C’est le sourcil gauche en accent circonflexe que de nombreux Marocains ont pris connaissance de la proposition d’adhésion faite au Maroc par le Conseil de Coopération du Golfe (CCG).
Le 10 mai dernier, en effet, le secrétaire général du CCG, Abdellatif al Zaïani, annonçait que les Etats membres du CCG, réunis à Ryad, étaient favorables à une adhésion du Maroc et de la Jordanie et chargeaient leurs ministres des Affaires étrangères d’engager des concertations dans ce sens, notamment avec le Maroc.
La première réflexion qui vient à l’esprit, c’est que le CCG regroupe six monarchies du Golfe (Arabie saoudite, Bahreïn, Emirats arabes unis, Koweït, Oman et Qatar). Que vient faire, dans cette alliance régionale, le Maroc qui en est loin géographiquement ?
A-t-il fait acte de candidature, comme la Jordanie qui n’est pas dans le Golfe, mais qui en est proche et qui a demandé à adhérer au CCG ? Non.
Pourquoi cette proposition alors ?
Bien sûr, le Maroc s’est dit honoré de cette invitation et le Souverain marocain a dépêché le ministre des Affaires étrangères, Taïeb Fassi Fihri, à Ryad, avec un message écrit, dans ce sens. Sachant que plusieurs pays frappent depuis longtemps aux portes du CCG, sans jamais y avoir été admis, jusque là (Jordanie, Yémen, Irak…), le Maroc ne pouvait se contenter de classer la proposition… d’un coup de menton.
Mais cela n’empêche que la question du pourquoi reste posée…
Le 25 mai prochain, le CCG aura 30 ans. Ses projets de créer un marché commun, une monnaie commune, une union douanière et une défense commune n’ont pas été réalisés… Ou à peine. Le marché commun n’a pas vu le jour. La monnaie commune non plus. L’union douanière n’est prévue que pour 2015. Quant à la défense commune, les monarchies du CCG ont bien essayé de faire quelque chose à ce niveau en créant une force conjointe en 1984 et en la dotant d’un QG en Arabie Saoudite, mais elle ne s’est distinguée par aucun fait d’armes (pas même pendant la guerre du Golfe). Seul, un semblant d’action militaire commune a été mis en œuvre avec les dernières manifestations de Bahrein, l’Arabie Saoudite ayant envoyé un millier de ses soldats prêter main forte au Roi de Bahrein.
Les élus, intellectuels, membres de la société civile et nombreux citoyens marocains non tenus par le politiquement correct, qui savent tout cela, se demandent alors en quoi le Maroc peut intéresser une telle organisation ? Pourquoi les monarques du Golfe veulent-ils voir se joindre à eux le jeune et moderne Roi du Maroc ? Et pourquoi maintenant ?
Les réponses semblent s’imposer d’elles-mêmes. Au sommet de Ryad, ce 10 mai, les monarchies du Golfe qui se penchaient sur les contestations populaires dans les pays arabes –entre autres à Bahreïn- ont officiellement décidé de serrer les rangs «pour affronter tout danger». Face aux menaces du vent de contestation arabe (auxquelles il faut ajouter, là-bas, la menace chiite), les Rois du CCG veulent jouer la solidarité.
Pour les Marocains, l’appel à leur Roi par les monarchies du Golfe peut être lu sous deux angles.
Un angle positif, où les dirigeants du CCG se diraient à peu près ceci: «le Roi Mohammed VI a réagi avec intelligence aux revendications populaires. Il a évité le bain de sang à son pays. Il est jeune et créatif. Il peut servir de modèle. Il faut l’intégrer dans notre cercle».
Et un angle négatif où ils diraient cela: «le Roi Mohammed VI est un Roi comme nous. Avec ses réformes, il va trop vite. Nous ne pouvons pas réagir avec nos populations comme il réagit avec la sienne. Il faut l’intégrer».
Certes, comme l’a précisé le ministre des Affaires étrangères, T. Fassi Fihri, l’adhésion du Maroc –si adhésion il y a- «va demander du temps» et «aucun calendrier n’a été encore fixé». Mais la proposition est embarrassante pour un Maroc qui a parfois pu compter sur le soutien financier des Etats membres du CCG et qui ne peut dire non à l’appel de ces mêmes Etats, au moment où il y va de leur survie.
Il faudra beaucoup d’intelligence pour résoudre cette quadrature du cercle. En tout cas, les monarchies du CCG doivent savoir que, contrairement à ce que leur a dit Taïeb Fassi Fihri, dans un élan de politesse, les citoyens marocains n’accueillent pas, tous, la proposition d’adhésion avec joie. Ils craignent pour le rythme des réformes engagées et le font savoir (voir notre dossier). Et au Maroc, aujourd’hui, la voix des Marocains est entendue.