Alors qu’il est censé organiser le monde numérique et assurer plus de liberté d’expression, acquise depuis des années sur les réseaux sociaux, le code numérique semble en déphasage avec toutes ces avancées.
Tollé des usagers d’internet qui se voient exposés à de lourdes peines en cas d’infraction. Les détails de ce code que le ministre Moulay Hafid Alami a décidé de mettre en standby, en attendant de plus larges concertations.
La révélation de l’avant-projet du code numérique par le ministère de l’Industrie, du Commerce, de l’Investissement et de l’Economie numérique a suscité un tollé chez des internautes et la presse électronique. Cet avant-projet prévoit des peines d’emprisonnement et des amendes de plusieurs centaines de milliers de dirhams. Un tel projet menace, aux yeux des internautes, ce qu’il reste des espaces de liberté sur les réseaux sociaux.
Un de ses principaux dangers réside dans l’instauration de la légitimité d’exercer la censure sur les communications entre les personnes privées.
Dans son préambule, ce texte affirme vouloir renforcer l’arsenal juridique concernant le secteur technologique des informations et de la communication, mesure qui, selon l’avant-projet, est en conformité avec les accords internationaux paraphés par le Maroc dans ce secteur. Mais, en réalité, le Maroc n’a paraphé qu’un seul accord en matière numérique, celui de1983 qui concerne la diffusion des signaux d’émission des programmes par satellites. Il n’a toujours pas signé l’accord de l’ONU de 2005 se rapportant à l’utilisation des communications électroniques dans les contrats internationaux et la loi-type de la CNUDCI de 1996 qui concerne le commerce électronique. Ces deux accords sont d’une extrême importance, surtout en ce qui concerne l’équation électronique qui dépasse les frontières. Car ils sont considérés comme les plus importants en la matière.
Un projet en déphasage avec les avancées réalisées
Cet avant-projet énonce que l’accès du citoyen à l’information détenue par les administrations publiques est un progrès social. Cependant, l’article 2 exclut toute prestation de l’administration électronique concernant la défense nationale et la sûreté intérieure ou extérieure de l’Etat. Cette position, soutiennent les internautes, n’est pas conforme aux standards internationaux, contrairement à ce qu’avance le projet dans son préambule.
Selon eux, le projet de code numérique est en rade, concernant les avancées enregistrées ces dernières années dans ce type d’administration électronique.
Les avancées réalisées seront-elles abandonnées pour «mieux s’adapter» au nouveau code? La pratique très répandue qui concerne le ministère de l’Intérieur, citée dans l’article 2, relative aux procédures d’obtention des passeports ou de la carte d’identité nationale, seront-t-elles annulées?
Il faut aussi savoir que ce projet prévoit que tout autre service ou administration électronique peut être exclu par voie réglementaire. C’est-à-dire que ce service peut être exclu par le gouvernement de façon unilatérale et sans consulter les usagers, alors que le droit d’accès aux informations publiques est le résultat d’un progrès social. L’exclusion de ce genre de service est qualifiée d’autoritariste.
Les communications privées sous écoute
Cet avant-projet fait le distinguo entre «les communications numériques» et «les communications numériques en lignes». Les communications numériques sont d’ordre privé, tandis que les communications numériques en lignes sont d’ordre public. L’article 24 considère que les communications numériques sont libres sauf, souligne-t-il, «lorsque la communication transgresse le respect de la dignité et de la vie privée de la personne humaine, de la liberté de la propriété d’autrui, du caractère pluraliste de l’expression des courants de pensée, d’expression et d’opinions et, d’autre part, le respect de la religion musulmane, de l’intégrité territoriale, le respect dû à la personne du Roi et au régime monarchique ou à l’ordre public, par les besoins de la défense nationale, par les exigences des services publics et par les contraintes techniques inhérentes aux moyens de communications numériques en ligne». Ce qui est évident, c’est que l’article 24 ne reconnaît pas explicitement l’aspect libre des communications numériques d’ordre privé conformément au principe constitutionnel de la sacralité des correspondances. Un échange d’e-mails privés pourrait être restreint dès qu’il touche aux sujets sensibles pour la censure.
L’article 31 fait ressortir un aspect très problématique et bizarre: les prestataires de services ne sont pas soumis à une obligation générale de surveiller les informations qu’ils transmettent ou stockent, ce qui suppose l’existence d’un organisme ou d’un système qui travaille dans l’illégalité.
L’article 77 donne, quant à lui, la possibilité aux officiers de la police judicaire et aux agents de l’administration spécialement habiletés, de participer, sous pseudonyme sans être pénalement responsables, aux échanges électroniques. Ils auront aussi le droit d’entrer en contact par ce moyen avec les personnes susceptibles d’être les auteurs d’une infraction, ainsi que d’extraire, d’acquérir et de conserver les éléments de preuve contre ces mêmes personnes.
Dans le même esprit, une autorité désignée par voie réglementaire sera chargée de mettre en place un système d’information permettant d’effectuer un traitement de données à caractère personnel. Et ce, afin de centraliser l’ensemble des signalements, d’en effectuer des rapprochements et finalement de les orienter vers les services en charge de leur traitement et de leur exploitation.
