Algérie : Gaïd Salah menace le peuple, mais l’armée lui est-elle acquise ?

Les gigantesques et multiples manifestations du peuple algérien, que révolte la candidature du Président Abdelaziz Bouteflika à un 5ème mandat, alors qu’indépendamment de son âge (82 ans, cette semaine), le chef de l’Etat est dans un état d’invalidité totale, depuis 2013, suite à un grave AVC… ne s’essoufflent pas.

Bien au contraire, après la lettre adressée dimanche 3 mars, au soir, au peuple algérien, dans laquelle le Président Bouteflika a confirmé, qu’il se présentait à l’élection présidentielle prévue le 18 avril 2019, les manifestations ont repris de plus belle, dans la nuit-même du dimanche et se sont poursuivies jusqu’à l’aube.

Les mouvements de colère se sont enchaînés, sans relâche, aux quatre coins du pays, ainsi que dans les grandes capitales où la diaspora algérienne a exprimé, à son tour, son rejet du 5ème mandat et promis de continuer de le faire.

La pirouette des hommes forts de l’entourage du Président Bouteflika, qui lui ont fait dire dans cette lettre que ce serait la dernière fois qu’il briguerait un mandat présidentiel et qu’il promettait même d’organiser une élection présidentielle anticipée, n’a pas réussi à calmer les esprits. Le peuple l’a reçue, au contraire, comme une nouvelle humiliation, voire une provocation (comme l’a dit le candidat de l’opposition qui s’est désisté, Ali Benflis).

Les manifestations ont donc repris et tous les observateurs ont retenu leur souffle, les yeux tournés vers le pouvoir algérien. Qu’allait-il faire, sa proposition n’ayant pas démobilisé les manifestants ?

La réponse ne s’est pas fait attendre. Le général Ahmed Gaïd Salah, chef de l’Etat-major de l’armée algérienne, vice-ministre de la Défense et un des acteurs principaux du pouvoir algérien, a été clair dans un discours prononcé, mardi 5 mars, à l’occasion d’une visite qu’il a effectuée à l’académie militaire de Cherchell (80 km à l’ouest d’Alger).

Dans ce discours, accusant «certaines parties» -qu’il n’a pas nommées- d’être «dérangées de voir l’Algérie stable et sûre» et de vouloir ramener le pays «aux douloureuses années de braise» (allusion à la guerre civile de la décennie 90), le Général a lancé une mise en garde qui a, dès lors, été le principal message retenu de son discours. L’armée, a-t-il dit, «demeurera la garante» de «cette sécurité et de cette stabilité retrouvée»…

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Certes, tous ceux qui suivent de près la politique algérienne savent que le Général Gaïd Salah est devenu l’homme tout-puissant du régime.

A la faveur de sa rivalité avec l’ex-patron du défunt DRS, le Général Mediène (surnommé Général Toufik), il avait été choisi par les Bouteflika (qui lui étaient reconnaissants d’avoir défendu le 4ème mandat) pour déboulonner celui qui régnait en maître absolu sur la sécurité militaire, depuis 1990 jusqu’à son éviction en 2015, ce même Général Mediène. Puis, Gaïd Salah a joué des coudes pour se retrouver seul homme fort de l’armée aux côtés des Bouteflika, éliminant peu à peu tous ses autres rivaux. Il a commencé par le Général Hocine Benhadid, qui a été jeté en prison en 2015. Ensuite, la Direction centrale  de la sécurité de l’armée, la DCSA, lui ayant été confiée, il a –de l’avis d’observateurs algériens bien informés- utilisé cette DCSA pour renforcer ses positions et affaiblir celles de tous ceux qui lui faisaient de l’ombre. Dans l’affaire de la cocaïne saisie en mai 2018 dans le port d’Oran, qui a conduit à l’arrestation de nombreux gradés, les intérêts de Gaïd Salah et des Bouteflika ont convergé. Le 1er s’est débarrassé de plusieurs Généraux comptant parmi ses rivaux (notamment, le patron de la DGSN, Abdelghani Hamel). Tandis que les seconds en profitaient pour mettre derrière les barreaux d’influents responsables militaires opposés à un nouveau mandat de Abdelaziz Bouteflika.  

En présentant ses mémoires, en mai 2017, le Général à la retraite, Rachid Benyelles, avait dit à Radio M: «J’espère que Ahmed Gaïd Salah aura la sagesse de laisser faire les urnes en 2019». Il savait de quoi il parlait…

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En effet, jusque-là Gaïd Salah agissait plus ou moins en coulisses. Le limogeage de Abdelmalek Sellal, qui avait dirigé les trois campagnes du Président Bouteflika (celles de 2004, 2009 et 2014) et son remplacement, ce 2 mars, par Abdelghani Zaalane, ministre des Travaux publics et des Transports, mais aussi gendre du Général Gaïd Salah, a été un nouveau signal de mainmise sur la vie politique algérienne. Une intervention toujours plus ou moins en coulisses… Mais, devant la montée de la contestation et la non-soumission populaire aux solutions proposées dans la lettre confirmant la candidature de Abdelaziz Bouteflika, Gaïd Salah a tombé le masque, prévenant ouvertement les citoyens de son pays que l’armée ne resterait pas les bras croisés devant une montée en puissance des manifestations…

Le fait est que les manifestants qui étaient contre le 5ème mandat seulement et auraient pu laisser le régime choisir un remplaçant au Président malade, exigent aujourd’hui «la fin du Système» et le départ de tous les acteurs du régime en place, donc de Gaïd Salah également…

Le Chef de l’Etat-major et vice-ministre de la Défense pourra-t-il aller jusqu’au bout de ses menaces ? Sachant que, d’une part, dans l’armée, il s’est fait beaucoup d’ennemis parmi les fidèles des Généraux limogés ou emprisonnés, qui ne le suivront peut-être pas…. Et que, d’autre part, les puissances étrangères commencent à exprimer leur soutien au peuple algérien… C’est le cas des Etats Unis, par exemple…

Au Général Gaïd Salah et, sans doute, à tout l’entourage des Bouteflika de choisir entre le retrait, comme le souhaite le peuple, ou la mise à feu et à sang de l’Algérie… A l’heure actuelle, personne ne peut jurer de rien. Tout dépendra de la détermination du peuple algérien. 

Bahia Amrani

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