Abdelkader Aâmara, ministre de l’Industrie, du Commerce et des Nouvelles technologies sortant.
Droit dans ses bottes, Abdelkader Aâmara, ministre de l’Industrie, du Commerce et des Nouvelles technologies, nous a livré dans cette interview ses convictions sur la politique industrielle et commerciale du Maroc, après presque deux ans aux commandes de ce département qu’il vient de quitter pour l’énergie et les mines. Loi de Finances, indexation, Bombardier, Maroc Export, ALE, Rawaj, Maroc numérique… Tout y passe.
L’exercice marathonien du projet de loi de Finances (PLF) a commencé. Pouvez-vous nous en donner une idée?
Pour ce qui est des dépenses d’investissement, 2014 connaîtra une hausse de notre programme d’investissement, essentiellement l’enveloppe budgétaire dédiée à l’ANPME (Agence nationale des petites et moyennes entreprises), pour le soutien des programmes d’appui aux PME, entre autres, Imtiaz et Moussanada. Au sujet de la fiscalité, la lettre de cadrage prévoit de rééquilibrer les incitations fiscales et de s’orienter davantage vers la neutralité de la TVA. Pour ce qui nous concerne, les secteurs de l’agro-alimentaire et du textile réclament une réforme fiscale d’urgence. Le premier demande avec insistance qu’une TVA virtuelle, facturée sur la production agricole transformée, soit mise en place. Le second, pour sa part, appelle à réviser à la baisse la fiscalité sur l’habillement, question de contrecarrer l’informel. Au jour d’aujourd’hui, rien n’est encore tranché, mais les discussions continuent.
Pour l’indexation, une période d’observation de trois mois
Au sujet de l’indexation partielle, le gouvernement Benkirane a-t-il programmé des mesures d’accompagnement au profit des activités industrielles ?
D’abord, il y a lieu de souligner que l’indexation est une mesure nécessaire pour veiller aux équilibres macro-économiques. Car s’il n’y a pas d’équilibres, il n’y aura pas d’investissements. Ce qui fait que nous sommes très sensibles à l’impact de cette mesure sur la compétitivité des entreprises. Concrètement, nous avons eu, mon confrère Boulif et moi, des réunions avec les professionnels pour échanger les idées, discuter et examiner la question. Ces concertations vont continuer pour voir quelles mesures adéquates prendre. Pour l’instant, rien n’est encore décidé, car nous avons fixé une période d’observation de trois mois pour voir comment vont évoluer les choses et ce que cela va donner. De façon générale, nous sommes déterminés à encourager l’implantation de mesures d’efficacité énergétique. Comme, la conversion des professionnels vers le GNL (gaz naturel liquéfié), car c’est plus rentable.
Bombardier, Midparc, Volswagen…
Le Souverain a dernièrement inauguré la plate-forme industrielle Midparc. Quelle valeur ajoutée pour l’économie?
La mise en place de la plate-forme industrielle intégrée de Nouaceur, dédiée au secteur de l’industrie aéronautique «Midparc», permet de consolider la base industrielle aéronautique du Maroc en tant que terre d’accueil de qualité pour les IDE. Mais pas seulement. Il s’agit d’une structure et d’un moyen de transmission et de transfert technologique permettant la création d’emplois de haute valeur. Le développement des infrastructures industrielles permet au Maroc de gagner plus de parts dans un marché mondial où les nouvelles commandes sont estimées à plus de 35.000 appareils entre 2012 et 2032. Le fait que le constructeur aéronautique canadien soit le premier à ouvrir la nouvelle zone franche d’exportation, en lançant les travaux de construction de ses bâtiments industriels, dénote de l’intérêt sans cesse grandissant que suscite notre pays auprès des donneurs d’ordre internationaux. J’oserais même dire qu’avec l’implantation de la P2I de Nouaceur, dont le coût global s’élève à 887,6 millions de DH, avec une superficie de 124,4 ha, le Maroc a franchi un cap très important pour se hisser au rang des destinations phares les plus compétitives de par le monde. L’installation de Bombardier en tant que constructeur et donneur d’ordre en même temps, avec un volume global de production de 3.400 pièces, favorisera l’avènement de bon nombre d’équipementiers aéronautiques qui fabriquent des pièces aussi bien pour l’aviation civile que pour celle militaire. Le site qui accueillera des activités diversifiées (aéronautique, spatial, sécurité, détection…) pourrait abriter 125 entreprises, soit plus de 10.000 emplois créés. A terme, cela va nous permettre de doubler pratiquement le chiffre d’affaires à l’export.
