«Les exigences de Chabat sont celles d’un nouveau chef de gouvernement»
De par sa fonction de chef du groupe du PJD à la Chambre des représentants, Abdallah Bouanou, est l’un des jeunes représentants de son parti les plus présents sur la scène politico-médiatique. Voici, avec lui, un round up de l’actualité brûlante, après la décision de l’Istiqlal de se retirer du gouvernement.
Sommes-nous réellement en pleine crise politique ou plutôt dans un conflit entre un chef de gouvernement et un secrétaire général de parti?
Il ne s’agit pas d’une crise politique en ce sens qu’elle ne touche pas les institutions. Jusqu’à aujourd’hui, le gouvernement travaille, ainsi que le Parlement et bien entendu les institutions.
Mais il flotte quand même comme un air de crise…
Il est vrai qu’il existe une crise dans le paysage politique, dans le discours politique également, je vous le concède, ainsi qu’au cœur de l’élite politique…
La crise est donc là. Elle a l’air de s’installer. Ne faudrait-il pas craindre pour l’investissement?
Je l’ai toujours dit et je le redis aujourd’hui: nous ne possédons pas au Maroc des ressources naturelles qui pourraient développer notre économie nationale, à l’exception de notre capital que sont nos institutions. Aussi avons-nous opté, lorsque nous avons fait le choix de la réforme dans la stabilité, pour la confiance qui est placée dans ces institutions.
Quelles institutions en particulier?
L’institution royale et la confiance des citoyens dans la stabilité dont jouit notre pays.
En quoi la crise porte-t-elle préjudice à la stabilité?
Cette crise dans le discours perturbe justement la confiance que les Marocains placent dans nos institutions et représente de ce fait un grand danger pour le capital et les investissements. Plusieurs ambassadeurs accrédités au Maroc m’ont interpellé sur cette crise.
Dans quel sens?
Vous savez, ce qui s’écrit sur la crise et les différentes et multiples déclarations d’un groupe de la majorité qui paraissent dans les médias perturbent les investisseurs, sachant que l’investissement est frileux, ainsi que le capital.
Peut-on dire que le feu se propage?
Je dirais qu’il y a un impact léger et plutôt limité.
Qui est donc visé ? Est-ce votre parti le PJD ou le gouvernement actuel?
Je dirais qu’ils le sont tous les deux. Permettez-moi de revenir sur l’impact de la crise pour vous dire que les investissements extérieurs ont augmenté durant les cinq premiers mois de 2013, au moment même où les déclarations rapportées par les médias ont redoublé d’intensité. Ils ont augmenté de 4 milliards de DH pour passer de 13,3 à plus de 17 milliards de DH, en plus de l’argent des RME et du secteur du tourisme.
Qui est donc visé?
Le PJD et le gouvernement, considérant que c’est Abdelilah Benkirane qui est à la tête du gouvernement.
Les raisons?
Elles sont multiples.
Des exemples concrets?
Il y a à cela trois considérations, à savoir, primo, que les forces qui tenaient les choses en main avant 2011 et le printemps marocain sont toujours en place et tirent vers l’arrière, parce qu’elles étaient les principales bénéficiaires de la mainmise. Secundo, les grandes réformes -au nombre de dix- menacent les intérêts de ces forces.
Par exemple?
La Caisse de compensation en ce sens que certains profitent du soutien financier de ladite Caisse. Tous les rapports des institutions nationales, le Conseil économique et social, la Cour des comptes et les institutions internationales, comme la Banque Mondiale, sont unanimes à reconnaître que le but de la Caisse de compensation ne peut se réaliser. Aujourd’hui, les classes démunies n’en profitent pas ou à petite dose, alors que d’autres en bénéficient largement. Quand on parle de la réforme fiscale, nous avons l’exonération fiscale qui dépasse 36 milliards de DH. On se pose la question de savoir quel impact de ces exonérations sur l’économie nationale, sur le rendement et sur la production? Tercio, quand nous évoquons la réforme de la Justice, clé de voûte de toute réforme et véritable booster de l’investissement, elle n’est pas avalée facilement et a toujours été accompagnée de pressions et de tensions, mais aussi de manifestations de la part de ceux qui ne sont en fait que manipulés. Il en est de même pour la réforme administrative: ceux qui profitent de la situation lâchent difficilement le morceau.
Qu’en est-il des élections communales et de la mise en place de la régionalisation?