L’article 110 de cet avant-projet énonce que l’auteur ou l’utilisateur d’une infraction numérique peut être condamné à des restrictions complémentaires. En effet, en plus de la peine prononcée à son encontre, l’internaute peut se voir interdire ou restreindre l’accès à internet.
Le «contenu illicite», une notion vague
Cet avant-projet a également abordé l’engagement de la responsabilité civile ou pénale en cas de diffusion de contenu illicite. Mais ce même texte ne précise pas clairement ce qui doit être entendu par «contenu illicite». Une définition imprécise permettrait certainement les abus d’interprétation, surtout en termes de limitation de liberté d’expression. Plus que cela, ce projet de loi oblige les prestataires de services, y compris les médias, à jouer le rôle de police du web pour la simple raison que la responsabilité du prestataire de services est engagée sur le plan civil. Pis encore, la responsabilité est pénale si l’intention du prestataire de services est délibérée, surtout s’il ne fait rien pour retirer le contenu illicite. Le problème de la preuve du caractère «délibéré» se pose encore. Si un commentaire d’un usager, concernant un sujet déterminé, dans un média en ligne, est jugé illicite par la censure, la responsabilité du support serait pénalement engagée. D’où la nécessité d’un débat élargi et profond sur le «contenu illicite» dans le contexte du numérique, afin d’éviter de graves atteintes à la liberté d’expression. Cependant, l’alinéa 5 de l’article 30 apporte une modération de l’engagement de la responsabilité du prestataire de service si ce dernier procède au retrait du contenu illicite dans les plus brefs délais, lorsqu’il est estimé en demeure. Toute partie peut se plaindre d’un contenu illicite, mais seule la justice est compétente pour se prononcer sur le caractère illicite d’un contenu et en demander le retrait.
Plus encore, il est question pour l’autorité judiciaire de «désactiver l’accès au contenu illicite, bloquer l’accès à un emplacement en ligne situé à l’étranger et résilier le compte de l’utilisateur». En outre, l’autorité judiciaire «peut, par référé ou sur requête, prescrire à un prestataire de service toutes mesures propres à prévenir un dommage ou à faire cesser un dommage occasionné par un contenu diffusé ou par une activité exercée sur un service de communication en ligne». Autant de prérogatives exorbitantes devant être entourées de garanties dans le contexte de la presse électronique.
Un projet de code pour organiser la presse électronique?
Cet avant-projet avance aussi que tout prestataire de services en ligne devra se conformer à l’obligation d’identification, selon l’article 25. L’article 28 pose pour sa part une condition marquée par une sorte de défi et de gageure. Cet article a donc incité tous les prestataires à élaborer et à se mettre d’accord sur un code de bonne conduite. Mais est-il possible de réunir l’ensemble des groupements professionnels agissant en ligne et dont les pratiques ne sont pas homogènes pour leur demander d’élaborer un code commun de bonne conduite ? Les différents corps de métiers (les médias, les opérateurs télécoms, les commerçants…) développeront chacun un code de conduite pour éviter toute ingérence réglementaire en la matière. Il y aura certainement plusieurs codes de conduite que de métiers numériques à la place d’un code unique rédigé par le gouvernement. L’avant-projet prévoit aussi des peines d’emprisonnement et des amendes de plusieurs centaines de milliers de DH contre les auteurs des cyber-délits et cyber-crimes, notamment les pédophiles et les cyber-terroristes. Ce projet de loi aura pour objectif de recadrer surtout le digital au Maroc en établissant une base juridique de la dimension électronique et numérique dans le Royaume. Mais il prévoit aussi des peines d’emprisonnement et des amendes de plusieurs centaines de milliers de dirhams à l’égard des internautes et des usagers de l’internet, ce qui menace ce qui reste des espaces de liberté sur les réseaux sociaux.
Ce code très contesté a été donc retiré provisoirement pour révision. Sur son Twitter, le ministre de l’Industrie, du Commerce, de l’Investissement et de l’Economie numérique, Moulay Hafid El Alamy, a écrit: «Le code numérique est trop important pour ne pas faire l’objet d’un large consensus».
Badia Dref
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Le code numérique organisera-t-il le monde virtuel? L’usurpation d’identité, la protection des mineurs, la publicité et le marketing digital, ainsi que d’autres sujets importants seront présentés dans le nouveau projet de code du numérique au Maroc par le ministère de l’Industrie, du Commerce, de l’Investissement et de l’Economie numérique. Elaboré par ce département, ce code portera sur six axes très importants, à savoir l’administration électronique, les contrats conclus à distance, la protection des mineurs, la publicité et le marketing digital, la sécurité des systèmes d’information et les sanctions pénales dans le cadre des infractions aux amendements. Le code prévoit aussi des sanctions pour les différentes infractions commises sur internet. Les peines pour la divulgation d’éléments d’identification personnelle vont d’un mois à un an d’emprisonnement et les amendes de 50.000 à 100.000 DH. Les peines relatives à l’usurpation d’identité vont d’un an à cinq ans d’emprisonnement. |
BD