Birou annonce une loi sur l’immigration

Anis Birou Ministre mre et migration

Entretien avec Anis Birou, ministre chargé des Marocains résidant à l’étranger et des Affaires de la migration

Le Maroc mène une nouvelle politique migratoire. Premier bilan et perspectives d’une opération de régularisation qui s’étale sur une année et prend fin en décembre 2014…

Interview

Le Maroc mène une nouvelle politique migratoire nationale. Il vient de délivrer les premières cartes de séjour aux migrants. Quel bilan?

C’est une opération qui s’étale sur toute une année et, au bout d’un mois et demi à deux mois, nous avons enregistré quelque 12.000 demandes. Il y a un réel engouement. Le bilan qu’on peut faire, par rapport à toute l’action qu’on devait mener pour ce qui relève du dispositif juridique, est que nous sommes très avancés, concernant la coopération avec la société civile. Et ça se passe très bien: il y a concertation et écoute. Le programme d’intégration se prépare dans les meilleures conditions possibles. Beaucoup de réunions ont été tenues et des groupes de travail s’attellent à peaufiner toutes les dispositions.

Et pour ce qui est du volet relation avec les différents partenaires?

Il y a effectivement des relations très étroites avec d’autres partenaires internationaux qui ont exprimé leur satisfaction et même soutenu l’action à travers l’expertise qu’ils ont mise à notre disposition. Il y a aussi les Nations Unies qui nous soutiennent.

Quels échos?

Tout le monde a salué la nouvelle politique migratoire nationale et se dit prêt à nous accompagner. Il y a en effet trois projets de loi. Nous en sommes pratiquement à la touche finale. Mais il y a d’autres étapes.

Est-ce ce que vous êtes en train de finaliser ces projets de loi?

Je dis «touche finale» au niveau de la commission qui les prépare. Mais, par la suite, il va falloir passer à une deuxième étape de concertation avec la société civile, puisque nous leur en avons présenté les grands axes.

Qu’ont-ils répondu?

Nous attendons leur réaction. Par la suite, il y aura toute la procédure: le Conseil de gouvernement, le Parlement au niveau des deux Chambres, etc.

Quel progrès au niveau de la Commission?

Le travail est pratiquement bouclé à ce niveau.

Et pour ce qui est du projet de loi sur la traite des êtres humains?

Là aussi, le travail est très avancé. Je pense que, dans deux semaines, nous aurons une première mouture du projet de loi sur l’immigration.

Quelle sont les conditions de réussite de cette mouture?

Les conditions de réussite, c’est d’abord la mobilisation de tout le monde. J’estime que les conditions sont pratiquement toutes réunies. Je dirais aussi que tous les acteurs de la société marocaine le sont.

Les raisons à cela?

Tout d’abord, je considère qu’il y a un sentiment de fierté vis-à-vis de l’initiative royale, laquelle respecte l’être humain et ouvre à des milliers de personnes cette possibilité de se réaliser et de s’affirmer en toute dignité, alors qu’ils allaient peut être perdre leur vie en traversant la Méditerranée dans des pateras de fortune. C’était pour eux un véritable cauchemar. Il y a aussi le sentiment que quelque chose de nouveau et d’extraordinaire est en train de se réaliser et de prendre forme. Dans notre société, le Maroc et les Marocains sont en train de marquer l’histoire contemporaine avec cette grande initiative royale…

Le contexte ne s’y prête pas, la crise économique internationale…

Justement, c’est ce qui fait la grandeur de cette initiative qui se réalise dans un contexte où, pratiquement, tous les ensembles régionaux et les pays ferment leurs frontières face à une conjoncture très difficile. Le Maroc démontre ainsi sa grandeur, la générosité de son peuple et sa solidarité avec les populations africaines démunies.
Pour marquer notre volonté d’en finir avec ce dossier, 83 bureaux ont été ouverts. Moins d’un mois et demi après l’ouverture de ces bureaux, les premières cartes de séjour ont été délivrées. Je pense qu’il n’y a pas plus concret, plus sérieux et plus crédible que cela.

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Ils sont des milliers de ressortissants étrangers en situation irrégulière qui attendent qu’on veuille bien les régulariser. Combien sont-ils exactement?

Il est très difficile de donner des chiffres exacts, mais ce que nous pouvons donner, ce sont des estimations: ils sont à peu près 40.000 personnes.

Une fois cette opération de régularisation terminée, est-ce que vous allez fermer le robinet?

Vous savez, il s’agit là d’une opération exceptionnelle. Cela veut dire qu’elle est limitée dans le temps: du 2 janvier 2014 au 31 décembre 2014. Après, ce sera terminé. Nous lui avons consacré toute une année.

D’autres pays l’ont-ils fait?

Oui, mais ils sont rares. Cependant, je ne connais pas un seul pays dans le monde qui a consacré autant de temps pour une opération identique de régularisation.

Pourquoi alors consacrer toute une année?

Parce que nous avons voulu donner leur chance à toutes les personnes qui sont sur notre sol et qui obéissent aux critères que nous avons fixés pour qu’ils puissent régulariser leur situation.

Et l’étape d’après?