De toute évidence, ceux qui ont remporté les élections 2009 se plaisent dans cette situation. Ils peuvent donc difficilement abandonner. Ils se mobiliseront de toutes leurs forces.
Vous insinuez une réelle résistance?
Aujourd’hui, nous nous trouvons face à deux courants, celui qui aspire aux réformes et au développement et l’autre qui veut la stagnation et la «justification», c’est à dire qu’il tient à garder ses privilèges tout en les justifiant.
Quelles justifications?
Ils disent que nous ne sommes ni la Tunisie, ni l’Egypte. Nous avons des institutions bien ancrées et stables. Nous n’avons donc besoin d’aucun changement.
Dans ce cas, qu’a apporté le PJD de nouveau?
Le nouveau est que le PJD appartient au courant du développement et des réformes, sachant que l’institution royale soutient le développement et les réformes et y a répondu positivement, le 9 mars 2011, mais aussi à travers la nouvelle Constitution. De toute évidence, le PJD aspire à réaliser le changement en parfaite symbiose et en coopérant avec la Monarchie. C’est cela le nouveau.
Vous parlez du changement. Qu’est-ce qu’il y avait avant?
Il y avait un courant qui voulait la réforme, mais en dehors de la légitimité. Il était en conflit avec la Monarchie. Il y avait également un autre courant qui a rejoint le pouvoir, a pris le contrôle et a profité sans pour autant réformer.
Où vous placez-vous par rapport à ces deux courants?
Nous sommes là, aujourd’hui, pour la mise en œuvre de la réforme, mais en partenariat avec l’institution royale.
On dit que vous, les hommes du PJD, êtes inexpérimentés. Vous faites vos premiers pas dans la gestion des affaires publiques. Que répondez-vous à cela?
Je suis d’accord, mais avec des réserves et des limites. A savoir que le PJD est arrivé dans une phase multi-transition. Le Parti a passé 13 années dans l’opposition et, d’un seul coup, il est passé à la primature dans une situation économique, sociale et financière de crise arrivée à son summum en 2012. En plus, nous sommes passés de la Constitution 1996 à celle de 2011, c’est-à-dire de prérogatives limitées dans la première à d’autres plus élargies et importantes dans la seconde.
Mais ça ne justifie pas que le PJD manque d’expérience…
Excusez du peu, mais ceux qui nous taxent de ne pas avoir assez d’expérience pourraient le dire pour les deux ou trois premiers mois de notre mandat. Aujourd’hui, le PJD, les ministres du gouvernement et les composantes de ce gouvernement ont acquis et cumulé assez d’expérience pour gérer à l’aise leurs secteurs respectifs, prenant en compte l’intérêt suprême de la Nation. De ce fait, ceux qui dénigrent le PJD n’ont pas du tout raison.
Comment expliquez-vous la situation actuelle?
Je peux dire sans crainte d’être contredit qu’il existe la volonté de bien faire. En face, il y a des défis, des obstacles et énormément de résistance.
On vous reproche aussi beaucoup de lenteur dans la gestion.
Nous avons la volonté de rouler à 200 km/heure. Pour l’heure, nous roulons à quelques dizaines seulement: 50 ou 60 km/h.
Mais le Maroc a besoin d’aller plus vite et le temps presse et ne pardonne pas.
Certes, nous avons besoin d’accélérer le rythme. Le PJD savait qu’on ne lui déroulerait pas de tapis rouge. Il connaissait donc le poids des défis à relever et des obstacles à éliminer. Il s’est par conséquent mis au-dessus de toutes ces considérations pour assumer son rôle dans tout cet arsenal de réformes.
Quand le gouvernement passera-t-il à la vitesse supérieure?
Malgré les perturbations et les parasites qui sont réels, ou virtuels comme prétendent nos détracteurs, nous sommes conscients que le gouvernement doit passer à la vitesse supérieure pour mettre en œuvre les grandes réformes.
Qu’est-ce qui explique la réticence du gouvernement à présenter le bilan de son action?
Il est vrai qu’en ce qui concerne le bilan (article 203 de la Constitution), le gouvernement n’a pas pris d’initiative dans ce sens.
Est-ce qu’il ne serait pas possible que vous preniez cette initiative à la place du gouvernement, c’est-à-dire lui demander de présenter le bilan?
Je dois vous avouer que j’y pense sérieusement. En fait, le bilan est considéré positif, mais en deçà de nos aspirations et ambitions. Peut-être que le gouvernement envisage de le faire vers la moitié de son mandat.
Est-ce que le gouvernement va dans cette optique?