En plus de l’aéronautique, le développement de la filière automobile laisse augurer de beaux jours. De nouvelles implantations sont-elles prévues?
Mis à part Nissan qui entreprend de démarrer ses activités en 2015, aucune délocalisation des grands constructeurs automobiles n’est prévue dans le court terme. Mais avec la reprise du secteur prévue pour l’année 2014, il y a de fortes chances que les pourparlers engagés avec deux constructeurs aboutissent dans le moyen terme, pour la simple raison que les négociations prennent beaucoup de temps et que les décisions d’investissement sont soumises avant tout aux choix économiques. Je tiens à préciser que les deux constructeurs automobiles en question ne sont pas seulement des Asiatiques. Autre information à infirmer: je démens d’éventuelles négociations avec l’Allemand Volkswagen.
ALE Maroc-Canada, Rawaj, Maroc Numeric…
Qu’en est-il de l’ALE Maroc-Canada?
Là, c’est différent. D’autant plus que l’Amérique du Nord recèle d’importantes opportunités d’investissement et de développement des exportations. L’ALE prévu avec le Canada au cours de l’année 2014 nous permettra non seulement de nous attaquer à ce marché, mais également d’avoir une base de pénétration et d’accès aux États-Unis, marché très compliqué, du moment que 80% des échanges commerciaux du Canada se font avec les USA.
Où en est le plan Rawaj, surtout le volet concernant le recasement des marchands ambulants?
Je ne vous cache pas que le sujet des marchands ambulants traîne encore. On a démarré avec une expérience pilote à Kénitra. Il s’est avéré que nous sommes en présence d’un chantier très complexe eu égard à la multiplicité des intermédiaires. Intégrer le commerce ambulant reste donc fortement dépendant des intervenants, comme le ministère de l’Intérieur et les élus locaux. L’expérience pilote a démontré plusieurs failles, pour ne citer que le montage financier. J’avoue que ça n’a pas marché et je reste prudent.
Nous sommes presque fin 2013. Maroc Numeric 2013 a-t-il atteint ses objectifs?
Nous en sommes à 55, voire 60% des objectifs tracés. Mais ce ne sont que des chiffres grossiers. A vrai dire, les ambitions du programme ne collent pas à la réalité des Marocains, pour la simple raison que le temps imparti à ce plan stratégique (2009-2013) demeure très court. Une autre feuille de route s’impose pour assurer la transition numérique.
Maroc Export
«Je ne tolère pas certaines conduites»
S’agissant de Maroc Export, des professionnels disent que certaines de ses missions de prospection à l’étranger ne sont que des missions de tourisme. Qu’en pensez-vous?
Pour être honnête, la décision de changer la direction de Maroc Export n’est pas fortuite. En principe, les missions commerciales devraient être un outil de perfectionnement aussi bien de l’offre exportable nationale que de son image de marque. Et je n’accepterai jamais que cet outil soit détourné à des fins contraires à l’intérêt et à la raison d’être même de ces campagnes promotionnelles. C’est pour cela que le choix de la nouvelle directrice a été basé essentiellement sur le sérieux et le professionnalisme. En vue de rompre définitivement avec ces comportements, j’ai pris la décision de rendre les critères d’éligibilité et de sélection des entreprises plus transparentes. Je ne tolère pas les conduites qui veulent que certains clients permanents soient toujours les mêmes qui utilisent et bénéficient de l’argent de Maroc Export. Nous sommes également résolus à mettre en place un système de parrainage qui consiste à restituer progressivement une partie des subventions à l’export une fois que l’entreprise commence à prendre son envol. Enfin, nous avons estimé utile de mettre plus l’accent sur les partenariats professionnels et les rencontres commerciales (B to B, B to C). A ce titre, les entreprises tournées vers l’export ou celles potentiellement exportatrices sont amenées, pour plus d’efficience, à faire leurs démarches préalables telles que l’analyse fine et la veille active des marchés et des partenaires commerciaux étrangers.
