«L’énigme à résoudre est la vitesse de la putréfaction»
Pain rassis, fiente de volaille et certaines substances, telles E510 (Chlorhydrate d’ammonium), sont des exemples de produits que certains éleveurs incorporent à l’alimentation de leurs animaux pour les engraisser, déclare le vétérinaire Bouazza Khérrati, président de la Fédération marocaine des droits du consommateur.
Plusieurs familles marocaines ont connu, cette année, ce problème de putréfaction des viandes de l’Aïd Al-Adha. Comment expliquez-vous cela? A votre avis, la piste des «conditions d’abattage» est-elle crédible?
D’abord, il faut souligner que la putréfaction est un phénomène naturel des denrées alimentaires, dont la viande. Il reste sujet à plusieurs facteurs, externes et internes. Pour les facteurs externes, il s’agit notamment de la température, du lieu d’abattage, de la méthode d’abattage, de la préparation de la carcasse, de la découpe et de la méthode de congélation. Quant aux facteurs internes, ils sont liés au vivant de l’animal, c’est-à-dire: est-ce qu’il est malade, qu’est-ce qu’il a mangé, ou a-t-il subi des injections quelque part? S’agissant des facteurs externes, on sait très bien que dans les tueries rurales au Maroc, les conditions d’abattage sont lamentables. Pourtant, on n’a jamais eu de cas de putréfaction similaires. D’autant plus qu’aucun cas de putréfaction des viandes de telle ampleur n’a jamais été signalé au Maroc. Pourquoi les pays, dont la température est plus chaude que la nôtre, tels la Mauritanie et l’Arabie Saoudite, n’ont pas ce phénomène? Ce phénomène de putréfaction réside entre le Maroc et la Tunisie. Les Marocains ont toujours abattu les moutons en plein été. Pourtant, ils n’ont jamais eu ce problème. Dire que les conditions de stockage y sont pour quelque chose, je dois souligner que des gens et des cadres de haut niveau ont respecté toutes les mesures de sécurité sanitaire, mais ils ont eu ce problème de putréfaction. A citer notamment le témoignage d’une famille. Elle a acheté trois moutons de régions différentes. Seul un mouton a connu ce problème de putréfaction. Les autres bêtes sont restées indemnes. Tout cela brouille les pistes pour être affirmatif sur un ou deux facteurs aussi bien externes qu’internes. Il reste alors que l’animal pourrait être malade est à exclure.
Selon vous, est-ce le cas pour les faits signalés à la Fédération?
Non, ce n’est pas le cas. Puisque les gens achètent des animaux sains de leur vivant. Le cheptel présenté était en bonne santé. Il n’y a donc aucune symptomatologie sur l’animal vivant. Et même si ça existe, ça ne devait pas être de cette ampleur-là. Reste donc soit une charge microbienne, soit l’existence d’une substance quelconque qui fait que l’altération soit accélérée. Car l’énigme à résoudre est la vitesse de la putréfaction entrainant le changement des couleurs et l’émanation des odeurs putrides.
Notons que juste après l’abattage, il y a une flore microbienne qui protège la carcasse contre la putréfaction et, avec le temps (jusqu’à 72 heures), cette flore disparaît. Elle est remplacée par une autre flore qui donne des signes d’altération. Sachant que ce sont plusieurs germes qui donnent cette couleur verte et une odeur nauséabonde. Enfin je dois dire que la fédération marocaine des droits du consommateur enregistre, avec tristesse les pertes subies par les consommateurs suite à ce phénomène et reste attentive aux plus d’explications pour l’importance des facteurs internes qui sont souvent liés à l’alimentation.
Le phénomène de la putréfaction pourrait-il être lié à l’alimentation du bétail?
L’alimentation provenant d’une usine ou d’une unité agréée est contrôlée. Elle est donc automatiquement à éliminer des bans des accusés. Reste que certains intermédiaires du circuit du mouton composent eux-mêmes l’alimentation de leurs bêtes. Ils essaient par tous les moyens d’incorporer des produits tout venants pour réaliser des bénéfices. Parmi les produits qui pouvaient être incorporés par ces mafieux, il y a le pain rassis, les fientes de volaille et certaines substances, telle E510 (Chlorhydrate d’ammonium, un additif alimentaire qui échappe au contrôle de l’ONSSA) et autres, que ces éleveurs ajoutent dans l’alimentation du bétail pour l’engraisser avec le moindre coût.
Est-ce à dire que seules les bêtes ayant un poids important sont les plus touchées par ce problème de putréfaction?
Oui. Généralement, selon les différentes requêtes enregistrées par les associations de consommateurs relevant de la FMDC, les carcasses putréfiées sont issues de bêtes dont le prix est supérieur à 2.500. De même, il faut signaler que l’ampleur du problème a touché l’axe Tanger-Marrakech. Certaines régions, n’ont pas connu ce phénomène et à titre d’exemple la Région Beni-Mellal-Khenifra. Autant d’éléments à prendre en compte par l’ONSSA pour mettre une stratégie nationale spécifique pour l’Aid dont le chiffre d’affaires annuel est de 14 milliards de Dh.
Propos recueillis par Naîma Cherii