Cinq mois se sont écoulés après l’annonce des résultats des élections législatives du 7 octobre 2016. Passée l’euphorie de la victoire, le SG du PJD, Abdelilah Benkirane, n’a toujours pas réussi à former sa majorité. Sa rigidité y est-elle pour quelque chose?
Les négociations pour la formation du gouvernement n’avancent pas. Selon le Secrétaire général du Parti de la Justice et du Développement (PJD), Abdelilah Benkirane, personne n’a le droit d’intervenir dans le processus des négociations pour la formation de la coalition ou d’imposer ses choix au chef de gouvernement, choisi par le peuple pour être à la tête de l’Exécutif. Cette position, Benkirane l’a rappelée lors de la dernière réunion du Secrétariat général du PJD à Rabat.
Benkirane se veut le porte-voix de la volonté populaire
Selon Benkirane, les urnes ont tranché, le 7 octobre 2016, en faveur du PJD. Partant de cette logique, il a estimé que former le gouvernement est une mission qui lui revient, à lui seul. Il a rappelé qu’aucune des parties prenantes aux processus des négociations n’a le droit de dicter au chef de gouvernement quelle démarche il doit adopter.
La position rigide et inébranlable du patron du PJD a été appuyée par le Secrétariat général de son parti. A l’issue d’une réunion, qui s’est tenue jeudi 2 mars 2017 à Rabat, l’organe décisionnel du PJD a, par le biais d’un communiqué, insisté sur le fait que «la nécessité d’accélérer la formation du futur gouvernement ne peut se faire au détriment des acquis que le Maroc a accumulés sur le plan des réformes constitutionnelles et politiques». Et le communiqué de rappeler: «Le chef de gouvernement désigné est le seul et le dernier habilité à former le gouvernement et à déterminer les partis qui devraient former la majorité gouvernementale». Cette majorité, du point de vue de Abdelilah Benkirane, ne peut être formée que sur la base de la précédente, c’est-à-dire: le PJD, le RNI (avec l’UC), le MP et le PPS. Quid de l’Union Sociale des Forces Populaires (USFP)?
Sur ce point, Abdelilah Benkirane est clair. Il est hors de question que le parti de la rose, dont le Premier secrétaire est Driss Lachgar, fasse partie de la prochaine équipe gouvernementale. Benkirane maintient ainsi le veto qu’il avait opposé le 18 février 2017 devant les militants de l’UNMT, bras syndical du PJD. «L’USFP veut à tout prix faire partie du gouvernement, malgré le fait qu’on lui a accordé le perchoir», avait estimé Abdelilah Benkirane en imputant la responsabilité du blocage des négociations pour la formation du gouvernement à «la rigidité de l’USFP et d’autres partis comme le RNI». Selon les analystes politiques, Benkirane croit dur comme fer que, du moment que les urnes ont porté son parti à la tête des élections législatives, cela lui donne les pleins pouvoirs pour former son gouvernement, sans que personne n’ait le droit d’intervenir, ni même de discuter le processus.
Akhannouch et les intérêts supérieurs de la nation
De son côté, le président du Rassemblement National des Indépendants (RNI), Aziz Akhannouch, ne voit pas les choses de la même façon. Il estime que les intérêts supérieurs du Maroc passent avant toute chose. Selon lui, le blocage des négociations pour la formation du gouvernement n’est profitable à personne et porte préjudice au pays. De l’avis du nouveau président du RNI, les défis auquel le Maroc fait face aujourd’hui sont tellement grands et la conjoncture internationale est tellement délicate qu’il est urgent de disposer d’un nouveau gouvernement solide et solidaire. Afin que la majorité ait le poids requis, il est important, pour Akhannouch, que l’USFP y fasse partie. Selon le dirigeant du RNI, l’USFP au gouvernement n’est plus une question de choix, mais une nécessité, dictée notamment par la montée des gouvernements socialistes dans les régions du monde avec lesquelles traite le Maroc. De l’avis du président du RNI, le prochain gouvernement ne peut être fort que s’il dispose d’une majorité confortable. Or, sans la participation de l’USFP, rien de tout cela ne sera possible. C’est ce que le président du RNI a expliqué samedi 4 mars à Ifrane. Akhannouch a en outre fait savoir qu’afin que le gouvernement puisse durer dans le temps, il a besoin d’une majorité parlementaire de 240 sièges. Dans le cas contraire, a-t-il ajouté, ce sera une coalition fragile. Le raisonnement du numéro un du RNI est partagé par plusieurs analystes politiques qui estiment que les 240 sièges ne peuvent être atteints que si le nouveau gouvernement englobe, en plus du PJD (125 sièges parlementaires), le RNI + l’UC (56 sièges), le MP (27 sièges), l’USFP (20 sièges) et le PPS (12 sièges).
Face à un Benkirane inébranlable sur ses positions, il semblerait que les tractations pour la formation du gouvernement ne sont guère promises au déblocage, du moins pour le moment.
Il semble certain qu’on se dirige vers un arbitrage royal qui mettra un terme au bras de fer entre le chef de gouvernement désigné et Akhannouch.
Mohcine Lourhzal
Quelques propositions de déblocage… En vain Selon des sources proches des négociations, Abdelilah Benkirane a proposé à Aziz Akhannouch deux solutions pour dépasser le blocage: ou bien intégrer au gouvernement deux membres de l’USFP sous l’étiquette du RNI; ou bien que le parti de la rose fasse partie de la majorité, mais sans participer réellement au gouvernement, en attendant de procéder à un remaniement ministériel en cours de route qui permettra à l’USFP d’intégrer l’équipe gouvernementale de façon officielle. Selon la direction de l’USFP, le parti dispose d’instances dirigeantes qui seules sont habilitées à trancher sur des propositions de ce genre. De l’avis du politologue Omar Cherkaoui, le fait d’intégrer l’USFP au gouvernement sous l’étiquette du RNI sera plus dommageable pour le parti de la rose. Il explique que cette situation fera passer l’USFP pour une formation politique prête à abandonner ses valeurs pour l’unique raison d’occuper des portefeuilles ministériels au gouvernement. De son côté, le président du RNI, Aziz Akhannouch, souligne clairement que la participation du parti de la colombe au gouvernement de Benkirane est tributaire de l’intégration de l’USFP. Une chose est sûre: le blocage des négociations pour la formation du gouvernement ne peut durer ad vitam aeternam. Une solution doit être trouvée d’une manière ou d’une autre. Il est inconcevable que le pays et ses intérêts supérieurs soient pris en otage en raison de la rigidité d’une des parties en présence.