Algérie : Le bras de fer se durcit entre Gaïd Salah et le Hirak

Les manifestants comparent Gaïd Salah à une «vache» qui continue de s’engraisser tandis que l’économie algérienne est en faillite  

La présidentielle pour élire un successeur à Abdelaziz Bouteflika ne souffrira aucun autre délai, a martelé mercredi 4 septembre 2019, le chef d’état-major de l’armée algérienne.

Considéré comme l’homme fort du pays, Gaïd Salah a répété son exigence que cette élection soit organisée avant la fin de l’année en cours. La nouvelle tactique du pouvoir aura-t-elle raison de la détermination de la rue algérienne? Allons-nous assister à un durcissement du bras de fer entre Gaïd Salah et le Hirak?

Le chef de l’armée algérienne, également vice-ministre de la défense, s’exprimait pour la troisième fois, en trois jours, sur la situation politique en Algérie. Dans un précédent discours, prononcé le 2 septembre, Gaïd Salah, qui a pris les rênes du pays après avoir contraint au départ l’ancien locataire du Palais Mouradiya, à qui il doit son ascension, avait sommé le président de la République par intérim, Abdelkader Bensalah, de signer le décret de convocation du corps électoral, permettant ainsi l’organisation de l’élection présidentielle à la mi-décembre prochain. 

La démocrature à l’Etat pur 

Incarnant la démocrature qui règne en Algérie depuis des décennies, le général Gaïd Salah est allé plus loin en fixant à Bensalah, une date butoir pour qu’il s’exécute. «Concernant l’élection présidentielle, j’aimerais insister encore une fois: la situation ne peut tolérer plus de retard», a ordonné le chef de l’armée algérienne et homme fort du pays, pourtant rejeté par la rue. Pour donner ses directives au chef de l’Etat par intérim, Gaïd Salah s’est basé sur la loi électorale algérienne qui énonce dans son article 25 que «le corps électoral est convoqué par décret présidentiel dans les trois mois qui précédent la date des élections». Il apparaît donc clair que le choix du timing de la dernière sortie médiatique de Gaïd Salah n’a pas été fortuite. Comme l’expliquent les spécialistes de la question algérienne, une convocation postérieure à la date du 15 septembre fixée par Gaïd Salah pour la convocation du corps électoral, repousserait à 2020 cette échéance électorale. Ce scénario n’arrange en rien le régime en place, pressé d’installer ses fidèles serviteurs aux postes clés et stratégiques au sein de l’Etat.

Les plans de Gaïd Salah ne passent pas 

Depuis le coup d’Etat qu’il a mené contre l’ancien locataire du palais Mouradiya, Abdelaziz Bouteflika, Gaïd Salah qui doit son ascension à l’ex-président déchu, refuse toute autre solution de sortie de crise, que l’organisation d’une présidentielle sur mesure. Élection qui, de toute évidence, viendrait accentuer l’emprise de l’institution militaire sur les volets économiques et politiques du pays. Les plans du général, ont été vite décodés par les manifestants. Depuis plus de sept mois, la rue algérienne fait preuve d’une détermination impressionnante, pour dire non au maintien des symboles du régime de Abdelaziz Bouteflika, avec à leur tête, Gaïd Salah, Abdelkader Bensalah et Noureddine Bedoui, respectivement chef de l’armée, chef de l’Etat par intérim, et premier ministre.

Face à cette volonté, qui ne fléchit guère, de dépoussiérer l’Algérie des sbires de l’ancien régime, en dépit du Ramadan, des vacances d’été et des campagnes d’intimidation, le pouvoir incarné depuis des mois par Gaïd Salah, a dû battre un peu en retraite, en annonçant le report de l’élection présidentielle, non pas à une mais à deux reprises. Ce scrutin a en effet été ajourné une première fois pour juillet 2019, avant d’être reporté sine die.  De l’avis des spécialités de la question algérienne, Gaïd Salah et consorts, veulent à tout prix précipiter les choses vers une présidentielle avant le début de l’année prochaine, question de tourner ce qu’il croit être un épisode de protestations passager. En réalité, ce qui se passe en Algérie depuis plusieurs mois, témoigne de la crise latente et profonde qui a engouffré le pays dans un véritable bourbier fait de dictature, de pauvreté, de doute et, plus récemment, de désespoir total. 

