Un dispositif de sécurité exceptionnel a été déployé autour du tribunal militaire de Blida
On dit souvent que les traîtres finissent à la poubelle de l’histoire
En Algérie, jusqu’à peu de temps, personne n’imaginait un seul instant que des piliers de l’ancien régime pouvaient comparaitre devant un tribunal qui plus est, militaire. Or, le destin est imprévisible.
En effet, le procès de Saïd Bouteflika, de deux anciens chefs du renseignement, l’ex-général de corps d’armée Mohamed Mediene, dit «Toufik», et son successeur le général à la retraite Athmane Tartag dit «Bachir», ainsi que du Général Khalid Nizar et de la Secrétaire générale du Parti des travailleurs, Louisa Hanoun, s’est ouvert lundi 23 septembre au tribunal militaire de Blida, à 47 kilomètres d’Alger. Seuls les avocats, les familles des accusés et des journalistes de la télévision publique ont été autorisés à pénétrer dans la salle d’audience. La police et les gendarmes ont entouré les abords du tribunal d’un important dispositif de sécurité.
La parole est à la défense
Les avocats de Louisa Hanoune et du général Toufik, venu au procès en fauteuil roulant selon les médias algériens, ont demandé le report du procès pour des raisons de santé. Trois médecins, désignés par le juge ont examiné les deux prévenus et ont conclu que leur état de santé n’était pas un obstacle à leur comparution. Saïd Bouteflika a demandé à se retirer de l’audience après la lecture de l’arrêt de renvoi en contestation des accusations portées contre lui, ainsi que l’ajout d’éléments qui n’avaient pas été communiqués à la défense. Le juge lui a permis de se retirer en lui faisant valoir qu’il sera jugé par contumace. En réalité, il n’y avait que trois prévenus à l’audience, le général Tartag ayant refusé de comparaître. Tout en confirmant la participation de Louisa Hanoun à une réunion le 27 mars 2019 avec Saïd Bouteflika et le général Mediene, la défense de la Secrétaire général du Parti Travailliste, a assuré que leur cliente y a plaidé en faveur de la «démission d’Abdelaziz Bouteflika, le départ du gouvernement, la dissolution des deux chambres du Parlement et l’élection d’une Assemblée constituante», qu’elle considère comme la seule issue possible à la contestation populaire qui secoue l’Algérie. Cette réunion, rappelons-le, s’était tenue au lendemain d’une déclaration du chef d’état-major de l’armée, Gaïd Salah, demandant publiquement le départ du pouvoir incarné par Abdelaziz Bouteflika et les siens. Quelques jours plus tard, Gaïd Salah a accusé, sans les nommer, Saïd Bouteflika, les Généraux Mediene et Tartag de se réunir pour comploter contre l’armée. Il les avait même qualifiés de bandits du même gang (Issaba). Entendu comme témoin le 14 mai 2019, dans l’enquête visant le frère de l’ex-président algérien déchu, le Général Khaled Nizar qui n’est autre que l’ancien homme fort de l’Algérie dans les années 1990, a affirmé que Saïd Bouteflika lui avait confié qu’il envisage d’instaurer l’état de siège et de démettre le Général Gaïd Salah, afin de mettre un terme à la contestation contre son frère Abdelaziz. Saïd Bouteflika comptait agir en homme fort du palais Mouradiya, quoique ne disposant d’aucun pouvoir constitutionnel. Également accusés de complot contre l’autorité de l’Etat, Nizar et son fils Lotfi sont depuis le 6 août 2019, sous le coup d’un mandat d’arrêt international émis par le tribunal militaire de Blida. Selon des médias algériens, ils auraient fui à l’étranger en début d’été.
Le verdict est tombé
Le verdict du procès pour atteinte à l’autorité de l’Etat et de l’armée contre Saïd Bouteflika, Mohamed Mediene, Athmane Tartag, Khaled Nezzar et Louisa Hanoune, est tombé mardi 24 septembre 2019. Le frère du président déchu, Abdelaziz Bouteflika, a ainsi été condamné à 15 ans de prison ferme. Le général Mediene et son successeur à la tête du renseignement Athmane Tartag et la secrétaire générale du Parti des travailleurs, jugés dans la même affaire, ont écopé de la même peine. Le Tribunal militaire de Blida a également condamné à 20 ans de prison l’ancien ministre de la Défense et ex-chef d’état-major de l’armée Khaled Nezzar, son fils Lotfi, ainsi que Farid Benhamdine, gérant de la Société algérienne de pharmacie, tous les trois jugés par contumace pour atteinte à l’autorité de l’armée et de l’Etat. Le parquet de Blida avait requis, mardi 24 septembre 2019, vingt ans de prison contre Saïd Bouteflika et les autres prévenus jugés dans ce procès.
Procès inédit ou poudre aux yeux?
