«Le vrai défi, c’est de mettre en œuvre les recommandations»
Quel commentaire faites-vous sur le dernier rapport du CNDH sur l’immigration?
On peut considérer ce rapport thématique du CNDH (présenté le 9 septembre 2013) comme une première au Maroc, étant donné qu’on a l’habitude de ne voir que des messages politiques concernant ce dossier d’immigrants, lequel a toujours été traité de façon traditionnelle et obsolète. Malheureusement, on ne s’attaquait pas à la réalité et au vécu de ces personnes de différentes nationalités qui vivent au Maroc. Le dernier rapport du CNDH a dévoilé les différentes défaillances concernant les conditions de vie et de travail de ces gens-là dans notre pays, à savoir la précarité et les conditions inhumaines dans lesquelles ils vivent dans la majorité des cas.
Le gouvernement a malheureusement délaissé ce dossier. Pourtant, le Maroc est le deuxième pays signataire dans le monde de la Convention internationale sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille. Mais ce n’est que le 11 septembre 2013 que le Maroc a présenté son rapport au Haut-commissariat des Nations Unies chargé de la question des migrants. Ce rapport présenté par le gouvernement marocain n’a pas touché la réalité de ces gens-là et n’a même pas pensé s’inspirer du rapport du CNDH. Dans son rapport, le gouvernement a également omis de parler des contraintes de notre pays pour la prise en charge des milliers de citoyens des pays subsahariens, lesquels commencent à venir au Maroc à travers notamment les frontières algériennes et mauritaniennes. A savoir que ce sont les conditions dans ces pays (guerres, conflits, famine) qui poussent ces gens à parcourir des milliers de kilomètres pour arriver au Maroc. Certes, leur objectif premier est d’atteindre l’autre rive de la Méditerranée. Mais étant donnée la crise financière internationale que connaissent ces pays, ces personnes sont obligées de rester au Maroc qui connaît la stabilité. Une raison qui fait d’ailleurs qu’il ouvre la voie à ces Subsahariens et aux Asiatiques, ainsi que, récemment, aux Syriens qui sont de plus en plus nombreux à venir s’installer au Maroc à cause du conflit dans leur pays.
Quelle a été la politique adoptée par le Maroc jusqu’ici?
Le gouvernement marocain n’a jamais essayé d’adopter une politique de justice concernant ce dossier de l’immigration. C’est un dossier qui est malheureusement délaissé. Le gouvernement opte beaucoup plus pour l’approche sécuritaire. Il joue le rôle du gendarme de l’Europe et continue toujours de le faire. Donc, le rapport du CNDH vient de tirer la sonnette d’alarme et de dire qu’il faut penser à ces gens et à leur situation et réfléchir à des solutions efficaces à même de régler leurs problèmes; surtout qu’on a commencé à entendre des voix à l’extérieur du pays qui font des rapports accablants sur le Maroc, même si ce n’est pas la réalité. Ces voix disent que nous avons du racisme au Maroc, alors que nous n’avons pas de mouvement raciste. Ce sont des comportements de personnes isolées envers certains Subsahariens et non pas pour une question de couleur de la peau. Nous avons à Ouarzazate, à Tan Tan ou encore à Tata un pourcentage très important de «noirs» marocains et on ne peut pas différencier aujourd’hui entre un «noir» marocain et un autre africain.
Selon vous, est-ce que le dernier rapport du CNDH répond aux recommandations des différents syndicats qui défendent les droits des immigrés au Maroc?
Ce rapport s’inscrit en parallèle avec nos objectifs, nos options et nos approches. Il a fait un diagnostic que nous respectons. Nous estimons que c’est la réalité, car il y a malheureusement un certain nombre de violations des droits des migrants au Maroc. Le rapport du CNDH a proposé des alternatives -que nous adoptons- pour résoudre le problème des immigrés. Il faut que le gouvernement marocain accepte d’aller de l’avant pour adopter ces propositions alternatives à même de régler les difficultés que vivent ces gens-là.
Comment peut-on résoudre la question de l’emploi des immigrants subsahariens, alors qu’au Maroc on a des problèmes concernant l’emploi des jeunes Marocains dont notamment des chômeurs diplômés? C’est un dossier difficile à débloquer par le gouvernement.
C’est une question pertinente et c’est cela le vrai défi qui se pose maintenant au gouvernement marocain, aux syndicats et à la société civile. Certes, le rapport est venu avec des propositions, mais comment les mettre en œuvre? A savoir que la majorité des migrants subsahariens et asiatiques exercent des métiers délaissés par les Marocains, dont notamment le bâtiment et d’autres petits métiers. Je dois dire que les salaires proposés à ces immigrants sont très bas. Ces personnes travaillent dans des conditions lamentables. On les exploite tout simplement. C’est pourquoi, à l’ODT, nous demandons au patronat marocain de respecter les droits de ces travailleurs immigrants. Dois-je le souligner, le nombre des migrants subsahariens qui sont dans une situation irrégulière au Maroc et qui n’ont pas de travail représente seulement 0,031% de la population marocaine. C’est donc un taux infime et le chiffre ne dépasse pas en général quelque 10.000 personnes auxquelles il faut régler la situation. Quant aux autres immigrants, comme par exemple les Asiatiques, il y a lieu de souligner qu’il y a au Maroc 3.000 femmes qui travaillent en particulier comme domestiques chez des familles marocaines -la bourgeoisie marocaine-, qui préfèrent embaucher une Asiatique comme travailleuse domestique plutôt qu’une fille marocaine. Car ces Asiatiques parlent l’anglais et pourraient enseigner cette langue aux enfants de leurs employeurs.
Que peuvent faire les syndicats marocains dans ce cadre?
En ce qui nous concerne, à l’ODT, on ne va pas accepter de laisser ces immigrants à la merci de leurs employeurs, notamment ceux exploités par des entreprises qui préfèrent embaucher un Africain plutôt qu’un Marocain pour ne pas lui donner ses droits. Il y a quatre millions et demi de Marocains qui travaillent en Europe, soit 80% de l’ensemble des Marocains qui travaillent dans le monde. Qui les a pris en charge pour avoir valorisé leurs droits? Eh bien, ce sont justement les syndicats. Notre rôle, à nous les syndicats marocains, c’est de continuer à défendre également les droits de ces migrants au Maroc. Nous allons continuer à militer pour qu’ils soient dans une situation légale et qu’on leur donne le minimum de leurs droits, c’est-à-dire ce qu’on appelle le SMIG social que les travailleurs marocains réclament, eux aussi, en Europe.
Etes-vous optimistes quant à la mise en œuvre des recommandations adoptées par le CNDH dans son rapport au sujet des immigrants subsahariens au Maroc?
En toute franchise je peux vous dire et affirmer, dès maintenant, que le gouvernement va ériger des obstacles devant la mise en œuvre des recommandations du CNDH. Il ne marchera pas avec ce dossier. Jusqu’à présent, il a adopté une approche sécuritaire. J’espère qu’avec les orientations de SM le Roi concernant ce dossier, le gouvernement et les administrations concernées essayeront de créer, dans les jours à venir, un comité de travail pour mettre en œuvre les recommandations du CNDH. J’ai peur que le gouvernement délaisse aussi ce dossier, comme d’autres dossiers qu’il a délaissés. Je vous rappelle le rapport qu’a fait l’INDH sur les hôpitaux de psychiatrie. Allez donc voir dans quel état sont aujourd’hui ces établissements. C’est le même état qu’avant, si ce n’est pas pire.