L’étape d’après, c’est toute l’étape d’intégration, c’est-à-dire comment toutes ces personnes, une fois leur situation régularisée, pourront vivre au sein de notre société, comment ils vont communiquer avec nos concitoyens, participer à l’économie de notre pays, avoir accès aux soins de santé, etc. C’est tout un programme d’intégration qui va être mis en œuvre pour qu’ils puissent se sentir bien au Maroc. Ce n’est donc pas une simple opération de régularisation et d’obtention d’une carte de séjour. C’est beaucoup plus que tout cela.

C’est quoi alors?

C’est une intégration réelle, effective, pour qu’ils puissent se sentir en confiance, en paix et dans la sérénité totale et sentir aussi que le Maroc leur donne une ultime chance de vivre et de s’épanouir dans la dignité.

Qu’avez-vous prévu comme mesures pour accompagner et réussir cette opération d’intégration?

Nous travaillons sur un programme de formation professionnelle et sur un programme d’apprentissage des langues, d’accès aux soins sanitaires…

Quel modèle donc d’intégration?

Certes, on se pose des questions: quel modèle d’intégration? Quel est le meilleur modèle? C’est quoi en fait une intégration? C’est pour cela que nous organisons un séminaire, les 10 et 11 mars, auquel participeront des experts internationaux, parce qu’en fin de compte, nous voulons instaurer notre propre modèle marocain d’intégration.

Quels sont les critères de régularisation?

Les catégories concernées par la régularisation sont au nombre de cinq. Ce sont tous les immigrés qui se trouvent sur le sol marocain depuis cinq ans et qui doivent pouvoir le justifier. Là, il y a une réelle souplesse pour justifier leur présence sur le sol marocain.

Par exemple?

La seule présentation, par exemple, d’une ordonnance de médecin ou d’un contrat de bail. La deuxième catégorie: les migrants mariés à des Marocaines ou les migrantes mariées à des Marocains et qui peuvent justifier une vie commune de deux ans.

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Est-ce qu’ils existent réellement, ceux qui remplissent ces conditions?

Ils existent, croyez-moi. Ils sont même très nombreux à Hay Annahda à Rabat, dans l’Oriental, le nord et un peu partout dans le pays. Il s’agit aussi d’immigrés en situation irrégulière, mariés à d’autres immigrés. Ces derniers doivent justifier une vie commune de quatre ans. Les enfants issus de ces deux types de mariage ou bien tous ceux qui justifient d’un contrat de travail de deux ans, ainsi que tous les immigrés qui sont gravement malades et qui se trouvaient sur le sol marocain au 31 décembre2013 (ceux-là peuvent être sur le sol marocain depuis une semaine), seront régularisés pour des considérations humaines.

Quel est le soutien institutionnel qu’apporte l’Union européenne à cette initiative marocaine?

L’UE a fortement salué la nouvelle politique migratoire nationale et a très bien accueilli l’initiative royale. Elle a mobilisé l’expertise nécessaire pour mieux nous accompagner dans la réflexion et est disposée à nous accompagner aussi dans les multiples projets d’intégration.

Quel est l’impact de cette politique migratoire du Maroc sur les pays de la rive méditerranéenne?

Les conséquences de cette politique ne se limitent pas uniquement au territoire du Royaume. Son impact va bien au-delà des frontières de notre pays.

Comment évaluez-vous la complexité des problèmes nés de la transformation du Maroc de pays de transit en terre d’accueil?

Il s’agit là, croyez-moi, d’une évolution remarquable de la société marocaine. Une évolution que SM le Roi, avec sa vision d’avenir, a anticipée dans un espace mondialisé. Cette évolution doit se traduire par plus de brassage. Le Maroc, rappelons-le, est une terre d’accueil depuis des siècles. D’ailleurs, qui peut se targuer d’être marocain à 100%? Personne. Certains sont venus d’Andalousie, du Soudan ou Mali, d’Arabie, du Yémen… C’est ce qui fait, à mon sens, la spécificité de la société marocaine, sa richesse aussi. Avec sa nouvelle politique migratoire nationale, SM Mohammed VI a jeté les fondements d’une nouvelle société marocaine qui feront encore plus de bien à ce pays.

Comment intégrer les immigrés qui ne parlent ni arabe, ni «darija» (arabe dialectal marocain)?

C’est pour cela que j’ai dit que l’un des axes les plus importants de l’intégration envisagée, c’est l’apprentissage de la langue. Ce n’est pas uniquement l’arabe ou la darija. C’est aussi l’amazigh. Ce que nous voulons, c’est que les immigrés puissent communiquer avec nos concitoyens. C’est important de pouvoir communiquer avec l’autre.

Qu’en est-il du texte sur l’immigration?

Nous en sommes aux retouches. Il sera fin prêt dans une vingtaine de jours: nous sommes très avancés.

La session parlementaire du printemps (avril 2014) sera-t-elle, comme on le prétend, celle de l’immigration?

C’est mon souhait le plus ardent. Cela ne dépend pas de moi, mais je le souhaite.

Que faites-vous pour cela?

Nous travaillons dur pour mettre au point ces projets de loi. Nous avons eu une rencontre avec la majorité pour la sensibiliser. Il va y avoir d’autres rencontres de concertation avec les autres composantes de la vie politique. Une commission nationale se réunira bientôt pour débattre de la politique migratoire nationale. Par la suite, je ferai le tour des groupes parlementaires. Il y a donc un travail de fond qui s’opère.

Interview réalisée par Mohammed Nafaa

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