Qualifié par la télévision publique algérienne de «sans précédent dans l’histoire de la justice algérienne», ce procès est suivi de près par l’opinion publique locale du fait qu’il intervient dans un contexte marqué par le durcissement du bras de fer qui oppose depuis plusieurs mois, le général Gaïd Salah et la rue algérienne. Ce duel s’est accentué, rappelons-le, après l’annonce de la date de la tenue de la prochaine présidentielle dans le pays, à contre-gré des manifestants qui battent le pavé depuis plusieurs semaines, exigeant le départ illico presto des symboles et fidèles du régime de Abdelaziz Bouteflika, y compris Gaïd Salah. S’il est vrai que les accusés qui ont comparu, le 23 septembre 2019, devant le tribunal militaire de Blida méritent bien leur sort, beaucoup considèrent que Louisa Hanoun également poursuivie pour complot contre l’autorité de l’Etat, n’est qu’une victime collatérale de cette guerre farouche qui oppose Gaïd Salah à ses ennemis, ceux que le Général considère comme une menace qui pourrait l’empêcher d’imposer sa propre vision de la transition politique en Algérie.
Plus d’échappatoire pour le régime
Un mouvement de contestation inédit débuté le 22 février dernier, a contraint Abdelaziz Bouteflika à renoncer à un cinquième mandat puis à démissionner le 2 avril 2019, après deux décennies au pouvoir. Depuis, la justice algérienne, évidemment sur ordre de Gaïd Salah, a ouvert une série d’enquêtes sur des faits présumés de corruption visant d’ex-hauts responsables politiques et militaires ainsi que des hommes d’affaires, accusés d’avoir profité de leurs liens privilégiés avec l’entourage de Abdelaziz Bouteflika. De puissants hommes d’affaires ont été écroués, la plupart étant soupçonnés d’avoir profité de leurs liens avec l’ancien président, ou son entourage, pour obtenir des avantages ou des marchés publics. Dernièrement, ce sont d’anciens hauts responsables qui ont été placés en détention préventive. Parmi eux, deux anciens Premiers ministres, Ahmed Ouyahia et Abdelmalek Sellal, outre l’ancien ministre du Commerce, Amara Benyounes, et son collègue le ministre du Travail Tayeb Louh. Ce dernier a été transféré jeudi 22 août 2019 à la prison d’El Harrach, où il a rejoint plusieurs de ses anciens collègues au gouvernement. Du point de vue des spécialistes des questions algériennes, Gaïd Salah cherche désespérément une échappatoire, face au rejet dont il fait l’objet de la part du Hirak. D’où la vague d’arrestations de grande ampleur qui a suivi la destitution de Abdelaziz Bouteflika et les sorties médiatiques du Général afin de se faire passer pour le défenseur des Algériens et le protecteur des richesses du pays. Tandis qu’en réalité, les Algériens savent pertinemment que Gaïd Salah a participé activement à l’opération de pillage des ressources naturelles et financière du pays, tout comme ceux qu’il juge aujourd’hui.
Les manifestants algériens sont clairs là-dessus. Rien ni personne ne viendra affecter leur détermination à nettoyer, au Kärcher, le pays des restes de l’ancien régime.
Mohcine Lourhzal
La trahison dans le sang Faut-il encore rappeler que c’est Bouteflika qui avait décidé de maintenir Gaïd Salah dans ses fonctions de commandant au sein de l’armée, en 2003, alors qu’il allait être mis à la retraite par le général Lamari? Doit-on se ressouvenir qu’en 2004, Salah a été promu par le président déchu, au grade de chef d’État-Major de l’armée, avant de devenir en 2013, vice-ministre de la Défense?
Hirak algérien
Une détermination qui n’a d’égale que la perversité du Général
Ni l’annonce de la date de l’élection (12 décembre 2019), ni les interpellations, ni le procès d’anciennes figures du système et encore moins la fermeture de la capitale algérienne, n’ont affaibli la mobilisation des manifestants, bien au contraire.
Pas plus tard que le vendredi 20 septembre 2019, des dizaines de milliers de manifestants se sont rassemblés dans le centre d’Alger, malgré l’arrestation de plusieurs chefs de file de contestation ces derniers jours.
Venue de toutes les villes et localités algériennes, la foule scandait des slogans hostiles à Gaïd Salah et refusant d’aller aux urnes, le 12 décembre prochain comme imposé par le chef d’état-major qui agit désormais en tant que régent d’Alger. Le fait que la contestation soit dirigée principalement contre le chef d’état-major, montre selon plusieurs analystes, qu’il est définitivement rejeté par la rue.
Le refus de l’organisation de la présidentielle prévue dans un peu moins de trois mois, n’est pas l’apanage des seuls manifestants. Plusieurs présidents d’assemblées, notamment ceux de Bejaia et de Tizi-Ouzou, ont à leur tour exprimé leur refus de participer à une telle mascarade politique.