A travers le Hirak, les Algériens ont monté qu’ils sont disposés à payer le prix fort pour reconquérir leur souveraineté perdue à cause d’un régime sclérosé.
Le peuple algérien est catégorique. Il réclame un Etat de droit, civil et démocratique. Dans ce contexte, des milliers de manifestants ont défilé lundi 22 février 2021 dans le centre d’Alger entre autres villes et localités du pays, à l’occasion du deuxième anniversaire du soulèvement populaire (Hirak) anti-système.
Mêmes revendications, même combat!
Les protestataires se sont frayé un chemin vers le centre d’Alger malgré un impressionnant dispositif policier, en déployant drapeaux nationaux et amazighs devant la Grande Poste, lieu de rassemblement emblématique du Hirak algérien depuis son déclenchement en février 2019. Il s’agissait du cortège le plus imposant dans la capitale algérienne depuis l’arrêt des marches hebdomadaires le 13 mars 2020 à cause de la pandémie due au nouveau Coronavirus (Covid-19). Il apparait donc clair qu’en Algérie, le Hirak tient toujours bon et s’accroche de plus belle à ses revendications. A Alger, les manifestants ont repris en chœur l’essentiel des slogans du Hirak dont, «Nous ne sommes pas venus pour célébrer l’anniversaire mais pour que vous partiez», «Algérie, libre et démocratique», «Etat civil et non militaire», «y’en a marre des généraux», «vous dégagerez tous», ou encore, «l’heure fatidique a sonné». En province, des marches ont eu lieu notamment à Annaba, Oran, Béjaïa, Sétif, Bouira, Mostaganem, Constantine et Tizi Ouzou, selon des images postées sur les réseaux sociaux.
Le régime perd ses nerfs
Plusieurs manifestants ont été arrêtés par les services de sécurité, à travers le territoire algérien. Dans un post sur facebook, le Comité National de Libération des Détenus (CNLD) a fait état de plusieurs arrestations et de l’agression de l’activiste politique et ancien candidat à la présidentielle, Rachid Nekkaz au cours d’un meeting à Mostaganem. A Alger où des milliers de manifestants ont défilé pacifiquement pour réclamer le changement, le CNLD a fait état de dizaines d’interpellations. La même source a également signalé l’arrestation toujours à Alger du coordinateur national du Mouvement Démocratique et Social (MDS), Fatehi Ghares ainsi que de Wahid Benhala membre du bureau national du MDS. Dans d’autres wilayas algériennes comme Tebessa, Oran et Tiaret, M’Sila ou Mostaganem, le CNLD a noté aussi l’arrestation de dizaines de manifestants à Mostaganem, le CNLD fait également état de l’agression de Rachid Nekkaz lors d’une tentative d’interpellation policière alors qu’il prenait la parole publiquement durant une manifestation pacifique. La scène a été filmée et relayée en direct sur le compte Facebook de ce militant politique, libéré vendredi après plus de 440 jours de détention provisoire alors qu’il observait une grève de la faim de 29 jours. Une autre vidéo filmée en direct et diffusée sur le même compte montre Nekkaz en train d’être transporté à l’hôpital suite à son agression.
Le Hirak estudiantin reconquiert les rues d’Alger
Des dizaines d’étudiants se sont rassemblés mardi 23 février 2021 à Alger, malgré l’interdiction de manifester et une imposante présence policière, au lendemain d’importantes manifestations à travers tout le pays à l’occasion du deuxième anniversaire du Hirak. Avant l’interruption des marches hebdomadaires du Hirak en 2020, en raison de la Covid-19, les étudiants avaient pour habitude de défiler chaque mardi. Malgré les cordons policiers, des dizaines d’étudiants et de militants ont réussi à parcourir quelques centaines de mètres jusqu’au théâtre national, aux cris de «Nous sommes des étudiants et pas des terroristes», «Pour une presse libre et une justice indépendante» ou encore «Algérie libre et démocratique». La progression de la marche a été stoppée près de la Faculté centrale d’Alger. La police a ensuite évacué les manifestants vers une station de bus réservée aux étudiants avant de les forcer à quitter le centre-ville. «Malgré la répression, malgré tout on continue à croire en notre combat jusqu’à la libération de notre pays. On a arrêté les marches pendant la pandémie, c’est le moment de revenir et de continuer la lutte. Nous n’allons pas baisser les bras», ont promis les manifestants. Entre février 2019 et avril 2020, les étudiants ont marché à Alger pendant plus de 50 mardis consécutifs.
