Maroc/Régime de change : Touche pas à mon dirham !

Maroc/Régime de change : Touche pas à mon dirham !

S’il est un sujet qui a, ces derniers temps, été trop discuté au Maroc, c’est bien celui de la réforme du régime de change et ce passage d’un «régime fixe», jusque-là pratiqué au Maroc, à un «régime flexible» prôné par les autorités financières, notamment la Banque centrale.

Entre ceux qui sont pour et ceux qui sont contre, le débat est bien chaud, notamment sur le timing choisi pour cette démarche et l’absence de clarté sur certains points que les «pour» disent bien maîtriser; alors que les «contre» voient que l’entame d’une telle aventure devrait encore attendre. Un temps que l’économie du pays n’a plus, estiment encore ceux qui sont pour,  arguant que ce changement du régime de change va permettre au Maroc de gagner en liberté d’action et en indépendance en matière de pilotage de son économie. En effet, opter en ce moment même pour cette démarche, qui est quand même voulue, ordonnée et graduelle, évitera au Maroc l’échec de la réforme initiée de manière non calculée par certains pays.  On s’appuie, pour ce faire, sur des  prérequis, notamment des équilibres macro-économiques maîtrisés de façon permanente: un niveau suffisant de réserves de change, un faible volume de capitaux spéculatifs, une inflation maîtrisée, une réglementation des changes rigide, un déficit budgétaire contenu et un secteur bancaire solide. Cette réforme structurelle du régime de change, nécessaire et obligatoire, s’impose donc, car le pays ne peut plus concilier un taux de change fixe, une politique monétaire indépendante et une ouverture économique. 
De plus, compte tenu de l’incertitude dans laquelle évolue actuellement l’économie mondiale et qui comporte de forts risques, le Maroc serait contraint, face à un choc extérieur de grande ampleur, de dévaluer fortement sa monnaie et de gérer d’importantes conséquences sur l’économie et la société. D’où un taux de change plus flexible permettrait de lier davantage la politique monétaire à l’économie domestique et moins à un ancrage externe. 
Partant d’autres paramètres, le Fonds monétaire international (FMI) soutient fortement cette démarche. Estimant que le déficit des transactions extérieures courantes devrait se réduire à 4% du PIB en 2017, du fait de  la croissance continue des exportations et en dépit d’une augmentation des importations énergétiques, les réserves internationales brutes devraient avoisiner 24 milliards de dollars à fin 2017, soit environ 6 mois d’importations. Le FMI est pour  l’assouplissement du régime de change auquel les autorités ont l’intention de procéder de manière progressive. Ceci permettra à l’économie marocaine de mieux absorber les chocs extérieurs et de rester compétitive à l’avenir, précise-t-on du côté du FMI.

Qu’est-ce que le taux de change?

Tout pays a sa propre monnaie. Au Maroc, la monnaie est le dirham, utilisé pour régler les échanges quotidiens sur le territoire national. Mais l’on réalise aussi des opérations commerciales ou financières avec d’autres pays qui ont leur propre monnaie. Quand une entreprise veut importer une matière qui entre dans la fabrication de ce qu’elle produit, elle doit payer  la matière qu’elle importe, soit dans la devise du pays de provenance ou dans une autre devise. Ceci s’applique d’ailleurs à toutes les opérations que le pays réalise avec l’étranger (importations, exportations ou toute autre opération commerciale ou financière à l’international). L’entreprise ne dispose que de dirhams. Comment peut-elle obtenir des devises? Tout simplement en les achetant comme toute autre marchandise. Quand l’entreprise a besoin de devises pour régler l’importation des matières qui entrent dans la fabrication de ses produits, elle fait appel à sa banque qui se charge du transfert de la valeur en devises du montant à payer, dans le cadre de la réglementation des changes. Pour toutes ses opérations, elle devra connaître le montant qu’il lui faudra payer en dirhams pour obtenir la quantité de devises étrangères dont elle a besoin. C’est ce qu’on appelle le «taux de change». Ce dernier est un facteur de prise de décision qu’il faut prendre en considération dans toute opération réalisée avec l’étranger. Le taux de change est ainsi le prix de la monnaie nationale par rapport à une autre monnaie. Par exemple, ce que vaut le dirham en euro ou en dollar ou dans toute autre devise.

Il y a lieu de noter que tout ce qui est relatif au régime de change et au cours des changes est du ressort du ministère des Finances et de Bank Al-Maghrib (Banque centrale du Maroc) qui détermine quotidiennement le cours maximum pour la vente et le cours minimum pour l’achat des devises négocié sur le marché des changes domestique. Ces cours de change sont de deux types. Ceux qui s’appliquent aux transferts et règlements réalisés par le système bancaire et ceux qui servent à la négociation des billets de banque étrangers. L’ensemble des règles qui encadrent l’évolution du cours des changes est appelé: régime de change.

