Justice a finalement été rendue aux musulmans de Bosnie et aux Croates.
L’ex-président des Serbes de Bosnie a été définitivement jugé coupable de génocide, crimes de guerre et crimes contre l’humanité. La justice internationale a ordonné, le mercredi 20 mars, une peine à perpétuité à l’encontre de Radovan Karadzic, aggravant la condamnation à quarante ans de prison prononcée en première instance en 2016, contre l’ancien chef politique des Serbes de Bosnie.
Il est définitivement jugé coupable, notamment pour ses responsabilités lors du siège de Sarajevo et le massacre de Srebrenica. Aujourd’hui âgé de 73 ans, Karadzic est, depuis 2009, derrière les barreaux du quartier pénitentiaire des Nations Unies, à La Haye. Après treize ans de cavale, il avait été arrêté en juillet 2008 dans un bus de la banlieue de Belgrade. Monstre mégalomaniaque pour les Croates catholiques et les Bosniaques musulmans, qui le rendent responsable de la mort de dizaines de milliers de personnes, Karadzic reste en revanche un «héros» pour de nombreux Serbes orthodoxes.
Son projet de partition de la Bosnie s’accélère quand les Serbes de Bosnie boycottent le référendum sur l’indépendance de mars 1992. Après ce scrutin, les forces serbes de Bosnie lancent leurs opérations militaires et se livrent alors à une campagne de nettoyage ethnique. Entre 1992 et 1995, la purification ethnique ravage la multiethnique Bosnie. Radovan Karadzic, ainsi que le chef militaire des Serbes de Bosniek, Ratko Mladic (condamné en première instance à la perpétuité en 2017) et le grand ordonnateur serbe, Slobodan Milosevic, redessinent à coups de canon les frontières.
Plus d’un million de non-Serbes sont expulsés de leurs maisons. Le conflit fait au total près de 100.000 morts, dont deux tiers de Bosniaques musulmans. Radovan Karadzic était poursuivi notamment pour génocide pour le massacre de Srebrenica (est du pays) quand, en juillet 1995, les forces bosno-serbes avaient fait main basse sur cette enclave soi-disant protégée par l’ONU, tué au moins 5.115 hommes, jeté leurs cadavres dans des charniers et déporté les femmes et les enfants vers des territoires non-serbes. Srebrenica a été le «crime le plus important commis sur le sol européen depuis la Seconde Guerre mondiale», jugeait le procureur du TPIY, Serge Brammertz, en 2016.
Karadzic est également coupable de crimes contre l’humanité en tant que responsable du siège de Sarajevo: pendant quarante-quatre mois, la capitale bosnienne a été soumise à un «enfer médiéval», selon l’expression de magistrats du TPIY. Près de 12.000 personnes périssent sous les balles des snipers, sous les obus de l’armée ou victimes de pénuries en tout genre.
Fin 1995, Karadzic est écarté des négociations de paix à Dayton par son ancien allié, l’homme fort de Belgrade, Slobodan Milosevic. En juillet 1996, sous la pression de la communauté internationale, il quitte ses fonctions de président de la Republika Srpska. Il entre vite en clandestinité. Les rumeurs le disent caché dans des monastères orthodoxes de la région. Personne ne s’attendait à ce qu’un des fugitifs les plus recherchés de la planète vive au cœur de la capitale serbe, où il travaillait comme guérisseur. Justice est donc rendue pour les musulmans de Bosnie et la mémoire des femmes.
Ces dernières ont suivi depuis le mémorial la longue lecture du verdict en appel contre Radovan Karadzic, à quelques mètres des tombes de leurs proches: à l’annonce de perpétuité, les veuves de Srebrenica ont applaudi et prié.
«Dieu merci pour cela, parce qu’un autre verdict nous aurait tuées», réagit, les paumes tournées vers le ciel, Bida Osmanovic. Son fils de 22 ans, Faruk, fait partie des plus de 8.000 hommes et adolescents bosniaques musulmans tués en juillet 1995, lors du massacre de Srebrenica, dont Radovan Karadzic a été un des artisans.
L’UE a dernièrement donné le feu vert à la demande d’adhésion de la Bosnie-Herzégovine présentée en février 2016.
Bien que les négociations actuelles ne portent pas sur l’adhésion elle-même, l’UE devra pourtant, à ce stade, vérifier soigneusement que la Bosnie remplit les exigences fondamentales indispensables à une coexistence réussie entre les différentes cultures. Et c’est justement là que surgissent d’ores et déjà les premiers problèmes. Ce sont les différents groupes idéologico-religieux qui déterminent la majorité gouvernant une région et non les partis politiques. La présidence est un triumvirat exerçant collectivement les fonctions de chef de l’Etat de la Bosnie-Herzégovine. Selon l’article V de la Constitution de 1995, elle est assurée collégialement par trois membres élus au suffrage direct: un Bosniaque et un Croate élus par la Fédération et un Serbe élu par la République serbe de Bosnie. Ensemble, ils accomplissent un mandat de quatre ans et sont rééligibles une fois. La présidence du collège est exercée à tour de rôle par chacun des trois représentants, pour un mandat de huit mois, afin d’assurer l’égalité entre les communautés.
Mais tout cela reste très fragile et le souvenir de Radovan n’est pas prêt de s’effacer.
Patrice Zehr