L’affaire de Madinat Badès, où se retrouvent impliqués le bras financier de l’Etat -la CDG- et sa filiale immobilière –la CGI- pose un certain nombre de questions, sur les plans juridique, financier, humain…
L’affaire avait éclaté en août dernier, lorsque SM Mohammed VI –qui était à Al Hoceima- avait reçu une doléance de Marocains résidant à l’étranger (MRE) ayant acheté des appartements à la CGI, dans le cadre du projet Madinat Badès, et qui s’en plaignaient.
Le Souverain avait alors donné ses instructions aux ministères de l’Intérieur et des Finances afin que soit diligentée une enquête. Aussitôt, une commission a été mise sur pied et BNPJ (Brigade nationale de la police judiciaire), IGAT (Inspection générale de l’administration territoriale) et IGF (Inspection générale des finances) s’étaient attelées à la tâche.
Et c’est suite à cette enquête, que le Président de la CDG, Anas Houir Alami et le Directeur général de la CGI, Mohamed Ali Ghannam, ainsi que 21 autres personnes, ont été auditionnés, le 15 octobre dernier, à Fès, par le procureur du Roi et le juge d’instruction de la Chambre des crimes et délits financiers. Les auditions se sont terminées par la décision du juge de convoquer les 23 hommes à une seconde audition, le 13 novembre prochain, pour complément d’instruction. Tous ont été laissés en liberté, aucune preuve accablante n’ayant été retenue contre eux, lors de cette première comparution.
Alors, certes, quand une affaire arrive jusqu’au Roi, elle prend des proportions inhabituelles. Tous les projecteurs se braquent sur ses tenants et aboutissants. A fortiori, quand cette affaire touche des entreprises mastodontes, telles que la CGI et, par ricochet, sa maison mère, la CDG.
Certes aussi, les premiers chefs d’inculpation mis en avant contre les 23 personnes convoquées à l’audience du procureur et du juge d’instruction sont effrayants. Ils sont au nombre de trois: «constitution de bande criminelle, faux et usage de faux, et dilapidation des deniers publics».
Mais, disons-le franchement, ce que subissent Anas Alami et Ali Ghannam est consternant.
Dans cette affaire, il n’est question ni de détournement de deniers publics dans le cadre de la gestion de la CDG et de la CGI, ni d’extorsion de fonds à de potentiels acquéreurs de biens immobiliers de la CGI, ni d’effondrement tragique comme à Bourgogne (Casablanca)… Qu’est ce qui vaut donc aux mis en cause d’être traités comme de grands criminels, non pas convoqués à l’audience du Procureur et du juge d’instruction, mais conduits dans une estafette de police, pour comparaître en pleine nuit et être interrogés jusqu’au petit matin ?
On peut avancer que l’instruction a lieu sur la base de trois chefs d’inculpation graves, mais cette instruction n’a-t-elle pas précisément pour objectif d’en vérifier le bienfondé, à charge pour le juge de retenir ou d’écarter partie ou totalité de ces chefs d’inculpation ?
Or, sans attendre la fin de l’instruction et au mépris du principe sacro-saint (dans tout Etat de droit) de la présomption d’innocence, les mis en cause de l’affaire –et tout particulièrement les deux grands patrons- ont été traités comme des coupables, les médias à l’affût du sensationnel s’en donnant à cœur joie, photos de leur malheur à l’appui… Condamnés avant même d’être jugés. Livrés en pâture à l’opinion publique. Feu Mitterrand avait eu une fameuse formule, à ce sujet, lorsque son Premier ministre Pierre Bérégovoy s’était donné la mort à la suite de sa stigmatisation par la presse à scandale, pour un emprunt présumé indu… Il parlait d’honneur perdu…
D’aucuns diront qu’un patron est toujours responsable de l’entreprise qu’il dirige. Sauf qu’entre une responsabilité globale et une participation directe à la faute, il y a une considérable différence. Comme a pu lancer un des avocats, «ce sont des entreprises qui ont réalisé les travaux !».
Mais le pire, dans ce qu’il arrive aux responsables de la CDG et de la CGI, c’est ce qu’on appelle, au Maroc, le syndrome de la vache, en référence au dicton: «quand la vache tombe, on ne compte plus les couteaux». Hier encore courtisés, leur compagnie espérée, recherchée, Anas Alami et Ali Ghannam sont devenus, du jour au lendemain, la cible de toutes les critiques, l’objet de toutes les suspicions. Ceux qui quémandaient leur soutien se sont faits leurs plus sévères juges. Certains de leurs clients se sont carrément retournés contre eux, comme l’a déploré leur avocat de Fès, Me Benchekroun, en citant à la presse le cas du laboratoire LPEE qui avait déclaré les travaux du projet Badis conformes, avant de concocter un rapport d’un avis contraire, pour l’enquête.
En regagnant son poste, au lendemain de l’audience, Anas Alami a eu la surprise de voir les cadres de la CDG constituer une haie humaine sur son passage et l’applaudir. Mince consolation, mais encouragement tellement bienvenu en ces temps d’orage qui frappent non seulement l’homme, mais la holding qui paie le prix fort de cette plainte des MRE. La CGI a été radiée de la Bourse et la confiance en tout le groupe est ébranlée. Alors que c’est un des groupes les plus sérieux de la place, notamment dans le domaine immobilier. Quand on le compare à d’autres… Combien tout cela va-t-il coûter ?
BA