Kristalina Georgieva maintenue à la tête du FMI

Il existe plusieurs types de régimes de change. Le régime de change fixe, celui de change flexible et, entre les deux, le régime de change intermédiaire.

Le régime fixe est quand un pays rattache la valeur de sa monnaie à celle d’une devise étrangère ou de deux devises ou plus et, dans ce cas, on dit que le pays a ancré ou rattaché sa monnaie à un panier de devises. La plupart du temps, cet ancrage ou rattachement se justifie par l’importance des transactions commerciales avec ces pays étrangers ou parce que ces devises sont les plus utilisées sur les marchés internationaux.

Le Maroc adopte un régime de change fixe-intermédiaire. Sa monnaie, le dirham, est rattachée à un panier constitué de l’euro, à hauteur de 60% et du dollar américain à hauteur de 40%. Cette composition reflète la structure des échanges extérieurs du Maroc. Donc, la détermination de la valeur du dirham par rapport aux devises se fait sur la base de ce panier euro-dollar. Mais un régime de change fixe ne veut pas dire que la valeur du dirham est fixe par rapport à l’euro et au dollar. La valeur du dirham contre les autres devises évolue à la hausse ou à la baisse, selon les variations de ces monnaies sur les marchés de change internationaux. Ainsi, lorsque la valeur de l’euro augmente par rapport au dollar, la valeur du dirham augmente vis-à-vis du dollar et baisse à l’égard de l’euro et inversement.

Les devises étrangères proviennent des recettes touristiques, des recettes des exportations ou encore des transferts émanant des Marocains résidents à l’étranger. Le système bancaire et les autres intermédiaires utilisent leurs stocks de devises pour réaliser les opérations de leur clientèle. En cas d’insuffisance sur ce marché, elles peuvent recourir à la Banque centrale (institution mandatée pour détenir et gérer les réserves de change du pays), pour acheter des devises.

Au Maroc, les principales sources de devises sont les recettes au titre des exportations des biens et services, les transferts émanant des marocains résidents à l’étranger, les recettes touristiques, les recettes au titre des investissements des sociétés étrangères au Maroc et les emprunts ou aides obtenus par le Maroc en provenance de l’étranger.

A l’inverse, les sorties de devises sont les dépenses d’importation de biens et services, comme le blé, le pétrole ou autre, le remboursement des dettes contractées à l’étranger, les dépenses de Marocains qui se rendent à l’étranger ou encore les dépenses d’investissement des entreprises marocaines à l’étranger.

Le régime de change fixe au Maroc est-il désuet?

Le régime de change fixe est adopté au Maroc depuis plusieurs années. Il a certes contribué à la maîtrise de l’inflation et donc au maintien de la stabilité économique du pays. Mais, dans un contexte de plus grande ouverture à l’international, qui expose l’économie marocaine à plus de chocs extérieurs, le régime de change fixe est de moins en moins adapté. Parce que, dans le cadre de ce régime, BAM répond aux besoins en devises des banques sans aucune limite. Cette situation présente le risque de conduire à un niveau de réserve anormalement bas qui peut constituer un danger pour l’économie nationale. C’est pour cela que les pouvoirs publics ont décidé (après une réflexion en profondeur, menée sur plusieurs années, nous apprennent les tenants de cette réforme) d’entreprendre une réforme de taille consistant à migrer graduellement d’un régime de change fixe vers un régime de change plus flexible.

Dans le régime fixe, il faut disposer en permanence de suffisamment de réserves en devises pour pouvoir répondre aux besoins du marché à un prix qui n’est pas soumis à la loi de l’offre et de la demande.

Par le passé et précisément dans les années 80, le Maroc a subi des chocs qui ont épuisé presque toutes ses réserves en devises et l’ont obligé à appliquer pendant plus de dix ans des programmes et politiques d’austérité, pour qu’il puisse rétablir ses réserves. Ces politiques et programmes d’austérité ont consisté en la réduction de budgets consacrés à certains secteurs sociaux dont bénéficient les citoyens et à rééchelonner la dette extérieure. Ce qui a entraîné l’augmentation des intérêts de la dette  et, par conséquent, une hausse du niveau de la dette pour les générations futures. De plus, le régime de change fixe n’est plus en phase avec la politique d’ouverture adoptée par le Maroc depuis quelques années.

