Gaïd Salah a fait entrer l’Algérie dans une aventure périlleuse
Le chef d’état-major de l’armée algérienne, Ahmed Gaïd Salah, a appelé à ce que les membres de l’élite au pouvoir impliqués dans des affaires de corruption, répondent de leurs actes devant la justice. S’en est suivie une chasse aux sorcières au goût de règlement de comptes.
Ainsi, cinq milliardaires algériens ont été interpellés dans le cadre d’une enquête anticorruption. La gendarmerie a ainsi arrêté, dimanche 21 avril, quatre des frères Kouninef, membres d’une puissante famille d’hommes d’affaires proche de l’ancien président Abdelaziz Bouteflika. Cette famille est connue aussi pour ses liens avec Saïd Bouteflika, frère de Abdelaziz. Les quatre interpellés, auxquels est venu s’ajouter Issad Rebrab (l’homme le plus riche d’Algérie, selon le dernier classement Forbes), ont été entendus dans le cadre d’une information judiciaire pour «non-respect des engagements contenus dans des contrats conclus avec l’Etat, trafic d’influence pour obtenir d’indus avantages et détournements de foncier».
Grandeurs et décadences
Les frères Kouninef étaient à la tête d’un empire allant de l’agroalimentaire au génie civil pétrolier. De son côté, Rebrab dirigeait la société Cevital qui importe du sucre brut du Brésil et exporte du sucre raffiné vers la Tunisie, la Libye et d’autres pays au Proche-Orient. Ces cinq arrestations ont été précédées par la convocation, le 20 avril 2019, de l’ex-Premier ministre, Ahmed Ouyahia et l’actuel ministre des Finances, Mohamed Loukal. Tous deux sont accusés de «dilapidation de deniers publics».
Cette nouvelle série d’interpellations n’est pas sans rappeler la rafle opérée dès l’été 2018, en Algérie, contre plusieurs responsables au sein de l’appareil sécuritaire, dans le cadre d’une vaste affaire de trafic de drogue. Début avril 2019, Ali Haddad, riche homme d’affaires et proche du clan Bouteflika, avait, lui aussi, été écroué, alors qu’il s’apprêtait à se rendre à Tunis par voie aérienne. Il a été arrêté après la découverte de devises non déclarées et de deux passeports, ce qui constituait une infraction, selon la législation algérienne. Le juge d’instruction avait également interdit à un certain nombre de personnes influentes, toutes liées à l’entourage de l’ancien président, de quitter le pays.
La purge au sein des milieux d’affaires algériens s’est poursuivie avec le limogeage du PDG du géant pétrolier et gazier algérien Sonatrach, Abdelmoumen Ould Kaddour. Une mesure annoncée, mardi23 avril, par la télévision algérienne. Son remplaçant n’est autre que Rachid Hachichi, jusqu’ici directeur de la division Production du groupe pétrolier.
Gaïd Salah mène la danse…
Les derniers développements en Algérie sont considérés comme une suite logique du projet de Gaïd Salah qui a, en très peu de temps, réussi à étendre son pouvoir sur les institutions clés du pays. Il a d’abord écarté Abdelaziz Bouteflika de la présidence, avant de jouer la carte de la protection des manifestants, pour se garantir la sympathie de la rue. Plus récemment, le chef d’état-major de l’armée a multiplié les sorties médiatiques. Dans un discours prononcé, mardi 23 avril 2019, depuis la première Région militaire à Blida, il a mis en avant ce qu’il a considéré comme étant «un complot abject qui vise» l’Algérie. Il a également indiqué: «A cet effet, nous rappelons que notre pays n’a cessé d’être la cible de complots abjects pour le déstabiliser et mettre en péril sa sécurité, en raison de ses positions constantes et sa décision souveraine refusant tout diktat». Gaïd Salah a, par la même occasion, précisé que le complot contre l’Algérie date de 2015. L’année évoquée par le numéro un de l’armée correspond à l’époque où le général Mohamed Mediene, ex-patron du DRS (Département des Renseignement et de la Sécurité), a été mis à la retraire.
Gaïd Salah n’en est pas à sa première ni à sa deuxième intervention médiatique. Le 16 avril 2019, devant la quatrième région militaire à Ouargla, il a sommé la justice d’accélérer la cadence en matière de traitement des dossiers de corruption. «Dans ce contexte et comme j’ai souligné lors d’occasions précédentes, il est nécessaire pour la justice de poursuive les individus impliqués dans des affaires de corruption. Nous attendons que les instances judiciaires concernées accélèrent la cadence du traitement des différents dossiers concernant certaines personnes ayant causé préjudice au Trésor public, en dilapidant l’argent du peuple».
… Et règle ses comptes avec le général Mediene
L’autre discours de Gaïd Salah, qui a suscité une grande polémique, a été celui du 8 avril dernier. Dans ce discours, le chef de l’armée s’est attaqué ouvertement à l’ancien patron du DRS, le général Mohamed Mediene, considéré comme l’ennemi juré de Salah. «Je lance à cette personne un dernier avertissement et, dans le cas où il persiste dans ses agissements, des mesures légales fermes seront prises à son encontre», avait martelé le chef d’état-major de l’armée. Selon la presse algérienne, Mediene a multiplié les contacts, notamment en Kabylie, dans le dessein de pousser à la confrontation entre la population et les forces de l’ordre. Depuis toujours, Mediene est connu par sa capacité redoutable à manier les mouvements de contestation, qu’il utilise ensuite comme carte de pression contre le régime. Il est à rappeler que ce général à la retraite a été l’un des détracteurs du cinquième mandat de Abdelaziz Bouteflika. Pour sa part, Ahmed Gaïd Salah défendait bec et ongles la candidature de l’ancien président algérien.
Il paraît clair que la relation entre le chef de l’armée algérienne et l’ancien patron du DRS a atteint un point de non-retour. Dans cette bataille que se livrent Gaïd Salah et Mediene, c’est toute l’Algérie qui est aujourd’hui prise en otage et l’avenir de tout un peuple est hypothéqué.
Mohcine Lourhzal
Le président par intérim limoge 6 walis Le président algérien par intérim, Abdelkader Bensalah, a mis fin, lundi 22 avril 2019, à la fonction du wali d’Alger, Abdelkader Zoukh. De même, les walis de Laghouat, Batna, Sétif, Boumerdès et El Taref ont été limogés par Bensalah. L’article 92 de la Constitution algérienne dispose qu’un wali est désigné par le Président de la République. Toutefois, l’article 104 n’interdit pas au chef de l’Etat par intérim de procéder à des nominations.