Omar, 42 ans, technicien de logistique, est marié et père de deux enfants. Cet homme regrette amèrement son idée d’achat d’une voiture. Il raconte pourquoi cet achat ne lui a procuré que des tracas…
«Quelle stupide décision que d’avoir acheté cette voiture! Vraiment! Vous vous demanderez certainement pourquoi ? Eh bien, je vous répondrai que c’est parce que ce tas de ferraille n’a jamais été qu’une source de tracas. Depuis qu’elle a été parachutée dans ma vie, je n’ai ni mangé, ni dormi, ni vaqué à mes occupations dans la sérénité. Elle a aussi été la cause de l’enfer dans mon foyer avec ma femme, avec mes enfants, avec mon banquier et plus encore… Voilà pourquoi je vous conseille fortement de ne jamais essayer de vous occuper de ce que font vos voisins ou les autres. Et surtout ne permettez pas à votre ego de vous guider et ce, même quand il vous susurre «que copier vaut mieux qu’envier». Bouchez vos oreilles ou faites ce qui vous semble le mieux pour dégager ce dicton qui n’est, ni plus ni moins qu’un attrape nigaud.
Il y a trois ans, lorsque j’avais vu de ma fenêtre le voisin d’en haut parquer une voiture flambant neuf dans notre parking extérieur commun, je suis resté scotché. De suite, au lieu d’aller voir ailleurs, j’avais comme senti mon cœur à l’envers. A brûle point, je voulais comprendre comment quelqu’un comme lui pouvait se permettre une telle acquisition. Evidemment, par plaisir vicieux, j’avais hélé à la rescousse mon épouse pour qu’elle se rince l’œil et qu’elle donne libre court à sa langue fourchue. Quel moment jouissif pour ma jalousie! Vraiment une tuerie! Cependant, j’étais à mille lieux de m’imaginer que la loi du retour du bâton existait pour de vrai.
Je nous revois elle moi, têtes penchées sur le même carreau de vitre et yeux rivés sur la scintillante bagnole noire flanquée de sa plaque ww. Ma femme comme frappée par la foudre murmurait un fleuve spumescent de détails sur le gars, sur sa conjointe, sur leur couple et aussi sur leurs mioches. On aurait dit qu’elle vivait en continu à l’intérieur de chez eux. Faut dire, que j’étais épaté qu’elle ne tarisse pas de médisances à leur endroit. Que ce voisin que je n’encadrais pas parce que je le trouvais impoli et beaucoup trop imbu de sa personne puisse se la ramener pour me narguer en exhibant un signe d’aisance, c’en était trop! Bien évidemment vous comprendrez que comme un coq ma fierté était piquée à vif. Je ne pouvais malheureusement pas me ressaisir pour lutter contre l’idée que moi aussi je pouvais lui en faire voir. Et quelle bêtise, je vous jure…
Illico presto, comme un illuminé, je m’étais activé dans la recherche sur le net de la valeur du véhicule en question. Je remarquais que le «foutu» voisin avait choisi dans le très bas de gamme, et je m’en frottais les mains. A ce moment précis, pauvre de moi, j’en concluais que pour lui en boucher un coin, il me fallait mieux. C’est alors que plus vite que la vitesse du son, je m’étais retrouvé face au concessionnaire automobile de la même marque de l’autre enfoiré, pour conclure un achat à crédit d’un modèle plus m’as-tu vu et toutes options. Passons sur les détails des formalités, parce que sincèrement, je n’avais pas cessé d’accumuler les inepties. Je me souviens du summum de liesse que j’avais ressenti en accusant réception de ce que je m’étais offert pour calmer mon incontinent dépit.
En me garant sur le parking de notre immeuble, j’avais joué du klaxon comme un gamin, histoire d’affoler qui vous savez. Le plus grave c’est qu’à aucun moment, je ne m’étais remis en question pour me rendre compte que j’étais seul dans mon délire d’abruti. Vraiment, cela même m’avait froissé de n’apercevoir personne, en haut, mater en douce comme je l’avais fait. Et même plus tard, vu que la dégaine du voisin affichait comme toujours le même mépris à l’encontre de tous. Non, je m’étais attiré seulement la flagrante inimitié de quelques autres qui jadis me saluaient chaleureusement. Bref, à l’instant où j’avais vu les membres de ma petite famille, extasiés grimper dans notre voiture, j’avais remballé ma fixette.
Ce jour-là, avec mes enfants et ma femme nous en avions parcouru des kilomètres rien que pour nous promener. Et quel plaisir de rouler tout en trifouillant les diverses manettes et boutons. Ce furent mes seuls moments de bonheur, je vous l’assure. Parce qu’au fil du temps, cet engin est devenu ma plus grosse bête noire. Dès les premiers mois, à chaque vue de mon solde bancaire mon sang ne faisait qu’un tour. C’est très simple, je n’arrivais plus jamais à boucler mes fins de mois sans être au bord du suicide. Ce mal me rongeait de l’intérieur comme un cancer. Et ce n’était pas la seule cause qui me métamorphosait progressivement en une boule de feu difficilement maitrisable.