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La rentrée s’annonce mouvementée

Le cri de désespoir auquel le régime n’a jamais prêté attention, s’est manifesté, une nouvelle fois, en ce début d’année universitaire. Mardi 3 septembre 2019, des centaines de milliers d’étudiants auxquels se sont ajoutés autant de professeurs et de magistrats, ont investi les rues d’Alger la capitale. Brandissant des slogans hostiles au pouvoir et à l’agenda électoral que veut imposer Gaïd Salah, les manifestants ont promis de boycotter la présidentielle algérienne. «Pas de vote», ont scandé les protestataires qui avaient l’air plus déterminés que jamais. Lors de cette manifestation qui a marqué la 28ème semaine du Hirak estudiantin en Algérie, les manifestants ont, pour la énième fois, exigé le départ de tous les symboles de l’ancien régime avant le début d’une quelconque transition ou tenue d’élection. C’est dire si la rupture entre le pouvoir et le peuple a atteint son apogée en Algérie. 

Du point de vue de la majeure partie de la classe politique et du tissu associatif algériens, les récentes sorties médiatiques du général Gaïd Salah s’apparentent beaucoup plus à une volonté d’imposer son autorité et renforcer la mainmise de l’institution militaire sur le pays, outre le fait que les directives de Salah à Bensalah outrepassent ses prérogatives, lesquelles ne lui permettent pas d’interférer dans les affaires politiques du pays. Les avis et analyses de la situation qui prévaut en Algérie, convergent vers l’idée selon laquelle, le fait que le chef de l’armée tente de réduire la crise latente que traverse le pays, en imposant une élection que la rue rejette, témoigne du non-sens et du manque de lucidité d’un Général octogénaire totalement déphasé avec la réalité et sourd aux préoccupations et aux attentes des Algériens. 

La presse algérienne en parle

Dans ce climat tendu, même la presse algérienne s’est saisie de la question de savoir où va le pays, avec un Gaïd Salah plus autoritaire que jamais. Selon qu’ils soient proches ou anti-régime, les médias locaux et nationaux se sont focalisés sur le contenu des derniers discours du chef de l’armée. Si le quotidien El Moudjahid a salué ce qu’il a qualifié de «proposition qui a le mérite d’être frontale, sereine et responsable, permettant d’éviter l’impasse politique et d’envisager avec plus de visibilité, de sérénité et d’optimisme l’avenir du pays» ; El Watan a, quant à lui, rappelé que la principale revendication des manifestants consiste en un changement radical du système, le départ de tous ses symboles, ainsi que l’instauration d’un Etat démocratique civil et non militaire.  Le journal El Watan, a en outre, mis en garde contre les répercussions que pourraient avoir la poursuite de la politique de sourde oreille et de dénigrement prônée par le pouvoir à l’égard du peuple et ses revendications. 

Les internautes s’expriment 

Sur les réseaux sociaux, les Algériens ont fait montre d’un grand sens de l’humour pour dénoncer le blocage politique et la crise constitutionnelle dans leur pays.  En témoignent des dizaines de caricatures largement partagées sur Facebook. L’une d’elles a montré une discussion entre un jeune couple algérien au sujet du programme qu’ils avaient prévu pour le vendredi 6 septembre 2019.  Sur la caricature on montre une épouse demander à son mari: «on part où aujourd’hui?». Avant que ce dernier ne lui réponde: «nous acheter de nouvelles chaussures pour vendredi». Ce dialogue aussi humoristique soit-il, témoigne de la volonté inébranlable des manifestants à déboulonner les figures du système, avant de s’atteler à la construction d’une Algérie libre et démocratique. 

