Algérie : Une démocratie avec Gaïd Salah ?

Commençons par évacuer une question qui nous a été plusieurs fois posée, ces derniers mois: pourquoi accordons-nous autant d’intérêt à la situation actuelle en Algérie et, particulièrement à Gaïd Salah ? Question incongrue, certes, notre devoir de journalistes professionnels devant en principe, à lui seul, suffire à justifier tout intérêt de notre part pour l’actualité brûlante, où que ce soit et quoiqu’il en soit… a fortiori lorsqu’elle tient en haleine les observateurs du monde entier et, qui plus est, se déroule à nos frontières.

Mais il est vrai qu’outre l’exigence du métier, notre intérêt pour la situation en Algérie se nourrit d’au moins 3 autres arguments. D’abord, nous ne sommes –en la matière- que les pâles disciples de la presse algérienne qui, elle, cultive depuis longtemps une névrose obsessionnelle autour du Maroc et de ses moindres faits. Ensuite, comment ne pas s’intéresser à la déliquescence (justice divine ?) de ce pouvoir algérien qui, depuis un demi-siècle, met la moitié de l’argent du peuple dans ses poches et l’autre moitié dans une guerre acharnée contre son voisin, au nom d’un prétendu droit des peuples à disposer d’eux-mêmes qu’il refuse d’accorder aujourd’hui à son propre peuple, vaillamment représenté par le Hirak des mardis et vendredis (jours de manifestations géantes et régulières depuis février dernier) ? Enfin, comment rester impassible devant ces évènements qui, au-delà de l’avenir de l’Algérie, détermineront également celui des relations algéro-marocaines et de l’idéal maghrébin ? Avenir qui n’a aucune chance de connaître une embellie si Gaïd Salah sape les initiatives et espoirs du Hirak et garde l’Algérie sous sa botte ?

Or, c’est ce que les observateurs voient venir en suivant, pas à pas, la stratégie du Général chef d’état-major et vice-ministre de la Défense.

Les (rares) défenseurs de Gaïd Salah soutiennent –sur la toile- que lorsqu’il en aura fini avec «le Gang» (Al Îssaba, nom donné à tous ceux qui ont profité financièrement de l’ère de Bouteflika), l’Algérie sera une vraie démocratie.

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Plaidoyer qui a du mal à convaincre…

D’abord, peut-on parler de «vraie démocratie» à propos d’un pays qui serait sous le joug de son armée ? Chaque Etat a le droit d’avoir une armée, bien sûr, mais l’armée a une mission précise ; et le pouvoir, dans les «vraies démocraties», n’est confié qu’aux civils.

Que le Général Gaïd Salah décide de tout, en Algérie –et cela va de l’installation d’un nouveau gouvernement, à l’accélération de élection d’un nouveau Président de la république, en passant par les poursuites judiciaires contre acteurs politiques, hommes d’affaires et hauts gradés de l’armée- il n’y a là rien d’orthodoxe , en termes de démocratie !

Après de surprenants discours d’orientation politique prononcés régulièrement, chaque semaine, à l’occasion de ses déplacements dans les régions militaires du pays, du mois de mars au mois de mai 2019, suivis de 3 semaines de mutisme, Gaïd Salah vient de redonner de la voix, s’exprimant 2 fois en 24 heures entre le 17 et le 18 juin.

Les propos du Général, devenu l’homme fort du pays, ne laissent aucun doute sur ses velléités dirigistes. Voyant que la société civile commençait à s’organiser (elle venait de sortir d’un conclave avec des recommandations claires pour une transition démocratique, avec nouvelle Constitution, nouvelle république et délai prolongé de 6 mois à 1 an pour l’élection d’un nouveau Président), Gaïd Salah a aussitôt pris la parole (et plutôt deux fois qu’une !) pour réimposer son propre agenda transitionnel, arguant du fait que remettre en cause la Constitution, ce serait remettre en cause l’ensemble des institutions du pays…

Ce qui n’est pas faux… Mais le chef de l’armée n’entend pas laisser l’opposition prendre les choses en mains ! Il y aurait pour lui le risque quasi-inévitable de se retrouver avec ceux qu’il a envoyés sous les verrous au prétexte d’une campagne anti-corruption réclamée par le peuple. Car, sur ce chapitre de corruption, Gaïd Salah, selon le Hirak, est aussi impliqué que les autres membres de «la Îssaba». Les manifestants le disent haut et fort, malgré les arrestations. Et nul n’a oublié ce fameux «post» paru (et vite censuré) sur la page Facebook de la chaîne «Acharq Al Awsat.TV» où un officier algérien (sous le nom d’emprunt de Lieutenant Chafik) détaillait la gestion mafieuse et le clientélisme de Gaïd Salah. Même les observateurs les plus impartiaux finissent par se poser des questions. Par exemple, pourquoi les proches de Gaïd Salah sont-ils épargnés par la prétendue «campagne mains propres» ? Pourquoi n’a-t-il écroué, parmi les gradés de l’armée, que ceux qu’il avait dans le collimateur (Mediene, Tartag, Ghediri…) ? Et la liste des questions est longue…

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Bien que les détracteurs de Gaïd Salah se fassent plus discrets (notamment les médias dont la titraille devient plus neutre au fil des jours) et malgré les intimidations, il est difficilement concevable qu’au point où en est le peuple algérien, il puisse croire à la démocratie que lui fait miroiter l’octogénaire Général et se plier à son diktat… Une chose est sûre, malgré la fermeté de son ton, lors de son allocution de Béchar, le 17 juin, le peuple est redescendu dans la rue, le lendemain, faisant fi de ses menaces.

Prendre définitivement en mains l’Algérie ne sera pas chose aisée pour le chef de l’armée, le Général Gaïd Salah ; et à mesure qu’il s’y emploie, le rêve démocratique des Algériens s’éloigne… Par la force des choses !

Bahia Amrani

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One comment

  1. Non. La ficelle est trop grosse. On peut comprendre cet acharnement de votre part, si et seulement si le Maroc jouissait de ce que vous semblez nous souhaiter: la démocratie.
    A notre connaissance, dans un pays où le chef de l’État détient la réalité du pouvoir et ne rend compte a personne n’est pas la définition exacte d’une démocratie.
    Consentons a dire que c’est le cas de l’Algérie. Mais quid du Maroc?

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