Pour toutes ces raisons, le Maroc a prévu depuis quelques années une réforme pour migrer du régime de change fixe vers un régime de change flexible. Cette réforme va contribuer à développer l’économie nationale à moyen et long termes et à consolider sa résilience face à des chocs comme ceux des années 80. Elle contribuera également à renforcer sa compétitivité  et améliorer l’attractivité de la place financière de Casablanca.

Najib Akesbi, économiste

Hamid Dades

En quoi consiste ce régime de change flexible?

Dans le cadre de ce nouveau régime de change vers lequel le Maroc veut progressivement migrer, le dirham ne sera plus rattaché à un panier de devises, mais sera déterminé par les forces du marché, c’est-à-dire en fonction de l’offre et de la demande. Ce qui signifie la mise en place d’un ensemble de règles et de mécanismes pour déterminer le taux de change. Cette transition, martèlent les architectes de la réforme, se fera de manière graduelle et ordonnée, contrairement à certains pays qui ont dû réformer leur régime de change du jour au lendemain et dans des conditions économiques difficiles, impactant négativement le citoyen et l’économie. Ce passage, font-ils encore savoir, intervient en ce moment précis, parce que le Maroc remplit désormais les conditions qui lui permettent de mettre en œuvre cette réforme de manière progressive. Selon eux, le Maroc dispose actuellement de fondamentaux macro-économiques adéquats, en l’occurrence un faible niveau d’inflation, du déficit budgétaire et du déficit des comptes extérieurs, ainsi qu’un niveau acceptable de la dette extérieure. Il dispose également d’un niveau adéquat de réserves de change et d’un secteur bancaire solide. Mais l’on soutient que le passage se fera graduellement. Comme précédemment souligné, la valeur du dirham par rapport à l’euro et au dollar n’est pas fixe à 100%, mais varie dans une bande de fluctuation très limitée. Lors des premières phases de la réforme, le dirham sera donc toujours rattaché au panier de devises, mais la bande de fluctuation sera de plus en plus large et restera déterminée par BAM puis, dans un dernier temps, le dirham ne sera plus rattaché au panier de devises. Le passage d’une étape à une autre, fait-on encore savoir, ne se fera que lorsque certaines conditions sont remplies après évaluation par les autorités financières. La réussite de cette réforme demeure ainsi tributaire de la réalisation de ces prérequis. Mais, si lors d’une étape, les conditions ne sont plus remplies, le processus peut être impacté. L’on note également qu’un régime flexible peut contribuer à développer l’économie et renforcer sa résilience. L’on précise à cet effet que, dans un régime de change flexible, la valeur de la monnaie est le résultat de l’offre et de la demande. Autrement dit, si la demande pour une monnaie baisse, sa valeur diminue et vice versa. Lorsque les entrées en devises sont inférieures aux dépenses en devises, cela signifie qu’on consomme plus de monnaies étrangères qu’on en reçoit. Cette demande élevée induit une appréciation de la valeur de la devise étrangère et, par conséquent, une dépréciation du dirham contre cette devise. Dans ce cas, les produits importés deviennent plus chers, ce qui pousse le consommateur à acheter les produits marocains, contribuant ainsi au développement de l’économie du pays. De même, la baisse de la valeur du dirham pourrait renforcer la demande étrangère pour les produits marocains qui deviennent moins chers et donc plus convenables pour les consommateurs étrangers. Au fil du temps, la production devra augmenter et le produit marocain deviendra plus compétitif. Ceci permettra de créer plus d’opportunités d’emploi et d’encourager l’investissement au Maroc. Les exportations vont donc augmenter et les réserves de change atteindront un niveau confortable. A ceux qui pensent que l’introduction d’un régime de change flexible engendrera une baisse du dirham, les responsables répondent que non, car la valeur du dirham va varier selon l’offre et la demande, en fonction des fondamentaux économiques précités et également en fonction du niveau des réserves de change. Il n’en demeure pas moins que ce régime de change flexible, qui devra contribuer à renforcer la résilience de l’économie nationale, n’est pas une assurance tous risques. Il doit ainsi s’inscrire dans une dynamique globale qui comprend des politiques économiques d’accompagnement et la poursuite des réformes structurelles qui permettent de renforcer l’économie et d’améliorer sa performance. De ce fait, une fois implémenté, le régime de change flexible peut avoir un impact sur certains secteurs qui sont plus orientés à l’international. Par conséquent, cela peut entraîner la hausse des prix de certains produits. La maîtrise de la hausse des prix est toutefois possible, estime Bank Al-Maghrib qui demeure, sur ce plan, catégorique: la stabilité des prix restera l’objectif ultime et la priorité absolue de la politique monétaire, quel que soit le régime de change adopté au Maroc. La banque centrale veille à maintenir la stabilité globale des prix à travers sa politique monétaire qui est l’une de ses missions fondamentales.

HD

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