Quelque 54 féminicides ont été enregistrés en Algérie en 2020, des chiffres qui ont soulevé l’indignation et la dénonciation d’organisations de défense des droits des femmes aussi bien nationales qu’internationales pour cette haine à l’égard des femmes.
Le phénomène des féminicides prend de plus en plus d’ampleur dans ce pays qui souffle la 2ème bougie d’un “Hirak” censé changer les mentalités, la liste macabre s’allongeant dramatiquement année après année.
La dernière victime en date est une journaliste de la chaîne publique algérienne TV4 Tamazight, qui a été poignardé à mort par son mari, un féminicide qui reflète la banalité des violences faites aux femmes en Algérie.
Analysant cette montée inquiétante de féminicides, “Algérie Féminicides”, un compte Facebook qui pallie l’absence de statistiques officielles en faisant un travail de veille, fait état de 54 cas de meurtre de femmes pour la seule année 2020.
“Un chiffre qui fait froid dans le dos et bien en dessous de la réalité”, selon les administratrices de ce site.
Face à ce phénomène des plus inquiétants, d’autres militantes des droits des femmes, qui déplorent une “absence de volonté politique”, pointent du doigt l’absence d’une réelle volonté pour lutter contre un phénomène qui en dit long sur les maux de la société algérienne.
“La loi existe pour protéger les femmes. Elle dissuade, condamne et emprisonne pour tous les actes cités par le code pénal, particulièrement le meurtre. Ce qui nous manque, ce sont les mécanismes étatiques de prise en charge”, déplore Me Nadia Ait Zaï, avocate et militante pour les droits des femmes.
Elle juge qu’il est “urgent (..) qu’on revienne rapidement vers l’élaboration de la stratégie nationale de lutte contre les violences faites aux femmes, parce que c’est cette stratégie qui va supporter les mécanismes d’éloignement du mari du domicile conjugal lorsqu’il est signalé”.
La militante des droits des femmes, tout en déplorant le blocage au niveau du gouvernement d’un projet de lutte contre les violences faites aux femmes, exhorte l’Etat à consentir davantage d’efforts en vue d’un changement de mentalités et de comportements sociétaux au sujet des violences faites aux femmes.
Pour Fadila Boumendjel-Chitour, présidente du réseau Wassila, qui a dénoncé vivement le meurtre de la journaliste de la Télévision algérienne, la flambée des cas de violences faites aux femmes en Algérie tire son origine dans la non-application de la loi criminalisant les violences faites aux femmes.
“Il y a un fossé entre les textes de loi et leur application sur le terrain”, regrette-t-elle.
“Hélas, il n’y pas eu de textes d’application concernant les sanctions. Il n’y a pas de stratégie de protection des femmes, qui leur permettrait d’avoir accès facilement aux commissariats pour déposer leurs plaintes. Il n’y a pas aussi d’accueil spécifique dans les services de santé. Elles n’ont pas eu l’accueil espéré au niveau des tribunaux, où il devrait aussi y avoir un guichet pour traiter ces cas de violences”, a-t-elle fustigé.
Elle déplore aussi l’absence de la culture d’alerte ou de signalement des violences dans l’entourage professionnel et familial des victimes.
“Il faut une politique publique, qui revoit cette loi et supprime la clause du pardon, qui prenne en charge tous les aspects des violences faites aux femmes et donne les moyens à tous les intervenants qui accompagnent ces femmes afin de véritablement pouvoir les protéger”, suggère-t-elle.
La présidente du réseau Wassila estime, à ce propos, que cela commence au niveau des commissariats de police avec des gens formés et des tribunaux avec des juges spécialisés dans la victimologie. “Lorsque l’on mettra cela en place, ce jour-là, on parlera de volonté politique sur le terrain visant à protéger les femmes”, a plaidé la responsable.
Suite aux meurtres fréquents perpétrés contre les femmes, des manifestations ont eu lieu ces derniers jours dans plusieurs villes d’Algérie pour demander que des mesures soient prises afin de mettre fin à la violence contre les femmes.
Mi-octobre, des actrices algériennes avaient également lancé une campagne de sensibilisation contre les violences faites aux femmes, en appelant à la prise de conscience et à la mobilisation générale pour que cesse cette violence.
Pour plusieurs observateurs, la montée en flèche de féminicides reflète la situation dégradée des droits de l’Homme dans son ensemble dans le pays.
“Si au double plan social et économique, la situation de l’Algérie n’est pas enviable, la situation des femmes n’est pas plus reluisante”, dénonce la Ligue Algérienne de Défense des Droits de l’Homme (LADDH).
“Ces deux dernières années, les violences faites aux femmes se sont multipliées dangereusement, surtout dans le contexte du confinement lié à la Covid-19, avec, notamment, une augmentation des cas de féminicides”.
Tout en faisant état d’une augmentation sensible des violences faites aux femmes, elle relève que les causes de cette violence sont directement liées au statut de la femme et à sa condition politico-juridique.
“Tant que le code de la famille continuera de régir le fonctionnement de la famille en consacrant la discrimination, l’inégalité entre l’homme et la femme, la suprématie et la domination masculine, en totale contradiction avec les textes de la Constitution, (…) les femmes continueront de subir la violence sous toutes ses formes”, estime la LAADH.
Cette donne est confirmée par une étude onusienne qui fait état d’une exacerbation des violences à l’égard des femmes en prenant plusieurs formes (agressions physiques, sexuelles, psychologiques, socio-économiques..).
Analysant des données récoltées par des associations durant les 10 premiers mois de 2020, l’étude relève la gravité de la situation en faisant état de près de 10.000 cas de violences contre les femmes, avec près de 1.000 cas d’atteintes à caractère sexuel, 2.548 violences socioéconomiques et 3.263 brutalités psychologiques.
LR/MAP