Comme par hasard, les besoins et exigences de la famille s’étaient anormalement multipliés, tout comme ceux de notre bagnole. Tous s’acharnaient sans pitié sur mon pathétique budget. Chaque fin de semaine, il fallait m’armer de tout le courage du monde pour accompagner ma femme escortée de nos gosses pour les courses. Et en grande surface s’il vous plait! Je ne vous raconte pas la douloureuse facture pour ma pomme. Leur faire passer un sale quart d’heure sur le chemin du retour, ne les empêchait pas du tout de m’attendre de pied ferme, la semaine d’après et aussi avant chaque fête. Je crevais de rage mais pas autant que le jour où ma femme m’avait demandé et de l’argent et les clés pour y aller toute seule.
Alors là, je ne m’attendais pas du tout à cette farce mais finalement en sournois, je l’avais acceptée sans me rebeller. Quel soulagement de refiler à ma belle-mère tout ce dont j’avais plein le dos. Je me suis comporté en vrai goujat en m’en fichant que ma femme s’arrache les tiffes de m’entendre lui rétorquer tout le temps ne pas avoir le rond pour ce que j’appelais ses extravagances. Au moins, je n’avais plus à me farcir les passages à la station-service pour le plein ou les révisions ou vidange, ni le suprême casse-tête du stationnement, ni la sale tronche de chaque gardien de voiture. Mais oui parlons-en de ces deux derniers très gros problèmes. Car, quand vous achetez une guimbarde, personne ne viend vous avertir que vous en verrez des vertes et des pas mûres.
Et d’un, parce que vous n’aurez le droit de vous garer nulle part gratis, sauf devant chez vous et encore. Croyez-moi ce n’est qu’après que vous serez submergé par l’immense surprise de remarquer que les plaques d’interdiction de se garer foisonnent. Elles sont plantées partout, mais plus encore dans les coins où précisément la nécessité de laisser ce gros boulet qui vous sert de moyen de transport s’impose. Elles et les bords de trottoirs peints de rouge et de blanc, ne vous indiqueront rien d’autre que l’espace est réservé pour la banque, les petits taxis, les bus, l’administration et que sais-je encore, mais certainement pas pour vous. Attention, là, ne tentez pas le stop d’une seconde, parce que leur surveillance est pleinement assurée par des haineux qui n’ont rien à foutre de leur temps.
Et de deux, quand enfin on vous aura cédé, un bout de trottoir comme une petite faveur, vous ferez la découverte des incessantes provocations de tout individu indigent qui s’improvise gardien de voiture. Sachez que ces derniers, vous pourchasseront comme des loups à chaque stationnement que vous descendiez ou non de votre voiture. Considérez qu’à l’instant où vous mettez la clé dans votre contact, vous serez la proie de péages de stationnement. Ils sont comme une sorte d’impôt insolite et récurrent.
Je vous assure que j’ai rongé mon frein durant trois années, jusqu’au jour où je ne pouvais plus me le permettre financièrement. J’avais tenté de trouver des solutions pour être réglo pour tout ce qui relevait de mes responsabilités en tant que chef de famille. Mais aussi pour que mes traites de voiture ne me soient pas renvoyées impayées. Je n’ai malheureusement pas pu rendre cela définitif et la pandémie du coronavirus était venue y rajouter son grain de sel. J’avais vu alors pleuvoir les sommations par courrier de régulariser ma situation auprès de l’organisme de crédit et ce, jusqu’à la mise en demeure. Pour ne pas rentrer en litige avec eux, j’avais été contraint et forcé de solliciter un emprunt chez ma belle-mère. Sauf que mon déplacement au service des contentieux avait été encore plus insoutenable que ma démarche pour quémander un sauve qui peut pécuniaire.
Là, assis dans ce bureau où étaient entassées des centaines de piles de dossiers, je l’avais senti l’accueil glacial ! Moi, je ne souhaitais que payer une partie de mes dettes plus les agios, et aussi que l’on revoie à la baisse le montant de mes traites. Etait-ce si farfelu que ça que d’essayer de me sortir dignement de cette impasse et garder mon véhicule ? J’avais fini par comprendre que les personnes qui m’avaient reçu s’en tapaient de mes propositions. Ce n’était pas possible point barre… Et on m’avait envoyé balader.
L’accablante suite, elle s’était passée en bas de chez moi quand un huissier de justice et un agent de l’organisme de crédit étaient venus pour la saisie de ma voiture. J’avais laissé faire en leur remettant ma clé et ma carte grise sachant pertinemment qu’elle allait finir certainement par être vendue aux enchères et que rien pour moi ne sera réglé pour autant. C’était évident, que malgré cela, j’allais me retrouver dépouillé mais avec encore un reliquat de dettes impossible à solder. Pourtant ce n’était pas comme si je n’avais pas fait du mieux que je pouvais vis-à-vis de mes créanciers.
La vision future de mon avenir, de celui de ma famille, plombés à cause de cette bagnole m’avait fait machinalement lever la tête comme pour supplier le ciel. Et qui j’ai vu en premier bien accoudé à la barre de son balcon, mon voisin et à ses côtés toute sa famille. Eux ne se cachaient même pas…».
Mariem Bennani