Le chef d’état-major de l’armée algérienne, Ahmed Gaïd Salah, a proposé, mardi 26 mars 2019, que le président Abdelaziz Bouteflika, affaibli par la maladie et contesté par la rue, soit déclaré inapte à exercer le pouvoir et ce, en vertu de l’article 102 de la Constitution algérienne.
Le général Gaïd Salah, également vice-ministre de la Défense et considéré comme l’un des personnages les plus puissants du pouvoir algérien, a fait cette annonce surprise plus d’un mois après le début d’une contestation populaire inédite dans le pays. Pour sortir le pays de la crise dans laquelle il se trouve depuis plus d’un mois, Gaïd Salah, connu pour être un des fidèles de Bouteflika, a prôné le lancement de la procédure prévue par l’article 102 de la Constitution, applicable quand le président de la République «pour cause de maladie grave et durable, se trouve dans l’impossibilité totale d’exercer ses fonctions» ou en cas de démission de ce dernier.
Désormais, la balle est dans le camp de Bouteflika et son clan. Ainsi, le président pourra choisir de démissionner. Sinon, il reviendra au président du Conseil constitutionnel, Tayeb Belaiz, un proche du président, de lancer la procédure prévue à l’article 102.
La méfiance des partis politiques
En réaction à la proposition faite par le chef d’état-major de l’armée, le Rassemblement National Démocratique (RND), principal allié du Front de Libération Nationale (FLN, présidé par Abdelaziz Bouteflika), a demandé, mardi 26 mars 2019, la démission du président algérien. Dans un communiqué signé par le Secrétaire général du RND, l’ex-Premier ministre, Ahmed Ouyahia récemment limogé, le parti a recommandé «la démission du président de la République (…) dans le but de faciliter la période de transition».
Pour le Mouvement de la Société pour la Paix (MSP), principale formation politique islamiste en Algérie, l’article 102 de la Constitution algérienne ne permet ni la mise en œuvre de réformes profondes, ni l’organisation d’élections libres dans le pays. Le MSP, qui a rompu avec la majorité présidentielle depuis 2012, a appelé l’armée à «se contenter d’accompagner la classe politique dans la recherche d’une solution».
Pour Ali Benflis, ancien Premier ministre de 2000 à 2003, devenu l’un de ses principaux opposants, «l’engagement de l’armée à trouver une solution satisfaisant aux revendications légitimes du peuple algérien est à saluer». Il a toutefois averti que la mise en œuvre de l’article 102 de la Constitution ne fera pas sortir le pays de sa crise politique.
Enfin, le Front des Forces Socialistes (FFS), le plus ancien parti d’opposition algérien, a dénoncé «un coup de force contre la volonté populaire qui exige le départ du système et de ses hommes et pas seulement du chef de l’Etat».
Une suite logique des événements
La sortie surprenante du chef d’état-major de l’armée algérienne, mardi 26 mars 2019, pour demander l’activation de l’article 102 de la Constitution algérienne, n’est que l’aboutissement d’un long feuilleton de dissensions au sein même du clan du «Raïss». En effet, le FLN a déjà exprimé son soutien absolu au mouvement de contestation réclamant le départ du régime en Algérie, tout en rejetant la feuille de route présentée par Bouteflika. «Le Front de Libération Nationale et les membres du parti soutiennent pleinement les revendications du peuple algérien en faveur d’un changement réel et profond», a affirmé Mouad Bouchareb, coordinateur du FLN et président du Parlement. Cette mise au point a alors été considérée par les observateurs de la scène politique algérienne comme le dernier signe de l’élargissement du cercle des dissidents autour du président algérien. Idem du côté du Rassemblement National Démocratique (RND), principal allié du FLN au sein de la majorité présidentielle. Son porte-parole, Seddik Chihab, a estimé que le parti s’est «trompé en soutenant la candidature de Bouteflika à un 5ème mandat, qui a déclenché la contestation» dans le pays. Il a aussi dit ne pas savoir «qui décide réellement à la présidence». Un discours tenu habituellement par les plus féroces opposants au régime de Bouteflika.
Cerise sur le gâteau, deux autres organisations piliers du pouvoir, à savoir le syndicat UGTA (Union Générale des Travailleurs Algériens) et l’organisation patronale, le Forum des Chefs d’Entreprises (FCE), ont à leur tour exprimé leur soutien aux manifestants et à leurs revendications.
De l’avis de nombreux observateurs de la scène politique en Algérie, la proposition de destituer Bouteflika n’est qu’une esquive et une manière d’afficher un semblant de changement, tout en optant pour un scénario qui arrange le pouvoir. L’application de l’article 102 signifie le maintien de cette même Constitution et du même régime, alors que la rue demande un changement réel.
A signaler que la proposition de «sortie de crise» faite par le chef d’état-major de l’armée algérienne, Ahmed Gaïd Salah, n’a pas convaincu le peuple algérien qui a appelé à la poursuite des manifestations jusqu’au départ du régime en place et de tous ses symboles. Pour les manifestants, les dirigeants de l’armée algérienne ne sont pas dignes de confiance.
Mohcine Lourhzal
Que dit la Constitution algérienne? La Constitution algérienne détaille la procédure en cas d’impossibilité pour le président de la République d’exercer ses fonctions. L’article 102 de la loi suprême du pays stipule ce qui suit: «Lorsque le président de la République, pour cause de maladie grave et durable, se trouve dans l’impossibilité totale d’exercer ses fonctions, le Conseil constitutionnel se réunit de plein droit et, après avoir vérifié la réalité de cet empêchement par tous moyens appropriés, propose, à l’unanimité, au Parlement de déclarer l’état d’empêchement.Le Parlement, siégeant en chambres réunies, déclare l’état d’empêchement du président de la République, à la majorité des deux tiers (2/3) de ses membres et charge de l’intérim du chef de l’Etat, pour une période maximale de quarante-cinq (45) jours, le président du Conseil de la Nation, qui exerce ses prérogatives dans le respect des dispositions de l’article 104 de la Constitution.En cas de continuation de l’empêchement à l’expiration du délai de quarante cinq (45) jours, il est procédé à une déclaration de vacance par démission de plein droit, selon la procédure visée aux alinéas ci-dessus et selon les dispositions des alinéas suivants du présent article.En cas de démission ou de décès du président de la République, le Conseil constitutionnel se réunit de plein droit et constate la vacance définitive de la présidence de la République.«Il communique immédiatement l’acte de déclaration de vacance définitive au Parlement qui se réunit de plein droit. Le Président du Conseil de la Nation assume la charge de chef de l’Etat pour une durée de quatre-vingt-dix (90) jours au maximum, au cours de laquelle des élections présidentielles sont organisées».