Déclenché le 22 février 2019, le Hirak algérien avait poussé Abdelaziz Bouteflika, au pouvoir depuis deux décennies, à la démission deux mois plus tard. Ce mouvement de protestation inédit continue aujourd’hui de réclamer le démantèlement du système en place, synonyme à ses yeux d’autoritarisme et de corruption. Les séjours prolongés du président Abdelmajid Tebboune en Allemagne, trois mois en tout depuis le 28 octobre 2020 alors que l’Algérie traverse une crise sanitaire, politique et socio-économique, ne sont pas sans rappeler ceux de son prédécesseur. Arrivé au pouvoir le 12 décembre 2019 avec la volonté d’incarner «la nouvelle Algérie», Tebboune se trouve aujourd’hui à la tête d’un pays dans l’impasse avec des institutions bloquées et une économie à bout de souffle.
ML
Remaniement ministériel
Beaucoup de bruit pour rien
La veille du second anniversaire du Hirak en Algérie, le président Abdelmajid Tebboune a procédé à un remaniement ministériel, sans changement d’équipe majeur.
Ainsi, le Premier ministre Abdelaziz Djerad, pourtant très critiqué, reste à son poste ainsi que les détenteurs des ministères régaliens, selon la liste publiée par la présidence de la République. Sont partants le ministre de l’Énergie, Abdelamadjid Attar, chargé d’une rente pétrolière sur le déclin, et son collègue de l’Industrie, Ferhat Aït Ali, qui paie sa gestion du dossier de la relance de l’industrie automobile. Parmi les arrivants, avec le portefeuille du Tourisme, figure Mohamed Ali Boughazi, un ancien conseiller de l’ex-président déchu Abdelaziz Bouteflika, une nomination qui fait grincer des dents sur les réseaux sociaux. En revanche, le ministre de la Justice, Belkacem Zeghmati, symbole de la répression judiciaire contre l’opposition et les militants du Hirak, garde son portefeuille, tout comme le ministre de la Communication et porte-parole du gouvernement, Ammar Belhimer, qui garde la haute main sur les médias.
Liberté d’expression, droits de l’homme
Amnesty dénonce «le climat de répression» en Algérie
Depuis deux ans, les militants du Hirak sont en butte à des méthodes répressives, a dénoncé Amnesty International, à l’occasion du deuxième anniversaire de ce mouvement de contestation.
«Les autorités algériennes se sont attaquées à des dizaines de manifestant(e)s, journalistes et militant(e)s à coups d’arrestations arbitraires et de poursuites judiciaires, au motif qu’ils ont manifesté pacifiquement et exprimé des opinions politiques sur les réseaux sociaux», a déploré l’Organisation de défense des Droits de l’Homme. Dans une investigation menée sur 73 cas de militants du Hirak, de manifestants et de journalistes, Amnesty International affirme avoir constaté qu’au cours des deux dernières années, les autorités ont eu recours à des arrestations arbitraires, à des poursuites et parfois à des condamnations à de lourdes peines de prison sur la base de dispositions floues du Code pénal, notamment «atteinte à la sécurité nationale», et «incitation à un attroupement non armé». Dans ses conclusions suite à cette investigation, Amnesty International épingle «les lois récemment adoptées qui criminalisent la diffusion de fausses informations ou le non-respect des mesures de confinement en cette période d’urgence sanitaire». Ces lois ont été «invoquées pour intenter des poursuites contre plusieurs militants qui avaient appelé à reprendre la contestation ou avaient critiqué la gestion de la pandémie de Covid-19 par les autorités», dénonce l’ONG.