Le mausolée de Bouya Omar (province de Kelaât Sraghna) est la cage aux fous. C’est cette île où on les enchaîne pour, ensuite, les oublier… Le Saint saura bien quoi faire d’eux!
C’est là où, depuis des années, les droits des personnes atteintes de maladies mentales et psychiatriques sont couramment violés, sans que cela ne gène personne. Tout le monde sait ce qui s’y passe. Tous passent et laissent aller… C’est à croire que l’affaire dépasse tout le monde et que ce qui s’y vit ne regarde que ceux qui subissent.
L’affaire n’a que trop duré. Et voilà que le ministère de la Santé décide de se pencher «sérieusement sur la question» et le ministre fait preuve de détermination pour venir à bout de ce «phénomène».
Tout commence par une enquête
Réalisée par une commission de coordination multisectorielle, composée de représentants du ministère de la Santé, de celui des Habous et des Affaires islamiques et de celui de la Solidarité, de la Femme, de la Famille et du Développement social, du Conseil national des droits de l’Homme (CNDH) et de la Ligue marocaine de citoyenneté et des droits de l’Homme, l’enquête sur la violation des droits des personnes atteintes de maladies mentales et psychiatriques, qui a été présentée récemment, était plus qu’accablante. Elle pointe vraiment du doigt un nombre d’atrocités qui montrent que le fait d’être atteint au Maroc de troubles psychologiques ou mentaux relève encore de ces maux que l’on cache. Surtout quand le malaise intervient à un certain âge. L’enquête relève en effet qu’à Bouya Omar, les pensionnaires âgés de 30 à 39 ans représentent 35%, les quadragénaires (40-49 ans) représentent 25% et 18% sont de la catégorie d’âge 20-29 ans, tandis que la majorité des pensionnaires sont des hommes, soit 692 malades sur 711 patients et patientes. Près de 86% sont des célibataires, 7% sont mariés et 5,4% divorcés.
En ce qui concerne le niveau scolaire des pensionnaires, l’étude souligne que 36% ont un niveau d’enseignement primaire, 31% collégial, 17% secondaire, 12% sans niveau et 5% universitaire. Pour ce qui est de l’origine des pensionnaires, sur 711 patients, 154 sont originaires de Casablanca, 72 de Tanger-Tétouan, 64 de l’Oriental, 61 de Tadla, 54 de Rabat et 54 de Marrakech.
Une affaire fructueuse, mais…
Concernant les conditions d’accueil, l’enquête révèle que 4 pensionnaires logent dans une seule chambre, 70% ne reçoivent aucun traitement durant leur séjour au mausolée, 24% ne reçoivent aucune visite familiale et 23% sont dans un mauvais état sanitaire.
L’enquête relève aussi que les pensionnaires paient en moyenne 786 DH mensuellement, alors que les frais d’hébergement avoisinent les 8 MDH par an, au total. Ainsi, l’économie locale est centrée dans cette commune sur le malade mental qui en est un réel moteur.
A Bouya Omar, tous les pensionnaires, sans exception, souffrent de maladies mentales et psychiatriques, précise encore l’enquête qui note que 70% ne reçoivent aucun traitement, vivent dans des conditions difficiles et subissent de mauvais traitements en flagrante violation des droits de l’homme et des malades mentaux. Mais comment faire pour venir à bout d’une aussi fructueuse affaire?
La difficile décision
Ainsi, le ministère de la Santé s’est donné deux ans pour fermer définitivement Bouya Omar. Que propose-t-il en contrepartie? Certes, la détermination de Lahoucine Louardi est là, mais est-elle suffisante face à une pratique très ancienne et des revenus qui profitent à bien des gens qui gravitent autour de ce mausolée tout au long de l’année et font fructifier différents commerces? Alors que ce sanctuaire est visité par plus de 30.000 personnes chaque année, l’offre médicale en psychiatrie demeure très faible: pas plus de 0,83 psychiatre pour 100.000 Marocains! Alors, suffit-il de montrer tant de détermination? Et puis, pourquoi a-t-on attendu si longtemps? L’on savait bien quel était le problème et à quoi étaient soumis les pensionnaires de Bouya Omar. En plus, le CNDH avait déjà relevé dans un rapport les lacunes de la santé mentale au Maroc en relevant le manque d’infrastructures, de RH qualifiées et d’un cadre juridique adéquat… Choses qui rendaient normales ce recours à Bouya Omar! A-t-on remédié à cela? Surtout que déjà une étude du ministère de la Santé, en collaboration avec l’OMS, relevait un chiffre frappant quant à la santé mentale. L’étude en question relevait que 48% des Marocains qui ont 15 ans et plus sont atteints de maladies psychologiques ou mentales dont 14% ont déjà tenté de se suicider. Et le «Réseau marocain du droit à la santé» déplore encore l’absence de toute stratégie étatique dans ce domaine. Le réseau relève que moins de 1% du budget de la Santé est attribué au traitement des troubles et souligne le manque flagrants tant de médecins que d’infirmiers et de lits…
Ce qu’on compte faire
En réponse, le ministère a mis en œuvre son plan 2012-2016 qui prévoit, en matière de santé mentale, la création d’un hôpital psychiatrique dans chaque région du royaume, de 260 centres de santé à travers le royaume, au lieu de seulement 83 aujourd’hui, de 1 lit et 1 médecin pour 100.000 habitants. On n’est pas loin du 0,83 psychiatre actuellement et on est déjà en 2015!
Quant à Bouya Omar, l’enquête présente une série de mesures pour résoudre la problématique de la violation des droits des personnes atteintes de maladies mentales et psychiatriques dans ce mausolée. Elle recommande la construction et la mise en service d’un centre médico-social d’une capacité d’accueil de 120 lits. Ce centre permettra la protection des droits des personnes atteintes de maladies mentales et psychiatriques, la facilitation de l’accès au traitement, l’intégration sociale, la réhabilitation des malades mentaux et psychiatriques et le traitement des addictions à la drogue.
Cette structure sanitaire, qui sera gérée de manière autonome par un Conseil d’administration où seront représentés les différents secteurs concernés, permettra aussi le suivi, la sensibilisation et l’accompagnement des patients.
Le coût global de la construction et de l’équipement de ce centre avoisinera les 25 MDH, alors que son budget annuel sera de l’ordre de 3,5 MDH.
L’étude recommande aussi l’organisation et la mise à niveau des services d’accueil des familles des malades, ainsi que le renforcement de la prise en charge des maladies mentales et psychiatriques, afin que les familles puissent trouver là où elles résident une réponse à la pathologie mentale et psychiatrique que présentent leurs parents, leurs fils ou leurs frères et ne seront plus obligés de venir jusqu’à Bouya Omar.
C’est bien beau tout cela. Pourvu que les recommandations ne restent pas lettres mortes et que l’action ne soit pas née d’une simple contre-attaque pour affronter une des multiples batailles que mène le département de Louardi sur différents plans… On se souvient que d’autres avaient publié des listes… Louardi, lui, a préféré s’attaquer à un domaine qui fait vivre bien des lobbies, mais ira-t-il jusqu’au bout?
H. Dades