La rue ne veut plus rien entendre 

Cette nouvelle Algérie voulue par la population, ne saurait voir le jour sous le régime militaire en place dans le pays. C’est la raison pour laquelle la rue ne veut rien entendre de la part de Gaïd Salah et des autres figures du système. Preuve supplémentaire en est, le refus des propositions qu’il avait faites auparavant, pour mettre en place une commission nationale chargée de préparation et de surveillance des élections. Aux yeux des manifestants, tout comme de l’avis d’un grand nombre d’analystes politiques, le fond du problème n’est pas lié à la supervision des élections en Algérie, mais plutôt à cette volonté du régime de prendre les mêmes figures de l’ancien système et de recommencer… Face au niet catégorique de la rue algérienne, les fidèles du pouvoir, à l’instar du président de la Chambre basse du parlement algérien Slimane Chenine, et le Secrétaire général du Rassemblement National Démocratique (RND), Azeddine Mihoubi, opposent leur soutien inconditionnel à Gaïd Salah. Alors que Chenine a mis en avant ce qu’il considéré comme une volonté du pouvoir de servir les intérêts de la nation, estimant que «le temps impose à tout un chacun, d’aller rapidement vers la concrétisation de la légitimité populaire à travers l’élection présidentielle avant l’année en cours» (Sic), Mihoubi a affirmé, pour sa part, que «l’installation de la commission nationale de préparation et de surveillance des élections est imminente et que l’Algérie aura son président d’ici le début de l’année 2020», appelant les Algériens à s’unir pour l’avenir de leur pays.

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L’avenir d’un pays est tributaire du climat de démocratie qui y règne. Or, en Algérie, force est de constater que ce n’est pas par un Gaïd Salah, octogénaire et pur produit de l’ancien système, que la démocratie viendra.  Depuis qu’il tire les ficelles en Algérie, la démocratie ne serait-ce que de façade, a pris un sacré coup. Faut-il rappeler le maintien de Abdelkader Bensalah dans ses fonctions de chef de l’Etat par intérim, alors même que son mandat de 90 jours a expiré en juillet 2019? 

Les manifestants sont plus que jamais convaincus que dans la configuration politique actuelle en Algérie, aucun élan ni changement démocratiques ne sauraient être envisagés. Bravant les menaces et interdictions, les protestataires ont investi les rues d’Alger, entre autres villes et localités du pays, vendredi 6 septembre 2019, pour insister là-dessus et rappeler que la construction d’une Algérie nouvelle, est tributaire du départ de tous les symboles de l’ancien régime. En leur présence, il est certain que le pays se dirige droit dans le mur. 

Mohcine Lourhzal

Instance Nationale de Dialogue et de Médiation

Karim Younes remet son rapport à Bensalah

Selon un communiqué de la Présidence algérienne, le chef de l’Etat par intérim, Abdelkader Bensalah a reçu, dimanche 8 septembre 2019  à Alger, les membres de l’Instance Nationale de Dialogue et de Médiation (INDM). Le coordonnateur de cette instance, Karim Younes,  a remis à Bensalah son rapport final relatif au processus de dialogue et de médiation engagé avec les Partis politiques, les représentants de la société civile, les personnalités nationales et des représentants du Hirak qui secoue le pays depuis février 2019. Dans son rapport, l’INDM a souligné entre autres, l’impératif de respecter l’esprit de la Constitution, soulignant le maintien de la revendication de la classe politique et de la société civile appelant au départ de l’actuel Gouvernement.

Fuite des capitaux algériens

78,6 millions de dollars transférés vers l’étranger  

En sept mois, entre janvier et juillet 2019, plus de 78,6 millions de dollars ont été transférés au Canada depuis l’Algérie, rapporte le journal canadien «Le Devoir».  Plus inquiétant, «la valeur moyenne des transferts a également explosé en 2019, pour atteindre 405.195 dollars par transaction déclarée, contre 187.900 dollars et 157.857 dollars respectivement en 2018 et 2017», ajoute encore la publication qui met en cause les grosses fortunes algériennes et la classe dirigeante du pays, accusée par le Hirak de s’en mettre plein les proches au détriment du peuple et de ses intérêts.

 

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