Je suppose. Il envisagerait peut-être de présenter le bilan de cette première étape (de mi-mandat) pour mieux profiter du débat et des remarques de l’opposition et de la majorité, mais aussi pour corriger éventuellement la trajectoire durant la deuxième partie de son mandat.
Ce retard à présenter le bilan mécontente l’opposition…
Nous aurions souhaité avoir, face à un gouvernement fort, une opposition forte.
Ce n’est pas le cas?
Malheureusement, je dirais plus: l’opposition n’a pas réussi à travailler en profondeur et dans un esprit de mettre mal à l’aise le gouvernement concernant les affaires décisives du pays et du peuple.
N’assume-t-elle pas son rôle comme il se doit?
C’est ce que nous exigeons de l’opposition, qu’elle soit forte pour que le gouvernement gère mieux ses affaires.
L’opposition a véhiculé, récemment et aussi à la veille du mois de Ramadan, des rumeurs concernant une possible hausse du prix du gaz butane. Comment commentez-vous ces rumeurs?
Tout d’abord, je suis catégorique: j’exclus qu’une partie de l’opposition fasse de telles perturbations. Cependant, rappelez-vous ce qu’a enduré le gouvernement lorsqu’il a parlé de bilans sectoriels.
Un exemple concret ?
Le secteur de la communication ! Ce secteur est encore aujourd’hui sous emprise solide.
De quelle emprise s’agit-il?
Une emprise qui est en dehors du gouvernement.
Vous visez la chaîne 2M?
Je vise l’ensemble de la communication publique. Cette dernière n’est pas à la disposition du gouvernement.
Qui en dispose donc?
En tout cas, pas le ministre de la Communication.
Avez-vous soulevé cette question au niveau du gouvernement?
A maintes reprises. Aujourd’hui, vous avez des prérogatives précisées dans la Constitution. A côté, il y a des sociétés et vous assistez à leurs conseils d’administrations. Seulement, ceux qui y ont une mainmise exercent leur influence par téléphone ou par contacts discrets, loin de toute procédure. Je dirais donc que, jusqu’à aujourd’hui, le secteur de la communication publique n’a pas encore accompagné l’action du gouvernement.
C’est pourtant vous le gouvernement…
Et pourtant, lorsque le chef de gouvernement veut un temps d’antenne pour parler, on orchestre toute une campagne de dénigrement en lui reprochant d’occuper les médias publics et en lui réclamant de donner ses droits à l’opposition. En nous référant aux chiffres de la Haca, 49% (du temps d’antenne consacré aux partis) reviennent à l’opposition.
Pour revenir au rythme de l’action du gouvernement, celui-ci a tardé à mettre en œuvre les lois organiques.
C’est absolument vrai. Le gouvernement n’a présenté jusqu’à aujourd’hui que deux lois organiques. Mais personne ne fait attention: le gouvernement a sorti ces trois derniers mois trois décrets, dont le décret sur les marchés publics et le décret concernant la mise en disponibilité, le détachement et la circulation des fonctionnaires. Il s’agit là aussi de décrets très importants.
Comment expliquez-vous cela?
Tout le monde veut voir ce gouvernement amputé…
Le gouvernement a-t-il ses faiblesses?
Toute action a ses faiblesses.
Quelle est, selon vous, la plus importante des faiblesses de l’actuel gouvernement?
La lenteur de son rythme d’action.
Et la décision du Parti de l’Istiqlal de claquer la porte du gouvernement?
Parmi les objectifs de Hamid Chabat, il y a celui de vous laisser prisonnier de ces perturbations pour ne pas s’attaquer aux réformes.
A-t-il atteint ses objectifs?
Il a réussi le plus important, à savoir un retard de six mois en invoquant une fois l’art 42, l’arbitrage royal, et une fois l’art 47. Tout cela entre dans le cadre du ralentissement voulu du rythme de l’action du gouvernement.
Quelle riposte du gouvernement?
Il doit rester vigilant et aller de l’avant.
Ce dilemme peut s’éterniser…
Personnellement, je dis que c’est le peuple marocain qui nous a mandatés à la direction du gouvernement. C’est donc vers lui que nous devons nous retourner pour qu’il nous dicte ce que nous devons faire.
De quelle manière?
Nous allons lui dire exactement ce qu’il s’est passé pour qu’il prenne la décision qu’il juge adéquate.
A travers des élections anticipées?
Bien évidemment! Et puis, la Constitution offre toutes les solutions pour sortir de la crise.
