Abdallah Ben Abdel Aziz Al-Saoud, roi d’Arabie Saoudite, est mort. Il disparaît alors que le royaume est sous tension.
La baisse spectaculaire du prix du pétrole dans la durée limite les moyens financiers pour apaiser les tensions sociales aiguisées par les différences ethniques. Le Royaume est au contact de deux fronts terroristes, celui du Yémen, bien sûr, avec la montée en force des Chiites et surtout la menace des djihadistes sunnites de l’Etat islamique en Iran et en Syrie. La pression ne cesse de monter et les incidents se multiplient. Les Wahhabites se dressent contre Daech, dont l’influence progresse cependant au sein même des forces armées du royaume, comme s’en inquiétaient récemment les Américains. Si on y ajoute les inquiétudes vis-à-vis du rôle accru de l’Iran et du problème nucléaire, on peut penser que l’Arabie Saoudite jouera la carte de la continuité dans les réformes maîtrisées.
Longtemps considéré comme un conservateur pur et dur, réticent à ouvrir son pays aux évolutions du monde, Abdallah Ben Abdel Aziz Al-Saoud, mort vendredi 23 janvier à Riyad des suites d’une pneumonie, fut pourtant tout le contraire. Jusqu’à ce que la vieillesse, conjuguée au choc des «printemps arabes», le ramène à une forme d’orthodoxie. Réformateur comme on peut l’être en terre saoudienne, il tenta d’adapter son royaume aux impératifs des temps. Inlassablement, il s’efforça de limiter les bastions institutionnels concédés aux religieux les plus radicaux par son prédécesseur. Elections municipales et droit de vote des femmes en sont une illustration.
Il réagit aux attentats du 11 septembre 2001 perpétrés par des kamikazes, dont une majorité était ses sujets, en formulant une offre de paix globale avec Israël. Il illustra par une visite historique au Vatican une volonté de dialogue inter-religieux. L’obsession iranienne l’empêcha cependant de normaliser les relations du royaume avec sa minorité chiite. Les autres cultes pratiqués dans le royaume (notamment par les cohortes d’expatriés) restèrent condamnés à la clandestinité.
Le roi Abdallah d’Arabie Saoudite, dont le décès a été annoncé vendredi 23 janvier, a gardé la première puissance pétrolière mondiale à l’abri des crises du monde arabe. Le pieux Abdallah, qui s’est forgé une réputation de probité face à d’autres membres de la famille royale accusés de corruption, était «le roi le plus aimé en Arabie Saoudite depuis Fayçal» assassiné en 1975, selon un diplomate occidental.
Face à la montée en puissance du groupe Etat islamique (EI) en Syrie et en Irak, l’Arabie Saoudite, qui abrite les deux premiers lieux saints de l’islam, a rejoint sous son règne la coalition internationale et participé aux raids contre ces jihadistes actifs aux portes du royaume.
Abdallah a surtout su protéger son pays de la tempête qui a soufflé en 2011 sur le monde arabe. Puisant dans les importantes réserves financières du pays pour satisfaire la population, il a consacré plus de 36 milliards de dollars à la création d’emplois, à la construction d’unités de logement et aux aides aux chômeurs.
Malgré la chute des cours pétroliers, le roi a ordonné de maintenir le rythme des dépenses dans le budget 2015 pour préserver la paix sociale.
Salman bin Abdelaziz, le nouveau souverain d’Arabie Saoudite, aura la lourde tâche de mettre en œuvre les réformes économiques et sociales entamées de manière prudente sous le règne d’Abdallah. Il bénéficie d’une réputation de probité et est considéré comme un arbitre respecté au sein de la famille royale. Personnage imposant, possédant l’un des plus puissants groupes médiatiques du monde arabe, Salman estime que la démocratie ne convient pas au royaume saoudien conservateur.
Pendant près d’un demi-siècle, de 1962 à 2011, il fut gouverneur de la province de Ryad, une fonction qui lui a permis de travailler en relations étroites avec les traditionalistes, mais aussi avec des technocrates libéraux. Il a notamment supervisé la transformation de la capitale saoudienne qui est passée d’une petite ville plantée dans le désert à une métropole régionale. «Ce poste lui a donné de l’expérience et il a supervisé l’émergence de Ryad comme capitale», souligne Eleanor Gillespie dans la Gulf States Newsletter basée à Londres. Mais son poste lui a surtout donné l’opportunité de «jouer le rôle d’arbitre très respecté des affaires de la famille Al-Saoud», ajoute Eleanor Gillespie, assurant que le prince Salmane a une réputation de probité.
Il est cependant de santé fragile même si les informations sur ce délicat sujet sont contradictoires.
La mort d’Abdallah et l’avènement de son successeur, Salmane, âgé de 79 ans, ne devrait guère modifier les choix politiques et diplomatiques du royaume. L’Arabie Saoudite, avant tout soucieuse de stabilité, est engagée dans une rivalité sans merci avec l’autre grande puissance régionale, l’Iran. Une situation compliquée par les événements du Yémen, mais aussi d’Irak et de Syrie.
Les USA seront plus que jamais aux côtés de ce grand allié toujours puissant, mais aux pieds d’argile.
Patrice Zehr