«Voilà ce que nous devons faire face aux aléas climatiques…»
Pour le consultant en agronomie, Abbes Tanji, les cultures sont sujettes aux aléas climatiques. La sécheresse risque de frapper le Royaume à n’importe quel moment de la campagne agricole. Dans cet entretien, cet ancien chercheur à l’INRA souligne que le Maroc a intérêt à revoir sa stratégie face aux aléas climatiques et au menaçant stress hydrique.
L’inquiétude commence à se faire sentir chez les agriculteurs marocains, en raison du retard des pluies. Selon vous, quel effet a ce retard sur la campagne agricole 2017-2018?
La situation actuelle est que tout le monde attend, en effet, les premières pluies significatives. C’est-à-dire des pluies qui permettent aux gens de commencer les labours et l’installation des cultures, en particulier les céréales. Ces pluies significatives devaient venir normalement en octobre pour permettre, d’une part, l’installation des cultures pluviales et, d’autre part, alimenter le cheptel. Le Maroc a certes reçu ces derniers jours la pluie, pratiquement dans plusieurs régions du pays. Mais cette pluie reste très insuffisante. Sachant bien que ces pluies coïncident, jusqu’à aujourd’hui, avec de hautes températures. Ce qui veut dire que toute cette pluie reçue au Maroc jusqu’à présent s’évapore facilement et rapidement, sans vraiment qu’on en tire profit. Lorsqu’on parle d’un pays comme le Maroc, qui a 80% de ses terres en bour (cultures pluviales), eh bien, ces cultures sont, bien sûr, sujettes à n’importe quel aléa climatique. La sécheresse risque de frapper le pays à n’importe quel moment de la campagne agricole. Le Maroc a besoin de suffisamment de pluie, de novembre à avril. Les pluies qui vont arriver pendant les six prochains mois seront décisives pour les rendements des cultures. Même si on ne peut pas garantir une pluie suffisante pendant six mois. Surtout qu’au Maroc, la situation est qu’il y a un impact vraiment très important des aléas climatiques. Aujourd’hui, par exemple, la température frôle les 30 degrés. C’est anormal. Malheureusement, ce sont des changements climatiques qui frappent plusieurs pays, parmi lesquels le Maroc.
Que faire face à ce problème?
Le Maroc a intérêt à revoir toute sa stratégie dans les zones bour et aussi dans les zones irriguées. Lorsqu’on parle de bour, par exemple, il faut distinguer deux choses. Il y a des zones qui doivent rester des parcours, uniquement pour le cheptel. Ce sont des zones arides. Pour les autres zones bour, ce qu’on a à faire, c’est d’essayer d’utiliser des Cartes de Vocation Agricole des Terres, c’est-à-dire des cartes de cultures. Ce sont des cartes qui me disent -en tant qu’agriculteur- si le blé marche dans ma zone, alors, je le plante. Si ce n’est pas indiqué dans ma Carte de Vocation Agricole et si ce n’est pas conseillé, je ne le sème donc pas.
Ces cartes sont-elles aujourd’hui utilisées?
Malheureusement, ces cartes, on ne les utilise pas et les gens installent les cultures pratiquement d’une manière anarchique. On trouve des céréales dans des zones de 200 mm de précipitations. C’est incroyable, ça ne peut pas se faire. La raison en est une carence en matière de transfert de technologie. La bonne information n’arrive pas aux agriculteurs. Ce côté de transfert de technologie et de communication est encore négligé. Même les résultats obtenus au niveau de la recherche agronomique ne sont pas transférés à temps pour qu’ils soient utilisés par les producteurs.
Quels sont, selon vous, les mesures prioritaires à prendre par le département de tutelle?
Normalement, on devrait annoncer incessamment les mesures prises pour démarrer la campagne agricole. On attend donc toujours les mesures prises par le gouvernement pour démarrer l’actuelle campagne agricole. Il est à souligner que, dans le passé, tout ce qui est culture bour était généralement marginalisé. Il n’y avait pas un grand soutien de l’Etat pour ces cultures. Certes, le Plan Maroc vert a donné de l’importance à toutes les cultures et à tous les cheptels. Mais il n’a pas précisé les priorités. Ce qu’on souhaite, c’est de mettre l’accent sur les cultures dont on a besoin et dont on a une insuffisance. Comme c’est le cas pour les céréales qui occupent, jusqu’à présent, 5 millions d’hectares. On produit à peine 50% de nos besoins en céréales et on importe le reste. Les céréales devraient donc être la priorité des priorités. Il y a aussi les autres cultures, comme les légumineuses, lesquelles coûtent actuellement 20 à 30 dirhams le kilo, ce qui est bizarre! Normalement, la deuxième priorité doit être donnée aux légumineuses, c’est-à-dire maximiser la production de ces dernières, pour qu’on ait une production suffisante à même de réduire les importations. Car, malheureusement, les importations sont aujourd’hui énormes en matière de légumineuses. Idem pour les cultures oléagineuses. Le Maroc a en effet un grand besoin en matière de production des cultures oléagineuses (colza, soja, tournesol). Et c’est là la troisième priorité qu’il faut attaquer. La quatrième priorité, c’est de préserver le cheptel. On est déjà à la fin du mois d’octobre. Et il n’y a pas de végétation dans la nature pour l’alimentation du cheptel. Depuis mai, il n’y a plus de végétation dans la nature. L’Etat devrait soutenir les éleveurs en attendant les prochaines pluies et la prochaine disponibilité de la végétation naturelle. Et ce, en mettant à leur disponibilité de l’eau et suffisamment d’aliments de bétail à moindre coût. Sachant que le cheptel compte actuellement 20 millions de têtes d’animaux (différentes espèces).
Qu’en est-il des intrants?
Je pense qu’il faut réviser les prix des intrants. A commencer par les prix des semences, des engrais, des pesticides et du gasoil. Car ces quatre intrants impactent le prix de revient des différentes cultures. Le coût de production est très élevé au Maroc. Il faut donc réviser le prix des intrants, soit à travers les subventions, soit à travers un autre moyen qu’il faut trouver, pour que ces produits-là soient à un prix abordable et à la disposition des agriculteurs. Aujourd’hui, notons-le, il y a près de 1,8 million d’agriculteurs au Maroc. La plus grande partie des subventions octroyées par l’Etat au secteur va au périmètre irrigué. Lequel représente peu par rapport aux cultures non irriguées (zones bour), dont le prix de revient est actuellement très élevé.
Au Maroc, les préparatifs concernant la nouvelle campagne agricole sont toujours liés à l’arrivée des premières pluies. Qu’en pensez-vous?
Je crois qu’il faut faire l’inverse puisque, dans le calendrier agricole, la campagne agricole démarre le 1er septembre. Le gouvernement devrait normalement annoncer, dès septembre, les premières mesures incitatives qui sont à même d’encourager la production agricole dans différents domaines. Même s’il n’y a pas encore de pluie. Tout le mois de septembre est propice pour annoncer les mesures, lesquelles devraient être prises d’une manière réaliste. Tout cela doit se faire dès le 1er septembre, de manière à avoir déjà un plan pour démarrer la nouvelle campagne agricole. Sachant qu’actuellement, il y a déjà des activités dans le périmètre irrigué (betteraves, agrumes, olivier, fourrages, etc.). Mais dans les zones bour, qui représentent plus que 80% de la surface agricole utile, il faut attendre le mois de novembre pour semer.
Propos recueillis par Naîma Cherii