Le député Abdelaziz Aftati a déclaré que Hamid Chabat n’était pas libre de prendre la décision de quitter le gouvernement, sous-entendu qu’on la lui soufflait…
Nous avons pris la décision de ne pas répondre à Chabat.
A titre personnel ?
Chabat a dit que le PJD a participé aux événements du 16 mai, qu’il met en œuvre un plan irano-turc. Il dit aussi que le PJD envoie les moujahiddines en Syrie. Il a même dit avoir vu en rêve le Prophète qui lui a dit de se présenter aux élections de l’Istiqlal pour vaincre Abbas El Fassi.
Que répondez-vous à cela?
Nous ne sous-estimons nullement ce que dit Chabat.
Mais vous ne répondez pas…
Nous ne répondons pas parce que son discours comporte moult contradictions et des déclarations au quotidien et parce que nous estimons que lui répondre nous écarterait des réformes utiles au pays. Donc, lui répondre signifie que nous sommes tombés dans son piège et là, nous porterions préjudice à l’investissement.
Pourquoi refusez-vous de vous asseoir avec Chabat pour trouver une solution à cette crise?
Qui nous garantirait, le cas échéant, que cela ne se répéterait pas? Y a-t-il quelqu’un qui pourrait nous assurer que Hamid Chabat fait tout cela de son propre chef, sans qu’il soit hissé vers le haut ou poussé vers les côtés par quelqu’un? Y a-t-il quelqu’un qui pourrait nous garantir que Chabat ne changera pas ses conditions une fois ses demandes exaucées?
Que demande exactement Hamid Chabat?
Si vous le savez, je vous saurais gré de me le dire.
Le remaniement ministériel. Il l’a dit lui-même…
Il a construit dessus toute sa campagne depuis avril 2012 et a continué jusqu’après le 26 septembre, date à laquelle il est devenu secrétaire général de l’Istiqlal. On lui a demandé ce qu’il voulait amender et de le présenter au chef de gouvernement. Il n’en a rien fait.
Qu’est-ce qu’il projetterait en fin de compte?
Il veut refaire l’ossature du gouvernement, réserver le 1/3 aux femmes, ramener le nombre des ministres à 15, revoir les priorités du gouvernement et revisiter toutes les décisions prises par ce dernier.
Que reprochez-vous à ces demandes?
Ce ne sont pas là les missions d’un allié, mais celles d’un nouveau chef de gouvernement.
Vous estimez qu’il aspire à ce poste?
Nous n’avons qu’un chef de gouvernement nommé par SM le Roi Mohammed VI et c’est Abdelilah Benkirane. Si Chabat veut prendre sa place, c’est autre chose.
Chabat a donné un délai au chef de gouvernement pour refaire sa majorité.
Si la constitution stipulait ce délai, nous l’aurions volontiers appliqué et respecté. Même SM le Roi n’a pas donné un délai au chef de gouvernement, après l’avoir nommé, pour constituer le gouvernement. Chabat a donné un délai d’un mois et je me demande où il a trouvé cette «takhrija».
On a entendu parler, côté PJD, d’un probable complot contre Benkirane…
Je dirais qu’il y a de nombreuses manœuvres qui englobent tous les domaines. De toute évidence, le chef de gouvernement est visé, le gouvernement et le PJD également.
En cas de nouvelle alliance, quels sont les partis politiques que vous souhaiteriez voir vous accompagner?
Le PJD a une particularité: il reste fidèle à tous ses alliés.
Cependant, je vous dirais que la constitution du gouvernement reste ouverte à toutes les éventualités, toutes les concertations et toutes les orientations.
On parle d’éventuelles concertations avec le PAM ?
Il est vrai que la politique offre des opportunités, mais au PJD, nous ne faisons pas la politique pour la politique, comme nous ne sommes pas venus à la recherche de fauteuils, mais plutôt pour réaliser des réformes. Nous sommes convaincus que les réformes ne se feront qu’avec ceux avec lesquels nous partageons tout ce qui va dans le sens de l’intérêt national. Et toute constitution de tout autre alliance sera sujette de toute évidence au débat et à l’étude.
Le PJD a décidé de réunir son Conseil national une fois que l’Istiqlal aura quitté le gouvernement ?
Effectivement et c’est le Conseil qui décidera des orientations à venir du PJD.
L’opposition continue de boycotter la séance mensuelle du chef de gouvernement au parlement. Y a-t-il un compromis en vue?
Personnellement, je regrette ce boycott. Il n’est pas bien fondé.