour des sorties coquines avec des hommes. On s’en fichait que soit elle ou moi qui dénichions ‘‘le copain qui a un copain’’, seule comptait l’occasion de nous amuser, aimer et oublier la réalité de nos increvables célibats. Le plus important pour nous était de ne jamais éveiller de soupçons dans nos familles et voisinages sur nos expéditions libertines. Les études, nous n’aimions pas… Ce n’était pas notre truc. Pour éviter de rester à la maison, nous expérimentions à la chaîne petit job sur petit job. C’était les meilleurs alibis également pour notre petit trafic. Pour ce qui me concerne, cela me permettait de participer aux frais de la maison. Je vis avec ma mère et mes deux sœurs plus âgées que moi, elles aussi célibattantes. Nadia, plus chanceuse, ne mettait jamais la main au porte-monnaie pour quoi que ce soit chez elle. Sa mère, propriétaire de leur maison et qui louait deux étages et un garage, l’en dispensait.
Aucune ombre, jusqu’à ce fameux soir, n’avait entaché notre solide amitié.
Nous étions toutes deux assises tranquillement à bavarder sur la terrasse. Elle alluma machinalement son portable, puis se mit à faire défiler un grand nombre de photos. Elle me montra les nouvelles photos de certains membres de sa famille disait-elle très aisée. Puis pour se vanter, elle me déclara vouloir me présenter en personne le richissime cousin éloigné de sa mère qui posait dans son album. Honnêtement, je pensais qu’elle bluffait. Pour moi, un homme qu’elle décrivait si puissant ne pouvait pas perdre son temps si précieux avec de pauvres greluches de notre espèce. Famille ou pas, elle ne tenait pas debout son histoire. Pourtant, je me trompais. Dès le lendemain, elle vint me prévenir que le rendez-vous était déjà planifié pour la fin de semaine.
Comme d’habitude, j’attendais impatiemment de voir la nouvelle victime, il n’était pas question de duo cette fois-ci. La rencontre eut lieu effectivement avec un homme d’un âge plutôt mûr, la cinquantaine bien avancée. Il arriva dans un véhicule monstrueusement étincelant. Il nous ordonna de monter et nous proposa une collation dans un endroit chic. J’étais tellement impressionnée que je n’osais prononcer le moindre mot, contrairement à Nadia. Je me suis sentie si importante lorsqu’il me demanda mon numéro de téléphone et annonça sans le moindre complexe vouloir me revoir, mais en tête à tête. Je découvrais pour la première fois une Nadia jalouse. Elle s’empressa sur le chemin du retour d’avouer avoir très mal agi, que cette histoire pouvait lui causer le plus grand préjudice de sa vie. Avait-elle eu une prémonition à cet instant précis? Qui sait? En tous les cas, elle m’ordonnait déjà d’oublier l’homme en question. J’acquiesçais en lui promettant de ne jamais le revoir.
Je n’ai malheureusement pas pu ne pas le rencontrer. Il était si adorable, je m’amourachais peu à peu de lui jusqu’à accepter qu’il devienne mon amant. Mon amie finit par exploser et menaça de tout dévoiler à la famille. Mon amoureux disparut sans plus jamais donner signe de vie. Il m’abandonna avec un beau cadeau, j’étais enceinte. Je ne pouvais dévoiler mon secret à personne, c’est mon ventre arrondi qui allait me trahir. Ma pauvre mère et mes sœurs étaient anéanties par la colère et la honte que je leur imposais.
Mon amie, inquiète de ma soudaine disparition, finit par venir aux nouvelles. Elle pleura sincèrement sur mon sort. J’avoue qu’elle avait été aux petits soins avec moi. Seulement, elle continuait farouchement de m’imposer le silence. Il était toujours hors de question de révéler à quiconque mon état et surtout l’identité du père de l’enfant. J’évitais de la contredire, évitant par la même des problèmes supplémentaires. Non sans mal, j’ai accouché de mon enfant, je l’aime plus que tout au monde. A la maison, pour les visiteurs, le magnifique bébé qui gazouille est celui de cette misérable cousine morte en couche.
Je croyais mon histoire accommodée jusqu’à ce que j’apprenne par Nadia que mon ex-amant était condamné et que ses jours étaient comptés. Cette révélation eut un effet pervers sur mon âme.
Tout ce que je refoulais m’accable maintenant. Nadia refuse obstinément mon idée d’aller me confesser. De mes élucubrations, elle se moque, clamant que je devrais assumer mes dévergondages une bonne fois pour toutes.
Mais le père de mon enfant, pourquoi n’a-t-il pas le droit, lui, d’être mis au courant? D’autant plus qu’à l’heure qu’il est, j’espère que ce n’est pas trop tard.
Je veux qu’il me dise distinctement ce qu’il compte faire de mes aveux. S’il préfère ne pas reconnaître son enfant, ce sera son problème. Mais moi au moins, la conscience tranquille, je n’aurai jamais à regretter de ne pas avoir tenté d’offrir à mon enfant sa véritable identité».
Mariem Bennani