Algérie | Quand c’est fini, c’est fini !

Algérie | Quand c’est fini, c’est fini !

Le mal élu et décrié Abdelmajid Tebboune

S’il est un pays vulnérable aux fluctuations des prix des hydrocarbures sur le marché mondial, c’est bien l’Algérie. Plus de 95% des revenus d’exportations de ce pays proviennent des exportations de pétrole et de gaz.

Très dépendante de la rente pétrolière, déjà confrontée à un ébranlement politique doublé d’une urgence sanitaire, et qui voit s’installer une grave crise économique et politique, l’Algérie dirigée par une clique de militaires et de politiques rejetés par le peuple, continue de naviguer à vue et foncer droit dans le mur.  En Algérie, la loi de finances 2020 tablait sur un baril à 50 dollars pour une croissance d’environ 1,8%. Aujourd’hui et avec un prix du baril de pétrole avoisinant à peine les 30 dollars, le pays est au bord de la catastrophe économique et sociale. 

Jusqu’au dernier trou

Pour faire face à cette crise inédite, le régime algérien et après avoir longtemps profité de la manne pétrolière pour garnir ses comptes en banque personnels, n’a rien trouvé de mieux à faire que d’appeler le peuple à se serrer la ceinture jusqu’au dernier trou. Dans ce contexte, le président algérien Abdelmajid Tebboune, largement rejeté par les Algériens qui depuis plus d’une année appellent à un changement radical du régime, a reconnu la vulnérabilité de l’économie algérienne «en raison de la négligence pendant des décennies à la libérer de la rente pétrolière». En jouant la sainte nitouche, Tebboune espère pouvoir amadouer les Algériens une nouvelle fois, en les préparant psychologiquement à la catastrophe économique et l’appauvrissement général auquel ils seront confrontés dans les semaines et mois à venir. Tandis que d’autres pays placent l’intérêt du citoyen en tête des priorités, le pouvoir algérien lui, place l’intérêt de ses concitoyens au plus bas de la liste de ses priorités.            

On prend dans la poche du peuple

Dans ce contexte de crise, l’économie algérienne est confrontée à plusieurs dangers. Il s’agit principalement de l’assèchement rapide des réserves de change, l’aggravation du déficit budgétaire et de la balance des paiements, forte dévaluation du dinar, outre le danger de l’inflation.  Au bout du compte, la récession économique et le chômage de masse deviennent endémiques, ce qui menace l’Algérie d’un effondrement économique et social jamais vu. Les réserves de change en Algérie sont tombées sous les 60 milliards de dollars, à fin mars 2020, contre 79,88 milliards de dollars fin 2018 et 97,22 milliards de dollars fin 2017. Bon nombre d’économistes prédisent un épuisement des réserves en devises en Algérie, à très court terme.

Crise de confiance généralisée

Face à cette conjoncture économique catastrophique, le régime algérien incarné par le nouveau président impopulaire Abdelmajid Tebboune, met la main dans la poche du citoyen déjà épuisé à tout point de vue. En effet, le pouvoir a annoncé son intention d’élargir l’assiette fiscale, de recourir à l’endettement public et de négocier des prêts. Avec le reste des réserves de change, cela devrait lui permettre de tenir quelques mois supplémentaires, en attendant le cataclysme économique et social qui menace le pays, jusque-là le plus riche du Maghreb… Par ailleurs l’Algérie table sur une augmentation des investissements étrangers. Seulement voilà, dans un pays où le système politique ne fait pas l’objet de consensus de la part du peuple, il est quasi-impossible de susciter la confiance des investisseurs. C’est ce qu’expliquent des économistes algériens qui ne cachent pas leur scepticisme. Ces mêmes spécialistes doutent de la capacité de l’Algérie à attirer les investissements directs étrangers (IDE) en raison de la bureaucratie, d’un système financier sclérosé et de la corruption qui gangrènent le pays.

