Après avoir été trois fois reportée, la séance mensuelle consacrée aux questions de politique générale à la Chambre des conseillers a enfin eu lieu…
Au menu, des questions intéressant trois secteurs jugés sensibles: les accords de libre-échange, résultats et perspectives; la situation de la population du monde rural et des zones montagneuses; et la politique du gouvernement dans le secteur de l’agriculture. Autant de dossiers importants pour lesquels des précisions seront données, mais qui n’ont pas drainé la foule!
En effet, le nombre des conseillers qui ont tenu à suivre le débat n’a pas dépassé la cinquantaine et ceux qui y ont participé n’ont pas fait preuve d’assiduité, s’abstenant d’enrichir le débat.
Plusieurs groupes ont répondu négativement à l’invitation du président de la Chambre, Mohamed Cheikh Biadillah, de passer à la tribune pour faire connaître leur point de vue concernant les sujets abordés par le chef de gouvernement, Abdelilah Benkirane.
Calme et sérénité
C’est donc, une fois n’est pas coutume, dans le calme et la sérénité et sans escarmouche que s’est déroulée la séance mensuelle de politique générale. Même les plus endurcis (le groupe fédéral et l’UC) ont quasiment fait profil bas. S’agissait-il d’une trêve pré-ramadan, ou d’un «accord» entre le gouvernement et l’opposition en réponse à la pression de l’opinion nationale et des médias qui ne voient plus d’un bon œil les querelles, lesquelles prennent à chaque fois le dessus sur les questions qui intéressent les citoyens ?
Le choix du Maroc
Concernant l’impact des accords de libre-échange signés par le Maroc avec nombre de pays, les conseillers ont brandi la carte du déficit de la balance commerciale du Royaume qui a atteint 4,8% en 2014, pour dénoncer le fait que le Maroc n’en tire pas profit. Ce à quoi le chef de gouvernement a répondu en mettant en exergue l’option de la politique d’ouverture de l’économie du Maroc. En effet, Benkirane a reconnu: «Ce gouvernement n’a signé aucun accord de libre-échange tout au long de son mandat, mais l’histoire a donné raison au choix du Royaume (sous l’impulsion de feu Hassan II) de s’ouvrir sur l’économie mondiale». Chiffres à l’appui, Abdelilah Benkirane a rappelé: «L’évaluation préliminaire du bilan des accords de libre-échange du Maroc avec nombre de ses partenaires démontre qu’ils ont donné une réelle impulsion et une forte dynamique au commerce extérieur durant les dernières années». Cette même évaluation permet de constater, a souligné le chef de gouvernement, que le déficit du commerce extérieur avec l’Union Européenne, les USA et la Turquie a diminué durant la période 2008-2013 et que les échanges avec l’UE durant la même période ont atteint 134 MMDH, soit une hausse de 49%. Et Benkirane de clore ce chapitre sur un satisfecit: «L’exercice de la balance commerciale a enregistré, a-t-il précisé, une nette amélioration, plus particulièrement en 2014, grâce à l’amélioration de nos exportations, avec en tête celles des voitures (39,8 milliards de DH) qui ont dépassé celles des phosphates (37,3 milliards DH). La baisse des prix des carburants a également participé à cette amélioration de la balance commerciale». Il est erroné, a ajouté Benkirane, d’imputer ce déficit aux accords de libre-échange (ALE). Les chiffres démontrent en réalité que le Maroc a tiré profit de façon raisonnable de ces accords avec 56 pays à travers le monde. Il ne faut pas non plus se cantonner, s’agissant de ce volet, à la lecture de ces accords, selon une approche purement comptable, tout en considérant que l’objectif consiste à drainer les investissements, à créer de l’emploi, à motiver le tissu productif naturel du Maroc et à améliorer sa compétitivité qualitative.
Sans fanfare
Il faut reconnaître que le chef de gouvernement a été pour beaucoup dans le climat serein qui a prévalu lors de cette longue séance mensuelle. Il a certes passé en revue, sans fanfare, les réalisations et les avancées du Maroc, volets électrification du monde rural, accès à l’eau potable et infrastructures routières. Mais il a surtout admis les limites des programmes, rappelant que beaucoup de choses ont été réalisées par les gouvernements précédents sous l’impulsion de feu Hassan II. Bien que le monde rural ait été et demeure à nos jours au centre de programmes et d’interactions sectorielles diverses, les populations de ces régions continuent de souffrir de moult dysfonctionnements qui touchent exclusivement l’agriculture, l’enseignement, la santé, les routes, les infrastructures et l’accès aux services publics, en plus de la faiblesse des investissements, ce qui a impacté de façon négative la compétitivité économique rurale, ses infrastructures productives et sociales et, par voie de conséquence, le niveau de vie des populations rurales.