A ce sujet, quel bilan d’étape pourriez-vous dresser pour les Caravanes de l’export en Afrique et quel retour sur investissement ?
Maroc Export a organisé, dernièrement, un séminaire pour faire le bilan de la 7ème Caravane de l’Afrique. J’aurais souhaité que les patrons y soient présents et pas seulement leurs cadres. Cela dénote quel intérêt accordé à ces missions vers l’Afrique… En tous cas, plus de 80% des objectifs commerciaux ont été réalisés. Le Kenya, par exemple, un marché fort prometteur de 40 millions d’habitants, nous a affirmé son entière disposition à mettre en place une plate-forme d’échange et de partenariat commercial. Le même engouement est constaté chez nos partenaires congolais. L’Afrique subsaharienne est un marché découvert depuis longtemps et occulté. En vue de se rattraper, on est en train de préparer tout un package pour cette région, étant donné que le savoir-faire marocain y est très apprécié. Allant encore plus loin, je peux vous dire que, dans les deux prochaines années, je prévois d’aller à la conquête de l’Afrique du Sud. Je ne vous cache pas que nous avons reçu une demande de coopération de la part d’un partenaire européen, sans citer de nom, pour aller ensemble prospecter le marché africain. Mais je ne pense pas qu’une suite favorable sera donnée à cet appel. De façon générale, la prospection commerciale est un phénomène de longue haleine qui suppose que les entreprises aient des stratégies de développement à l’international bien préparées et bien ficelées.
En ce qui concerne le retour sur investissement, effectivement, c’est un moyen qui donne une idée sur le profit ou le rendement gagné par rapport à l’argent investi. Jusqu’à présent, nous n’avons pas de chiffres exacts, mais j’ai demandé à la directrice de Maroc Export de nous fournir cet élément crucial d’information qui nous permet même de juger son travail.
L’Afrique oui, mais il y a d’autres régions du monde, comme l’Amérique latine, que la stratégie Maroc Export Plus a négligées; surtout que la diplomatie marocaine s’y est activée fortement ces derniers temps…
D’abord, je tiens à préciser que Maroc Export Plus est loin d’être une feuille de route sectorielle à l’image des autres (Emergence, Maroc Vert…). Ça n’a été jamais une stratégie sectorielle en tant que telle. Il s’agit juste d’un certain nombre de conventions signées pour le développement et la promotion des exportations. Ensuite, honnêtement, le Maroc a encore des marges de manœuvre sur les marchés traditionnels, comme l’Europe, qui captent l’essentiel de nos produits exportables. Si on arrive à rehausser le niveau de nos exportations vers ces marchés d’au moins 0,5%, ça sera déjà pas mal. De plus, l’Amérique latine est un marché certes à fort potentiel, mais qui représente beaucoup de similitudes par rapport à notre offre exportable, pour ne citer que les produits de la mer ou encore ceux agro-alimentaires. Encore faudrait-il maîtriser les coûts de la logistique et du transport. C’est donc un sujet à aborder de manière prudente. Nous avons reçu des demandes d’accords de libre-échange de la part de bien des pays latino-américains. Pour un pays comme le Chili, nous avons préféré plutôt des accords préférentiels. Bref, hormis les phosphates, nos produits exportables n’ont pas véritablement d’avantages compétitifs.
Départ de cadres
«Voilà pourquoi»
Votre département a connu dernièrement le départ de deux secrétaires généraux, El Aïd Mahsoussi et Mounia Boucetta. Quel commentaire en faites-vous?
Concernant M. Mahsoussi, il faut savoir que je l’ai envoyé en Jordanie pour représenter notre pays au sein de l’Unité technique de l’Accord d’Agadir pour une période de trois ans. L’objectif est d’impulser une nouvelle dynamique à cet accord. Par contre, Mme Boucetta, qui totalise plus de 22ans d’expérience au sein du ministère, a choisi de son propre gré de quitter le département. Elle a bien sûr ses propres raisons et j’ai accepté sa démission.
Propos recueillis par Mohamed Mounjid