La gifle retentissante…

Plus grand exportateur de gaz vers l’Espagne depuis 30 ans, l’Algérie vient de perdre ce statut au profit des États-Unis, ce qui n’arrange en rien la situation économique et financière dans le pays. Au cours des deux derniers mois (Mars et Avril 2020), l’Espagne a préféré se ravitailler en gaz naturel liquéfié américain, beaucoup moins cher que le gaz acheminé par gazoduc depuis les terminaux algériens. La baisse des prix du pétrole a entraîné ceux du gaz naturel, mais l’avantage pour le pays importateur réside dans le type de transport du combustible. Le gaz naturel liquéfié (GNL) transporté par cargo est partout devenu plus accessible que le gaz transporté via pipeline.  Au cours des trois premiers mois de 2020, l’Espagne a reçu en GNL américain l’équivalent de 20 251 GWh, contre 19 748 GWh de gaz d’Algérie, a rapporté l’agence de presse espagnole El Confidential qui pense que cette situation aura des implications géopolitiques sur les relations entre l’Espagne et l’Algérie, si elle se confirme. Cette nouvelle vient fragiliser un peu plus la position déjà délicate du plus grand exportateur africain de gaz, qui a décidé de réduire de 50 % le budget des finances de cette année, en raison de la faiblesse des prix de l’Énergie. L’Algérie est fortement dépendante des revenus énergétiques qui constituent 95 % de ses exportations. L’Algérie est confrontée à une concurrence féroce sur le marché, avec en face les États-Unis, le Qatar et la Russie dont les prix sont plus compétitifs. Cette nouvelle configuration est également extrapolée aux achats de pétrole, suite à la réorganisation de la gestion des sources d’approvisionnement, mise en place par le gouvernement socialiste de Pedro Sánchez. Là aussi, Washington a pu grignoter davantage de parts de marché au détriment d’Alger, atteignant même des records historiques de 1,4 million de tonnes de brut. La reprise des importations vénézuéliennes, qui ont été multipliées par sept (+561%) durant la période d’octobre 2018/2019, n’ayant pas arrangé les affaires de Sonatrach.

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Un nouveau scandale éclate

Le scénario catastrophe politico-socio-économique qui est en train de se concrétiser et s’accentuer en Algérie à cause d’un système de gouvernance pourri jusqu’à la moelle, ne saurait être complet sans un nouveau scandale! Dans les faits, l’entreprise publique algérienne d’hydrocarbures «Sonatrach» a été éclaboussée par un énorme scandale lié à la livraison de carburant défectueux au Liban. Ce nouveau scandale vient écorner une nouvelle fois l’image de la Sonatrach. Cette affaire a été étalée au grand jour en avril 2020 quand l’établissement public d’Electricité au Liban a signalé à la justice que la compagnie algérienne lui avait livré du carburant défectueux un mois plus tôt et après la découverte d’un deuxième chargement de carburant défectueux la semaine dernière. Une députée libanaise a même dénoncé des tentatives d’enterrer ce scandale, déplorant le secret entourant le contrat passé entre le Liban et l’entreprise publique algérienne, d’où provient le carburant.  Ce scandale n’est pourtant pas le premier du genre à éclabousser la Sonatrach, qui assure 95% des recettes en devises de l’Algérie. Depuis une dizaine d’années, de nombreux procès ont eu lieu contre des dirigeants et cadres de l’entreprise.

Plusieurs d’entre eux ont été condamnés pour corruption, passation de marchés illégaux, surfacturation, dilapidation de deniers publics sans jamais révéler l’ampleur du pillage dont est victime l’entreprise nationale algérienne.

L’actuel PDG de la Sonatrach, Toufik Hakkar, porté à la tête de la Sonatrach en février 2020, est le 12ème responsable à diriger l’entreprise en 20 ans, illustration de l’instabilité qui mine l’entreprise publique algérienne. Avant lui, Kamel-Eddine Chikhi a été renvoyé après avoir été lui-même le troisième PDG en moins d’un an à diriger l’entreprise. Il faut dire que les scandales de corruption, de détournements et de malversations, touchent tous les aspects de la vie publique en Algérie.