Il reconnaît, mais…
Cette reconnaissance de fait du chef de gouvernement, qui a admis les limites des chantiers de son équipe, loin d’être une mea culpa, n’a pas épargné à Abdelilah Benkirane les foudres de l’opposition, en particulier les tirs à boulets rouges du chef du groupe PAM, Hakim Benchemmas. Celui-ci a matraqué, ne mâchant pas ses mots: «Tous les indicateurs de développement humain ne suscitent qu’un sentiment d’humiliation».
L’effort de tous
Rappelant l’engagement du gouvernement Benkirane à lever les injustices dont sont victimes les populations du monde rural, Benchemmas a étalé les limites des engagements du gouvernement avec, en tête, le gel du budget alloué au Fonds national de développement rural. Saisissant la balle au vol, le chef de gouvernement a parlé de «hausses significatives du budget alloué au monde rural tout en faisant part de son souhait de revoir à la hausse le budget alloué au Fonds national de développement rural au cours des années à venir. Et de préciser: «Le développement du monde rural reste conditionné par les efforts des différents intervenants sur les plans national et local».
Concernant la «politique générale du gouvernement» dans le secteur de l’agriculture, Abdelilah Benkirane a rappelé le caractère stratégique du secteur qui participe à hauteur de 14% dans le produit national brut (PNB), constitue la première source d’emplois, garantit la vie et le quotidien de plus de 75% des populations rurales et assure la sécurité alimentaire des Marocains. Tout en vantant les atouts du Plan Maroc Vert, Benkirane a appelé à la «nécessaire industrie» (Alaykoum bi assinaâ) et invité l’Etat à garantir les facilités et toutes les aides nécessaires avec le courage et la responsabilité qui s’imposent.
Pas d’autre choix
Toujours dans le souci de garantir calme et sérénité à cet oral mensuel, Benkirane, qui a suivi attentivement l’intervention du groupe fédéral, a eu cette réaction: «C’est une intervention raisonnable». Et de lancer cependant: «Le monde se dirige vers davantage d’ouverture et nous n’avons pas d’autre choix que celui-ci. Il nécessite cependant une réelle prise de conscience, non seulement du gouvernement, mais aussi de l’ensemble des acteurs et des intervenants, notamment les syndicats qui ont un grand rôle à jouer, même si quelque part il subsiste une peur. Mais si l’investisseur arrive, il faut qu’il trouve face à lui un syndicat citoyen qui n’a pas peur de lui».
Mohammed Nafaa
……………………………………………………..
Les «réflexions» de Benkirane Devant la Chambre des Conseillers, parallèlement à son exposé écrit, le chef du gouvernement a aussi improvisé… Réflexions que les sujets abordés lui inspiraient. En voici quelques-unes… – Le Maroc exporte vers les USA. Celui qui entend cela pourrait en rire. Mais c’est la vérité et nous avons encore davantage à exporter vers ce pays. – Le monde s’achemine vers plus d’ouverture. En ce qui nous concerne, nous n’avons pas d’autre alternative ou option. L’effort demandé pour cela est énorme et exige une prise de conscience, non seulement de la part du gouvernement, mais aussi de tous les acteurs et intervenants… Tout le monde veut aujourd’hui gagner en une journée. C’est impossible! – Lorsque vous m’interpellez sur les accidents de la route, la situation dans le monde rural, les montagnes et l’emploi, je sens que, pour ces dossiers, nous n’avons pas réalisé nos espérances, bien que nous ayons fait des avancées dans d’autres domaines. Par exemple, le Maroc a franchi de grands pas dans les domaines de l’eau et de l’électricité, grâce aux efforts de feu Hassan II; domaines où le Maroc est devenu leader et son expérience est très appréciée à l’international. – Il faut aider les populations rurales et éviter de leur inspirer la rancune. Nous devons nous en occuper. Ce sont elles qui ont toujours défendu le Maroc; ce sont les gardiennes des valeurs du Maroc. Elles sont généreuses, alors que les citadins font des comptes. Il faut donc multiplier les efforts pour améliorer le quotidien des populations rurales. Il faut doter les populations des régions rurales et montagneuses des moyens nécessaires, pour qu’elles édifient les écoles qui s’accommodent à leur propre situation. – Je ne vous cache pas mon mécontentement lorsque j’entends que les prix des légumes ont baissé. Ceci porte préjudice aux fellahs (agriculteurs): il faut un nécessaire équilibre. – L’agriculture a besoin d’encadrement, parce que l’agriculteur ne peut commercialiser seul son produit. Il faut donc l’aider à trouver le financement et améliorer la vie dans la campagne, dans le village, pour qu’il s’y stabilise malgré les difficultés. |