L’art de noyer le poisson

Malgré tout cela, Abdelmadjid Tebboune, ne compte pas renoncer à son fauteuil de président bien qu’il soit rejeté par la rue qui pendant plus d’une année, ont scandé des slogans réclamant la chute du régime et le départ de tous ses symboles. Certes, le nouveau Coronavirus (Covid-19) a rmis fin à la cadence bihebdomadaire des manifestations à travers toutes les villes et localités du pays, toutefois les Algériens sont décidés à aller jusqu’au bout pour concrétiser leur rêve le plus cher, celui de faire chuter le régime qui étouffe l’Algérie et les Algériens depuis 58 ans. Dans une tentative de noyer le poisson, le président algérien Abdelmajid Tebboune, a distribué il y a quelques jours, l’avant-projet d’une nouvelle Constitution, aux partis politiques, aux syndicats et aux représentants de la société civile, pour consultations. Le brouillon de l’avant-projet de Constitution algérienne, rendu public le 7 mai 2020, peine à convaincre. Le document comporte 73 recommandations réparties en six grands axes, dont «le renforcement de la séparation des pouvoirs», qui concerne les prérogatives du président, du chef du gouvernement et du Parlement, mais aussi le pouvoir judiciaire et la lutte contre la corruption. Pour les experts des questions constitutionnelles, l’avant-projet est une manière pour le régime en place de gagner du temps et une certaine légitimité qu’il n’a jamais eue. 

Dans son discours d’investiture, Tebboune a promis que la Constitution algérienne amendée garantira la séparation des pouvoirs, renforcera la lutte contre la corruption et protégera la liberté de manifester. Pour les experts en droit constitutionnel, cette promesse ressemble étrangement à celle de son prédécesseur Abdelaziz Bouteflika, réélu en 2014 pour un quatrième mandat malgré de graves problèmes de santé, et qui avait conduit à un énième amendement de la Constitution en 2016. Afin de calmer la colère populaire, le président déchu avait alors fait adopter une révision constitutionnelle, avec comme disposition phare la restriction à deux du nombre de mandats présidentiels successifs. Cette mesure sans effet rétroactif, n’a pas empêché Bouteflika de briguer un cinquième mandat à la tête du pays. Candidature qui a été à l’origine d’une colère populaire qui ne faiblit pas. Avec Tebboune, il n’y aura pas de nouvelle Constitution, mais de la poudre aux yeux, déplorent les Algériens qui aspirent à un changement radical du système en place dans le pays depuis près de six décennies !

Dérives, déboires et manquement au devoir

La crise mondiale liée au nouveau Coronavirus (Covid-19) a levé le voile sur une réalité qui aurait pu être évitée si l’Algérie n’avait pas été pillée par des pseudo-responsables avides de puissance et d’argent qui, pour détourner l’attention du peuple de leur pillage, ont mis ce qu’il restait des moyens du pays dans une guerre acharnée contre le Maroc voisin, en abritant, armant et finançant, l’entité du Polisario qu’ils ont créée de toutes pièces. Il est vrai que les infrastructures sanitaires dans tous les pays du monde ont montré leurs limites face à l’ampleur du Covid-19. Il faut néanmoins préciser que de nombreux pays, notamment le Maroc, ont mis les bouchées doubles pour rattraper le retard enregistré dans le domaine de la santé publique. L’exemple du Maroc est éloquent dans la mesure où il prouve qu’avec un peu de volonté et beaucoup de confiance en les institutions et symboles de l’Etat, rien n’est impossible. Tandis qu’à Casablanca un hôpital de campagne a été érigé en quelques jours, force est de constater que l’Algérie est encore à la traine dans ce domaine. Alors que le pays enregistre plus de 500 décès à cause du Covid-19 pour plus de 6400 cas d’infection confirmés, le pays -qui ne manquait pas de moyens- peine à offrir à la population des services de santé capables d’accompagner les patients et alléger leurs souffrances. Normal, avec des généraux et autres responsables civils et militaires ayant pillé les caisses de l’Etat tout au long des cinq dernières décennies, que reste-t-il au peuple? Hélas, pas grand-chose si ce n’est de provoquer le changement et prendre son destin en main.

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Colère populaire

Mi-mars 2020, après treize mois d’un mouvement de protestation sans précédent dans le pays, les manifestants ont été contraints de quitter les rues algériennes, en raison de la propagation du nouveau Coronavirus (Covid-19).  Face à l’arrivée de l’épidémie dans le pays, la rue algérienne a décidé de suspendre son mouvement. Mais les manifestants avaient prévenu qu’ils n’abandonneraient pas la lutte pour autant. Chose promise, chose due.  Une nouvelle manifestation anti-régime s’est déroulée mercredi 13 mai 2020 devant un tribunal en Kabylie au nord-est du pays, malgré les risques liés à la propagation du Covid-19 pour exiger la libération d’un militant du Hirak. Ce rassemblement à Béjaïa est survenu peu après une manifestation similaire dimanche près de Tizi Ouzou, autre ville de Kabylie.

A la colère populaire qui ne cesse de monter, voilà que la crise sanitaire, économique, sociale et politique, est venue rappeler au régime algérien qu’il n’y a plus de mensonges qui tiendraient, et que quand le peuple a dit en février 2019 que c’était fini, pour lui, ça l’était vraiment.

Mohcine Lourhzal

2 questions à… Driss Effina

Economiste, président du Centre indépendant des analyses stratégiques

Algérie | Quand c’est fini, c’est fini !

«Derrière la crise sanitaire qui sévit se profile une grave crise économique et financière en Algérie»

L’Algérie n’est plus le 1er fournisseur de gaz à l’Espagne. Quelle lecture faites-vous de ce revirement ? 

En février 2020 le gaz naturel américain représentait exactement 27 % des importations espagnoles. Les fournitures algériennes, en revanche, ont représenté durant la même période, 22,6 % du total des importations espagnoles de gaz naturel.  Je rappelle qu’en 2018, le gaz algérien représentait pas moins de 48,5 % de ce qui était consommé en Espagne.  En 2020, les importations espagnoles de gaz naturel ont légèrement augmenté (+0,2 %) par rapport au même mois de 2019, pour atteindre 29 345 GWh. 65,8 % sont importés sous forme de gaz naturel liquéfié et 34,2 % par gazoduc. Par zone géographique, les importations en provenance d’Amérique du Nord (+3 621,2 %) et d’Amérique centrale et du Sud (+50,4 %) ont augmenté d’une année sur l’autre, tandis que les approvisionnements en provenance du Moyen- Orient (-19,5 %), d’Europe et d’Eurasie (-32,7 %) et d’Afrique (-36,3 %) ont diminué. Globalement, au niveau africain, les importations espagnoles – toutes catégories confondues ont diminué de 11,9 % en février de l’année en cours. Pour expliquer le dépassement américain, il faut tenir compte de la situation d’autosuffisance énergétique du pays avec le boom du gaz de schiste, à un moment où l’administration Trump a choisi de diversifier ses marchés, avec l’Europe en tête. Entre octobre 2018 et le même mois de 2019, l’Espagne a multiplié par sept (+561 %) les importations de pétrole brut vénézuélien, jusqu’à 1,82 million de tonnes, alors que, dans le cas des États-Unis, celles-ci ont augmenté de 58 % jusqu’à 1,4 million de tonnes. 

Pensez-vous que l’économie algérienne pourra résister longtemps aux difficultés économiques et sanitaires auxquelles le pays fait face?

Derrière la crise sanitaire qui sévit se profile une grave crise économique et financière en Algérie. Comme le soulignent des économistes algériens, si rien n’est entrepris rapidement, c’est-à-dire aujourd’hui, le pays se retrouvera en faillite avant que les plaies de la pandémie ne se soient refermées. L’Algérie vit les moments les plus sombres de son histoire et se dirige vers une crise peut-être plus sévère. La question qui se pose est de savoir si les autorités algériennes vont fermer les yeux sur la dure réalité qui guette le pays pour préserver leurs intérêts. Nombre d’Algériens craignent que oui.

Propos recueillis par ML

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